Dieudonné ne restera peut-être pas à la postérité pour cela, mais présentement, il faut lui reconnaître cette créativité-là. En plus, pour ne rien arranger, il lui a dégoté un nom formidable qui sort d’on ne sait où : la quenelle. On aurait pu penser a priori qu’un tel mot passerait mal les frontières ; mais comme on va aussi vite s’en apercevoir, c’est tout le contraire. Peut-être en vertu du principe énoncé par le poète portugais Miguel Torga : « L’universel, c’est le local, moins les murs ». Disons ici : moins la sauce.
Langage des signes
On oubliera donc peut-être un jour Dieudonné. Après tout, qui se souvient du nom de celui qui, le premier, a décidé que lever son poing serré serait le signe d’une révolte, d’une colère, d’un désir révolutionnaire ? Il a pourtant bien fallu un pionnier. Qui a décidé un jour qu’en levant le pouce on arrêterait les voitures pour faire de l’auto-stop ? Ou qu’en dressant l’index on signifierait à l’autre d’aller se faire foutre ? Qui a eu cette idée le premier ? Ou celle du V de la victoire qui, retourné comme un gant par les hippies, signifierait soudain "Peace and love" ? Tous ces gestes sont devenus universels, ils parlent partout, dans toutes les langues : ce sont des signes.
Et Dieudonné en a trouvé un. Encore une fois, c’est difficile. Souvenez-vous, lors de la dernière campagne présidentielle, les socialistes avaient essayé d’en inventer un, où ils faisaient un truc idiot avec les bras, genre "la planche à repasser", en signe de ralliement. Devant le ridicule, cela n’avait pas tenu deux jours. Il est vrai que ce geste-là, on n’imaginait pas non plus quelqu’un le faire sérieusement devant le Mémorial de la Shoah ou le Mur des lamentations.
Dire que "la quenelle" est un salut nazi inversé est complètement idiot. Aussi imbécile, mettons, que d’affirmer que le poing levé serait un fist fucking à Dieu. Cela ne veut pas dire qu’il ne puisse pas l’être aussi, dans certains esprits, dans certains cas, mais ce serait beaucoup réduire sa signification, aussi floue soit-elle encore.
Le système de la quenelle
Il faut donc croire ceux qui disent que la quenelle est pour eux un geste "anti-système", et ne pas les soupçonner quand ils affirment n’être point antisémites. Il faut même croire Anelka quand il le prétend aussi. (Même si, chez tous les sportifs de haut niveau, il est désormais devenu nécessaire commercialement parlant d’inventer son propre geste, pour célébrer une victoire, et qu’Anelka a peut-être tout simplement là manqué d’imagination). Après tout, pourquoi Anelka n’aurait-il pas le droit, et même l’ambition, allons-y gaiement, de dénoncer le système de l’intérieur ? (lire aussi "Dieudonné, Valls et Anelka se cherchent quenelle") On peut faire une quenelle à son patron, même quand il est catholique, musulman ou protestant. On peut même faire une quenelle au monde entier quand il vous donne le sentiment de vous écraser sans pitié.
Évidemment, il faudrait essayer d’analyser ce que ces quenellistes, qu’on ne peut donc pas tous assimiler à des antisémites pathologiques ou à des négationnistes en culottes courtes, même si leur chef de file en est peut-être un, entendent par "système".
« Vaste programme », comme l’écrivait Daniel Schneidermann dans Libération en une fine allusion à de Gaulle. Certes. Mais auquel la véritable urgence serait peut-être de s’attaquer.
Point de vue brillant !
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