Accueil | Par Pablo Pillaud-Vivien | 31 décembre 2021

2021 n’est pas une année dont je me souviendrai avec un plaisir inaltéré mais…

2021 se termine et on a envie de se dire que c’est pas trop tôt, qu’on vient de se taper une bonne année de merde et que vivement la suite parce qu’on n’en peut plus. Seulement, commence 2022 et l’on a déjà peur de ce qu’elle va nous réserver.

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Il est probable que les manuels d’histoire, lorsqu’il s’agira de traiter de l’année 2021, ne parleront presque que du Covid. Qu’ils diront que ce fut une parenthèse dans la vie des gens à défaut d’être le point de départ pour le monde d’après comme certains ont aimé le penser à l’été 2020 (c’est drôle comme cette époque paraît lointaine). Pour les plus précis d’entre eux, on mentionnera la reprise du pouvoir par les Talibans en Afghanistan ou à la fin d’Angela Merkel en Allemagne. En zoomant sur la France, on parlera peut-être du grignotage de notre État de droit avec le vote de la loi Séparatisme ou l’affaiblissement de notre modèle social avec la réforme par décret de l’assurance chômage – mais faudra un manuel tatillon.

 

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La droite donne le la et pète les plombs

Au-delà de ces pauvres manuels du futur, il y a ce que nous retenons, nous les vivants de 2021 : la dérive toujours plus à l’extrême droite de ce qu’on appelle le débat public. Les médias laissent de plus en plus de place à des paroles dont les fondements sont la haine et le ressentiment. Ils observent et commentent (j’allais écrire « analysent ») avec de plus en plus de bienveillance des projets les plus rances. Ils déroulent le tapis rouge à quiconque veut fracturer plus avant la société, surtout si c’est fait sur la simple base d’une conviction élaborée le matin même en buvant le café ou en naviguant sur Twitter. Que le pôle ouvertement raciste ait deux candidats qui, cumulés, avoisinent les 30% dans les sondages, n’est même plus un sujet d’étonnement – ni même d’inquiétude.

Pis, le déplacement progressif mais d’apparence inarrêtable de la fenêtre d’Overton emporte tout dans son sillage : les Républicains n’ont plus de républicain que leur nom. Lors de leurs campagnes pour l’investiture de leur parti, les différents candidats ont rivalisé d’inventivité pour marcher sur les terres de l’extrême droite. Pour tout dire, on a eu l’impression d’assister à des débats entre trolls qui n’a que faire de l’histoire de leur courant politique, des Droits humains, des textes ratifiés par la France et même de la Constitution, chacun y allant de ses remarques-propositions abominables sur le traitement des personnes exilées, sur l’immigration en général ou sur l’islam. De même, soi-disant plus au centre, le gouvernement et la majorité se sont aussi illustrés par des prises de position qui ont réussi à allier le pire de beaucoup de domaines : un discours de chasse aux sorcières mortifère à la fois dirigé contre les musulmans, sujets tristement boucs-émissaires de notre époque, et contre les intellectuels, les universitaires islamogauchistes, leurs alliés ; un je-m’en-foutisme et une fin de non-recevoir ahurissante, au vu de la pandémie que l’on traverse, quant au manque de moyens qui terrasse l’hôpital public ; un mépris du dialogue social et politique autant que des institutions (notamment le Conseil d’État et le Parlement) et de la population en général ; l’invention d’un monde parallèle où se déploie un discours sur la France qui va mieux, qui va presque bien..

Parallèlement, on a vu une montée en puissance de la pauvreté et de la précarité psychologique. Face auxquelles, que cela nous plaise ou non, Emmanuel Macron a réussi à faire croire qu’il répondait présent par la modération des mesures qu’il a prises (même s’il est tout à fait légitime de les critiquer à l’envi), intégrant intelligemment des considérations psychologiques premières, mais aussi parce qu’il n’y pas eu de tsunami social tel que beaucoup de commentateurs et acteurs de gauche l’annonçaient. Dans l’urgence sanitaire, le président de la République dans sa jupitarité exemplaire, a cornerisé ses opposants – et notamment sa gauche : ou bien vous êtes avec lui et vous luttez contre la pandémie, ou bien vous êtes contre ses mesures et vous êtes anti-sciences. Plus d’argent pour l’hôpital public ou la levée des brevets sont des mesures qui n’ont pas réussi à apparaître comme étant des nécessités absolues pour répondre à la crise – et nous ne pouvons que le déplorer.

La gauche post-2021 : la mort ou la renaissance

Mais 2021, c’est aussi l’année où les femmes de chambre de l’hôtel Ibis de Batignolles ont gagné et obtenu, après 22 mois de mobilisation, une hausse de salaire et une amélioration de leurs conditions de travail. De même pour les salariés de Leroy-Merlin au début du mois de décembre. La réouverture du train de marchandises, entre Perpignan et Rungis est aussi à mettre au crédit de nos luttes. Sur le plan parlementaire, Leila Chaïbi, députée européenne de la France insoumise, est parvenue à mettre sur la table un projet de directive européenne reconnaissant la présomption de salariat des travailleurs des plateformes. André Chassaigne, député communiste, lui, a permis de revaloriser les pensions des conjoint-es d’agriculteur-trices. On ne peut pas dire que l’année 2021 ait été complètement une annus horibilis.

Et puis 2021, ça a aussi été des grands films, des grands livres, de grandes pièces de théâtre, de grandes expositions, des exploits sportifs dans lesquels chacun pourra mettre ce qu’il veut en lisant ces lignes. La vie ne se limite pas aux événements politico-sociaux. C’est con à écrire mais un éclat de rire, une naissance, une rencontre ou un bon barbecue/chichas/bowling/ce-que-vous-voulez, entre vous et vos potes ou votre famille, c’est sûrement ça aussi qui a fait 2021. Oui il y a Éric Zemmour tout le temps à la télé, les fachos qui défilent dans la rue en mode pépère, les réseaux sociaux infestés de tout et n’importe quoi mais surtout emprunts d’une agressivité dévastatrice, Emmanuel Macron qui vous prend pour un idiot, le changement climatique pour lequel personne n’entend se bouger vraiment et le retour du port du masque dans la rue, mais au fond, on a encore de quoi se battre car de la ressource, il nous en reste.

Tout ça pour aboutir sur quoi ? Sur la gauche. En vérité, elle est un peu partout la gauche, autant dans nos défaites et les dangers qui nous guettent que dans les victoires de celles et ceux qui se battent. La gauche politique est en voie de disparition institutionnelle, médiatique et parlementaire, mais on n’est pas à l’abri d’un sursaut - j’écris cela pour tous les camarades qui militent, qui y croient dur comme fer et qui ont raison d’y croire. Alors voilà ce qu’il faut nous souhaiter, à gauche pour 2022 : la réconciliation de nos espérances, de nos luttes, de nos incarnations et de nos rires. Et d’arrêter avec les définitions de périmètres infranchissables : bien sûr que les insoumis sont des sectaires, les socialistes des traîtres et les écologistes des idiots utiles. Mais chacun de votre côté, vous avez vocation à prendre le pouvoir en France. Et faire donc avec tous les Français. Donc commencez par trouver un moyen de faire avec vos plus proches concurrents, même s’ils vous exaspèrent. Bref, y’a du pain sur la planche en 2022. Et pour après.

 

Pablo Pillaud-Vivien

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