Certaines époques s’en sont allées, pour le meilleur comme pour le pire. Désormais, nous vivons un temps où la gauche n’est plus certaine de constituer l’alternative à la droite. D’aucuns y verront la résultante d’un manque de pertinence dans le positionnement stratégique, d’autres l’achèvement d’un cycle de trahisons provoqué par l’appétit de pouvoir d’apparatchiks opportunistes. Mais il s’agit plutôt de la défaite en incapacité du camp social et politique de la gauche à rendre tangibles les horizons radicaux forgés autant dans les luttes que dans les esprits.
Cette fin de 2020 ressemble de plus en plus à une croisée des chemins : plus aucun mouvement politique ne peut se réclamer d’une capacité d’hégémonie suffisante à gauche pour l’emporter sur les autres. Pis, lorsque l’on songe aux élections à venir, régionales, présidentielle ou législatives, l’avenir paraît particulièrement bouché. Pourtant, les énergies existent ! La société française est bousculée et interrogée sans cesse par force mouvements puissants et renouvelés qui vont du féminisme à l’antiracisme en passant par l’écologie ou les luttes sociales. Qu’est-ce qui empêche donc d’en faire une lame de fond unique qui permette d’accéder aux pouvoirs ? Pour l’instant, certainement le jeu électoral, et notamment présidentiel – écueil absolu sur lequel viennent se déchirer toutes les tentatives politiques de ces dernières années.
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Premier à partir dans la course, Jean-Luc Mélenchon a annoncé sa candidature à l’élection présidentielle de 2022 au nom de La France insoumise, de son score en 2017, mais surtout parce qu’il revendique, peu ou proue, d’être le seul à incarner suffisamment puissamment les luttes qui traversent notre société. Dans les écuries mitoyennes, on tape du pied et s’énerve de ce que cette candidature a de prématuré. Seulement, personne ne débande (sic) quant à sa volonté de présenter un candidat pour 2022 : fort de ses succès électoraux relatifs aux dernières élections européennes et municipales, Europe Écologie-Les Verts estime qu’il n’est plus d’actualité de se ranger derrière qui que ce soit et estime qu’il est temps pour son candidat, d’enfin briller ; le Parti communiste français, qui avait choisi la stratégie autonomiste lors de son dernier congrès, va peut-être revoir sa copie mais semble néanmoins bien engagé sur la même trajectoire ; Génération.s n’existe plus qu’à l’état végétatif, et on se demande encore qu’elle pourrait être l’ambition d’un Parti socialiste même si pour le patron des socialistes propose « un candidat commun qui ne soit pas socialiste, ni vert, ni communiste, ni insoumis mais qui soit tout ça à la fois ». Ambitieux.
EELV peut-il dépasser ses clivages internes ?
Mais le problème est plus épineux encore lorsque l’on regarde plus précisément l’état des forces en présence : si Jean-Luc Mélenchon paraît largement hégémonique dans son mouvement – il n’y a personne aujourd’hui chez les insoumis pour lui contester sa légitimité), il n’en est rien chez EELV où les personnes et les courants fourbissent leurs armes de façon de moins en moins discrète. D’un côté, l’eurodéputé Yannick Jadot qui croît dur comme fer aux commentaires médiatiques sur l’évidence de sa stature présidentielle, certitude acquise par la respectabilité de ses prises de position, chantre d’une écologie « pragmatique » qui lui permettrait de discuter au-delà du « camp de la gauche ». Et de l’autre, le maire de Grenoble depuis 2014, Éric Piolle qui, fort de son expérience à la tête d’un exécutif municipal, table plus sur une écologie comme colonne vertébrale pour la gauche d’après. Leur opposition, qui ne fait plus de mystère pour personne, amène une question : comment cela peut-il se terminer ?
Dans le cas de primaires internes à EELV, si Yannick Jadot gagne, il cherchera à se positionner dans l’espace politique entre Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron, avec les alliés qu’il réussira à se trouver – même si le PS ne lui rend pas la partie facile au vu des récentes déclarations d’Anne Hidalgo et d’Olivier Faure, son premier secrétaire. Sa stratégie consistera alors à prouver qu’il est une sorte d’Emmanuel Macron plus vert. Cela laissera au candidat de LFI toute la latitude pour incarner la gauche, de par devers lui puisqu’il souhaite parfois s’en distancer. Mais si c’est Éric Piolle qui l’emporte, la stratégie devra être tout autre car il souhaitera vraisemblablement être le candidat de la gauche autant que celui de l’écologie. S’en suivra donc une querelle de chapelles au cours de laquelle chacun scrutera les sondages pour savoir s’il devance l’autre. De près ou de loin. L’enjeu sera pour Éric Piolle d’arriver à ne pas s’enferrer strictement, dans l’immédiat post-primaires, avec ceux qui viendront le courtiser en premier, à savoir Yannick Jadot et Olivier Faure. L’image comme le programme qui pourrait sortir d’une telle alliance de circonstances pourraient s’avérer fatals pour le candidat Piolle dont l’ambition ne correspond pas à un positionnement de centre-gauche. Reste à savoir jusqu’où se creuse le délitement de la social-démocratie...
Entre les deux hommes, la candidature de Sandrine Rousseau pourrait bien semer le trouble dans un duel dont visiblement personne ne se satisfait dans la grande famille des écologistes.
Les régionales, premier tour de la présidentielle ?
Tests à mi-parcours pour la gauche, les élections régionales à venir sonnent un peu comme un glas terrible pour quiconque envisagerait sérieusement que les années à venir puisse amener la gauche au pouvoir : EELV, LFI, le PS et le PCF vont partir en ordre dispersé pour vraisemblablement terminé la course éparpillée façon puzzle, région après région, des têtes de liste putatives – et propose aux autres de se ranger derrière. Julien Bayou d’EELV, Audrey Pulvar pour le PS, Clémentine Autain ou Raquel Garrido pour la FI en Île-de-France, Karima Delli d’EELV, Fabien Roussel du PCF et Ugo Bernalicis de LFI dans les Hauts-de-France… Le problème principal résidant dans le fait que la stratégie pour les régionales conditionnera nécessairement celle pour la présidentielle : si LFI ou EELV décidait de partir unie avec les autres partis de gauche en 2020, comment justifier qu’il faille partir seul en 2022 ?
Le plus grand adversaire de la gauche, ce n’est pas la droite, c’est elle-même. Ou plutôt : ce devrait être la droite qui, d’Emmanuel Macron à Marine Le Pen, paraît plus puissante et hégémonique que jamais, mais les guerres picrocholines et intestines qui rongent la gauche l’occupent aussi à temps plein. Aujourd’hui, celles et ceux qui veulent une maison commune pour la gauche et les écologistes, ce sont toujours celles et ceux qui ne sont pas en dynamique. Ainsi, au lendemain de 2017, quand Jean-Luc Mélenchon pouvait s’enorgueillir de son score à la présidentielle, La France insoumise excluait toute alliance quelle qu’elle soit. Les Verts et les socialistes, accusant le coup des 6% de Benoît Hamon, prêchaient alors le contraire, fustigeant le dogmatisme dégagiste et populiste du mouvement insoumis. Seulement, trois ans ont passé, et les dynamiques se sont inversées : EELV commence à souffrir du même hybris et penser que son terreau idéologique est suffisant à faire germer une candidature présidentielle autonome…
Bérézina en vue, donc. Un scénario à l’italienne de disparition pure et simple de la gauche du paysage politique n’est pas à exclure. Sauf à ce que le nombre pléthorique de candidats sur la ligne de départ pour 2022 ne conduise in fine à un éveil des consciences. Gageons que les leçons de 2002 et 2017 aient été retenues.
La gauche creuse encore
Mais le mal qui ronge la gauche dépasse largement la simple question du casting. Sur quoi se fracture-t-elle ? Sur des thématiques qui seront, sans aucun doute, au cœur de la présidentielle à venir : souverainisme, violences policières, la place de la question sociale face aux problématiques de genre, raciales. À l’heure où Macron enchaîne les paroles et les actes autoritaires, liberticides, qu’il rompt totalement avec les positions du candidat qu’il fut en 2017, alors qu’il est empêché sur le social (on l’a vu avec l’arrêt brutal de la réforme des retraites), sur sa réforme constitutionnelle, le Président s’en prend à tout ce qui l’a gêné dans sa politique tout du long du quinquennat : le droit, l’État de droit, les libertés, les intermédiaires. Malgré tout cela, il n’y a pas de réactions chez les socio-démocrates. C’est même pire que ça : ils suivent. Ainsi a-t-on entendu Anne Hidalgo remettre en doute le positionnement de ses alliés écologistes sur les valeurs de la République. Ainsi a-t-on vu Yannick Jadot soutenir des propos sur le burkini, ou encore tendre ostensiblement la main à la droite. Sans que cela ne perturbe, officiellement, le parti EELV qui ne saurait assumer un Jadot 2022 sans s’étouffer de couleuvres. Cette situation où plus personne à gauche n’ose assumer ses propres idées, préférant le buzz facile, accompagne la grande démoralisation de la gauche sociale.
Bérézina en vue, donc. Un scénario à l’italienne de disparition pure et simple de la gauche du paysage politique n’est pas à exclure. Sauf à ce que le nombre pléthorique de candidats sur la ligne de départ pour 2022 ne conduise in fine à un éveil des consciences. Gageons que les leçons de 2002 et 2017 aient été retenues. Quelques voix seulement ont manqué, nous rappelle-t-on, souvent. Pour la gauche de la gauche, une des solutions évidentes, c’est la candidature de Jean-Luc Mélenchon. Solide sur la question sociale, il a réussi à embrasser, même imparfaitement et maladroitement parfois, beaucoup des luttes et des colères qui traversent notre société. Sa candidature est à ce titre parfaitement légitime. Mais pour aller plus loin, il va aussi falloir qu’il incarne – et pour ça, il ne peut pas être seul – un horizon qui dépasse la seule question du programme politique de parti. Cet horizon, certains le préfèrent dans le renouveau démocratique, la Sixième République, la remise en question totale d’un système institutionnel qu’ils assurent vérolés par des années de confiscation du pouvoir, le détournant ainsi de l’intérêt général. Seulement, ce n’est pas juste un pin’s que l’on peut arborer les quelques mois avant une élection pour l’oublier ensuite, ou un vœu pieu que l’on inscrit au fronton d’un programme en omettant de se l’appliquer à soi-même. Un changement de République pour donner plus de pouvoir au peuple et non plus à une élite politique considérée à tort ou à raison comme une caste qui s’auto-reproduit et qui s’accroche à ses postes, ça s’incarne. Pour l’instant, on ne peut que constater que les appareils politiques en place semblent impuissants à faire émerger une telle incarnation enthousiasmante et collective du renouveau démocratique. Car à ce stade, toute victoire d’un candidat – d’une candidate ? – de la gauche se fera nécessairement par K.O. sur les autres. Au risque de laisser les autres sur le tapis.
Lu votre analyse, elle pourrait s’adresser à votre directrice Clémentine Autun qui contribue à cette situation car élue avec des voix communistes elle a rejoint l’homme providentielle Mélenchon ce qui est le contraire des valeurs de gauche dont nous nous réclamons.
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