Anne-Claire Ruel est autrice et productrice du podcast Les Moments Vacants, et créatrice de Call Pol.
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Regards. Fin septembre, vous avez sorti sur Instagram un « truc » qui s’appelle Call Pol. Mais c’est quoi ce truc ? Comment le fabriquez-vous ?
Anne-Claire Ruel. Call Pol est une conversation WhatsApp entre un petit groupe de personnes [1] que j’ai réuni pour décrypter l’actualité. Puis je diffuse sur Instagram des captures d’écran de cette conversation. Cela peut paraître comme un OVNI, mais je suis partie du constat qu’on allait beaucoup parler de la présidentielle sur les chaînes d’info en continue, etc., et je me suis mis dans la posture de quelqu’un qui avait envie de suivre l’actualité sans avoir beaucoup de temps pour cela. Je me suis dit que ça pourrait être chouette d’avoir une conversation assez rapide qui donne peut-être envie d’aller plus loin après en lisant d’autres articles. Ça n’a pas vocation à être exhaustif ou super pointu, ce n’est qu’une conversation où rien n’est éditorialisé. C’est spontané, on ne prépare pas du tout ces conversations à l’avance. Le deal, c’est que chacun vienne avec le sujet dont il veut parler et les autres peuvent réagir, comme dans n’importe quelle conversation en fait. L’idée est, par la suite, d’ouvrir notre conversation, même aux gens qui nous interpellent sur les réseaux.
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Parler politique, notamment avec la présidentielle à venir, sur les réseaux sociaux, à quoi ça sert ? Je demande ça parce que selon un récent sondage, 62% des jeunes estiment que la communication politique n’a pas sa place sur les réseaux sociaux...
Je pense que, malgré tout, on touche un public qui s’intéresse déjà à la politique. J’adorerais que les gens s’y intéressent plus largement, s’emparent des sujets et débattent. Car, au fond, c’est toujours pareil : on n’aime pas les politiques mais on aime la politique. Même sur les réseaux sociaux.
Avant Call Pol, vous aviez créé le podcast Les Moments Vacants, début 2019. Kézako ça aussi ?
Les Moments Vacants, c’est un podcast qui explore notre rapport au temps. Ce sont des conversations – encore ! – avec des philosophes, des écrivains, des sociologues, des scientifiques, pour essayer de comprendre notre rapport au temps et notre difficulté quant à ce qui a trait au vide, au rien.
« Habiter le monde, c’est habiter le temps. Ce qui est assez intéressant avec la présidentielle, c’est de voir comment on se réfère au temps : est-ce qu’on regarde vers le temps passé, vers le temps futur ? Qu’est-ce que ça dit de notre temps présent ? »
Après 28 épisodes, finalement, comment répondriez-vous à cette question : c’est quoi un moment vacant ?
Pour moi, c’est un moment complètement plein, un moment où l’on peut être très créatif, où l’on peut avoir des idées par arborescence et là, tout s’enchaîne.
Est-ce que ce n’est pas ça, au fond, le problème de nos sociétés : le moment vacant n’existe pas ? Ou, du moins, il n’est pas socialement/sociétalement accepté...
On donne beaucoup de valeur au temps. Comme s’il y avait un temps productif et un temps non-productif. Mais je suis convaincu que le moment vacant est aussi un moment productif. Il faut arrêter de raisonner en silo, en fait c’est un continuum : un moment vacant peut initier l’action qui va suivre après. C’est aussi une donne biologique : le temps de repos est essentiel – au-delà des combats politiques – pour que le corps puisse se régénérer, pour que notre cerveau puisse se calmer. L’idée n’est pas de militer pour que l’on devienne « bon à rien ». Mais ce rapport au vide dit quelque chose de notre réflexion autour de la finitude. Quand on interroge quelqu’un sur ses moments vacants, il nous dit qui il est. Notre rapport au rien dit beaucoup de nous sur notre rapport au temps, à la vie, à la mort, etc.
Finalement, est-ce qu’on pourrait imaginer une politique du moment vacant ?
Pour l’instant, on raisonne en vacances, réduction du temps de travail. Mais pourquoi ne pourrait-on pas imaginer des prescriptions pour avoir des moments vacants ? Ou bien un ministère du Temps libre comme en 81 ? Il faut avoir conscience que l’on n’est pas tous égaux face au temps. Par exemple, les personnes ayant plusieurs emplois à temps partiel, ou la caissière de supermarché qui travaille très tôt le matin et très tard le soir, on pourrait croire qu’ils ont des moments vacants au cours de la journée, mais pas du tout. C’est comme ceux qui travaillent pendant leur pause-déjeuner... Ce n’est pas du temps pour soi. On achète aussi du temps disponible. Quand on se fait livrer ses repas par exemple, le temps que l’on achète – parce qu’on n’a pas le temps ! –, c’est celui du livreur. Mais le moment vacant n’est pas nécessairement lié ou opposé au travail. Ce n’est pas binaire. Les artistes, par exemple, n’ont pas l’impression de souffrir de tout ça puisque le travail est leur moment de créativité. Habiter le monde, c’est habiter le temps. Ce qui est assez intéressant avec la présidentielle, c’est de voir comment on se réfère au temps : est-ce qu’on regarde vers le temps passé, vers le temps futur ? Qu’est-ce que ça dit de notre temps présent ?
Propos recueillis par Loïc Le Clerc