Accueil | Par Loïc Le Clerc | 16 décembre 2020

Conseil constitutionnel, Conseil d’État, CNCDH : le macronisme dans l’impasse du droit

De projets de loi en ordonnances, la politique menée par le gouvernement se heurte régulièrement au mur de l’État de droit. Si nos libertés restent globalement garanties, les tentatives d’atteintes se multiplient, d’autant plus en temps de crise.

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Le 25 novembre, le Conseil d’État annulait deux dispositions importantes de la réforme de l’assurance-chômage : les modalités de calcul de la base de l’indemnisation et le bonus-malus sur la cotisation chômage de certaines entreprises, jugés contraire au principe d’égalité.

Le 27 novembre, le tribunal administratif de Paris levait l’interdiction de la marche des libertés contre la loi Sécurité globale. Le préfet de police n’avait autorisé qu’un rassemblement statique, justifié selon lui par la situation sanitaire. Ce même jour, le Conseil d’État suspendait une ordonnance défendue par le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti, laquelle permettait d’utiliser la visioconférence lors des audiences en matière criminelle.

 

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Le 29 novembre, la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’homme) rendait son avis concernant cette loi Sécurité globale : « La loi pénale ne saurait être mise au service du contrôle des images de la police républicaine et, ce faisant, de la protection indirecte de ses déviances ». Son président, Jean-Marc Burguburu, avait d’ailleurs qualifié cette proposition de loi de « nouvelle étape de la dérive sécuritaire en France ».

Le 3 décembre, le Conseil constitutionnel déclarait « contraires à la Constitution les articles 30, 51, 63, 65, 66, 68, 69, 71, 74, 80, 81, 85, 86, 88, 102, 103, 104, 110, 115, 116, 123, 129, 135, 136, 137 et 149 de la loi d’accélération et de simplification de l’action publique ».

Plus tôt cette année, c’était la réforme des retraites, la loi Avia contre la haine en ligne et la loi de sûreté antiterroriste qui étaient quasi intégralement vidées de leur substance par les juges.

Ce ne sont que quelques exemples récents de ce que l’on pourrait qualifier de camouflets pour l’exécutif et sa majorité parlementaire. Et la machine s’accélère.

À situation extraordinaire, censure extraordinaire

Contacté par Regards, le Conseil d’État confirme que « le nombre de référé-libertés a fortement augmenté en raison de la crise sanitaire : 1000 depuis le mois de mars ». Mais est-ce une situation exceptionnelle ? Oui et non, à en croire Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne : « Le Conseil constitutionnel est également régulièrement saisi, soit en a priori sur les lois instaurant ou prorogeant l’état d’urgence sanitaire, soit dans le cadre de la QPC [question prioritaire de constitutionnalité, ndlr] des contestations d’atteinte à la liberté d’aller et venir, à la liberté de réunion, à la liberté d’opinions. Donc oui, les juges sont actuellement très sollicités, plus qu’à l’ordinaire. Mais nous ne sommes pas dans une situation ordinaire. »

Beaucoup de procédures, certes, mais pourquoi a-t-on l’impression que les grandes juridictions viennent de plus en plus censurer l’action publique ? Est-ce la contestation qui grandit ou bien s’agit-il d’un amateurisme législatif ? Dominique Rousseau poursuit : « Il faut bien distinguer les deux types de contentieux : ceux liés à la crise sanitaire et les contentieux ordinaires. Pour ce qui est de la crise, cela veut dire que les décisions qui sont prises portent atteinte aux droits et libertés et, par conséquent, les associations, les citoyens réagissent et contestent devant le juges les décisions. Sur les autres contentieux, cela signifie que les lois qui ont été votées par le parlement ne l’ont pas toujours été dans le cadre constitutionnel. Par exemple sur la loi sur l’université, le principe d’indépendance des professeurs. Par exemple sur l’assurance-chômage, le respect des conventions internationales sur le droit du travail. On pourrait citer aussi le contentieux sur l’inaction de l’État en matière de lutte contre le réchauffement climatique. »

Il faut savoir que tous les projets de loi passent devant le Conseil d’État qui, comme son nom l’indique, conseille alors le gouvernement. Mais « ce dernier n’est pas obligé de suivre les conseils de réécriture », explique Dominique Rousseau. On peut s’interroger sur la façon dont sont écrites ces lois retoquées ou censurées. À quoi jouent le gouvernement et les députés LREM ? Pourquoi personne ne réagit quand le sénateur Philippe Bas juge l’article 24 de la loi Sécurité globale « inapplicable et inconstitutionnel », quand même le ministre de la Justice émet des doutes quant à la constitutionnalité de cette loi ? Concernant cette loi justement, à la CNCDH, on juge qu’il n’est « pas normal que cette proposition de loi soit en fait un projet de loi déguisé. On le regrette, parce que si cela avait été un réel projet de loi, assumé par le gouvernement, il y aurait eu des demandes d’évaluations nécessaires sur ce type de loi. »

Tentation illibérale

Le bon fonctionnement des institutions devient presque un problème pour le politique. Alors, se met en place un drôle de jeu. Ainsi Yaël Braun-Pivet, présidente LREM de la commission des lois de l’Assemblée nationale, peut sereinement déclarer à propos du Conseil constitutionnel que « toute institution doit évoluer » et qu’elle souhaiterait pouvoir disposer d’une « mesure contradictoire au Conseil constitutionnel ». Que n’aurait-on entendu si ce genre de propositions étaient venues des rangs de l’extrême droite !

« Il y a une ambiance difficile pour les juges, abonde Dominique Rousseau, mais ils n’hésitent pas à censurer. Évidemment, les parlementaires ne sont pas contents, mais c’est assez classique qu’ils le manifestent. Les parlementaires, élus par le peuple, n’aiment pas beaucoup être sanctionnés par un Conseil constitutionnel. Mais c’est le rôle des juges de vérifier si les décisions prises par le parlement, même en état d’urgence, restent inscrites dans le respect de la Constitution. Ils mettent des bâtons dans les roues qui voudraient porter atteinte aux libertés et à la Constitution. C’est précisément dans ces moments de crise, quand la société a peur, que les contre-pouvoirs, et notamment les contre-pouvoirs juridictionnels, sont importants pour maintenir un contrôle et doivent être d’autant plus vigilants. Regardez ce qu’il s’est passé en Pologne ou en Hongrie : c’est sûr qu’en supprimant les juges, les parlementaires sont tranquilles ! »

Si la France est encore loin des situations polonaise ou hongroise, on observe un doux glissement vers l’illibéralisme, voire l’autoritarisme – comme le démontre la porte-parole d’Attac, Aurélie Trouvé, dans une tribune publiée dans l’Obs dimanche dernier. La responsabilité de l’échec d’une loi – notamment quand il est affaire de sécurité, de terrorisme, etc. – est rejetée sur la censure des différentes juridictions, et non pas sur la tentative de faire voter une loi anticonstitutionnelle. « On fait monter de l’animosité, voire de l’hostilité à l’égard de ces juges qui empêcheraient le gouvernement de protéger les Français, constate Dominique Rousseau. Il est toujours très dangereux lorsqu’on s’amuse à instrumentaliser la justice. Affaiblir le contrôle juridictionnel, c’est affaiblir un des piliers de la démocratie. »

Le constitutionnaliste déplore les diverses tentatives (loi Sécurité globale, loi sur les séparatismes, loi sur la recherche) permises par « l’air du temps populiste qui gagne y compris la France ». Raison pour laquelle, selon lui, « il faut souffler en sens contraire, en faveur l’État de droit et du maintien de l’indépendance des juridictions, afin d’éviter ce glissement ».

À la CNCDH aussi, on s’inquiète de ce climat de défiance : « Nous nous sommes alarmés du contournement des processus démocratiques et, notamment, de la banalisation de l’exception, avec un nombre important de procédures accélérées sur toutes les procédures législatives. C’est presque devenu la norme. Il y a un problème dans le débat parlementaire. Sur l’état d’urgence sanitaire, on déplore le fait que l’exécutif concentre beaucoup de pouvoirs. On a passé les cinq dernières années la moitié du temps en état d’urgence. »

L’exception devient la règle. La démocratie s’incarne plus dans le Conseil de défense qu’au Palais Bourbon. Et les contre-pouvoirs lassent le Président. Mais tout va bien au pays des droits de l’homme.

 

Loïc Le Clerc

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