Difficile de faire plus clair lorsqu’Éric Ciotti déclare, il y a quelques jours : « Ce qui nous sépare avec le RN c’est notre capacité à gouverner ». Pour le député LR, plus rien ne semble séparer le RN des LR sur le fond.
Les Républicains de Bourgogne viennent même de sceller un accord pour les élections régionales avec le mouvement de Nicolas Dupont-Aignan, Debout la France. Celui-là même qui aurait dû devenir Premier ministre de Marine Le Pen si elle avait été élue en 2017 – selon la promesse de la candidate du « Rassemblement bleue Marine » –, ne sait plus vraiment où il habite. L’heure est donc aux combines électorales.
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Mêmes combines en Île-de-France où la candidate sortante, Valérie Pécresse, sans chercher un accord avec Jordan Bardella – tête de liste du Rassemblement national et crédité de 19% des intentions de vote dans un dernier sondage – s’essaie au jeu du plus-droite-que-moi-tu-meures : « Il faut cesser de nier le lien entre terrorisme et immigration. Il y a un lien », a-t-elle assuré dans Le Grand Rendez-vous d’Europe 1, CNews et Le Figaro. Thierry Mariani a été précurseur. Et l’ex-UMP est désormais candidat RN en PACA. Ses chances de victoire suscitent d’ailleurs de vives tensions : Renaud Muselier (président sortant LR), après avoir scellé un accord avec LREM, vient de se voir retirer son investiture par le patron des LR. La droite risque de se diviser. Et le RN mène joyeusement la danse.
À gauche, on délivre aussi des brevets en respectabilité de la présidente du RN. Ainsi, selon Julien Dray, secrétaire national du Parti socialiste – responsable de la prospective –, Marine Le Pen n’est pas « de même nature » que son père : « Je pense que ce n’est pas la même chose. Je vais aller jusqu’au bout, on diabolisait le Front national de Jean-Marie Le Pen parce qu’il faisait lui-même référence à des parties de l’histoire qui étaient diaboliques. Ce n’est pas le cas de Marine Le Pen », a-t-il suggéré sur CNews. Le média de propagande de l’extrême droite agit sur ses propres chroniqueurs : les quelques rares cautions de « gauche » de la chaîne en sont réduites à devoir dire du bien de la favorite de Bolloré (le patron de CNews). Olivier Faure a tout de suite recadré celui que l’on surnomme le « baron noir ». Et pour son camarade Boris Vallaud, député des Landes : « L’extrême droite, c’est l’extrême droite, peu importe qui la représente ». Voilà qui est dit et bien dit. Mais le mal est fait. Le mal est fait aussi quand une partie de la gauche – ou prétendument de gauche – tente de se construire une « crédibilité » ou plutôt estime donner des gages de « responsabilité » en apportant les mêmes réponses aux « bonnes questions » que se poseraient Marine Le Pen et ses amis. Cette gauche qui oublie parfois d’être de gauche. Qui n’assume pas vraiment être de gauche. Qui préfère taper, cogner et soupçonner ses petits camarades à coup de « êtes-vous bien républicains » ?
Tous les sondages sont inquiétants. Marine Le Pen, en plus de surclasser les candidats – ou prétendus candidats à la présidentielle – semble gagner en « crédibilité ». Elle progresse de manière significative sur les indicateurs de « bonnes opinions » ou de « confiance ». Et elle est de moins en moins perçues comme une candidate « extrême » et « non républicaine ». C’est un cercle vicieux. Tout le monde, ou presque, estime aujourd’hui qu’elle peut devenir la prochaine présidente de la République. Et rien qu’en le disant, on se l’imagine, on se le projette – tel un cauchemar – et on participe de la construction d’une crédibilité politique. Et donc de sa probable victoire. Le fameux « on fait le jeu de ». Dans le même temps, nier cette hypothèse serait irresponsable. Parce que si Marine Le Pen a l’art de s’autodétruire lors des campagnes électorales – elle était créditée de 26% et a recueilli 21,3% des suffrages en 2017 – il y a fort à parier que, pour cette fois, les leçons sont bien retenues. Le message du 1er mai adressé à la jeunesse depuis son compte Twitter en était un parfait exemple. Et peut-être que si on n’avait pas la gauche la plus bête du monde, c’est-à-dire une gauche qui s’assume être de gauche, une gauche qui porterait un projet crédible, s’adressant aux classes populaires – qui ont le plus à perdre avec la droite ou l’extrême droite au pouvoir –, peut-être alors qu’on n’en serait pas à tergiverser sur les probables victoires de l’extrême droite à venir.
Les alliances inter partisanes sont l’essence même de la politique, du moins dans les régimes où il y a une pluralité de partis. Quand le régime impose un seul parti le jeu politique, sans cesser d’exister, est d’une autre nature. En France, le pluralisme est la règle et il faut en accepter les principes. On ne peut à la fois les accepter et les rejeter. Et le premier de ces principes énonce que tous les partis sont égaux en droit. Il n’y a pas de hiérarchie parmi eux, avec les bons et les mauvais, pas plus qu’il n’y en a entre les citoyens qui expriment leur confiance à tel ou tel parti, et leur défiance à tel ou tel autre.
Alors tous font de la politique et présentent leurs candidats aux élections. Parmi leurs ressources figure en bonne place l’alliance en vue de former une majorité au parlement, rarement accessible pour un parti sans l’aide d’aucun autre.
Seules les règles de droit les contraignent en ce domaine.
Aucune loi n’interdit aux partis de gauche modérée de faire alliance avec les partis d’extrême-gauche. On fait même mine de considérer que celle-ci n’existe pas, ou que ses frontières sont si lointaines que cela revient à n’y inclure personne ou presque. On parle alors de ‘la gauche’, comme d’un bloc à qui toutes les libertés sont possibles.
Mais aucune loi non plus n’interdit aux partis de droite modérée de faire alliance avec les partis d’extrême-droite, et de repousser aussi loin qu’il lui faut les frontières de celle-ci. On parlerait alors de ‘la droite’. L’affrontement (re)deviendrait binaire, gauche contre droite, et non ternaire, avec la gauche, la droite et l’extrême-droite.
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