Accueil | Par Loïc Le Clerc | 13 juin 2019

Macron est-il un danger pour la République ? Épisode 2 : la justice

Alors que le Président fête se deux ans au palais de l’Elysée, nous proposons de faire une sorte de bilan : Emmanuel Macron est-il un danger pour la République ? Après la liberté de la presse : la justice.

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Article 64 de la Constitution : « Le Président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire »

Dans l’épisode 1 de cette série sur « Emmanuel Macron est-il un danger pour la République ? », nous vous parlions du rapport malsain qu’entretient le chef de l’Etat aux médias. Depuis, le hasard faisant bien les choses, la Macronie nous a d’elle-même trouvé une transition. Alors que plusieurs journalistes se voyaient convoqués par la DGSI – que cela concerne la vente d’armes à l’Arabie saoudite ou l’affaire Benalla –, Emmanuel Macron lui-même arguait à ce propos que « la protection des sources, c’est très bien, mais il y a la protection de l’Etat et une réserve qui doit prévaloir ». De son côté, la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, justifiait cette entrave au secret des sources comme ceci : « Les journalistes sont des justiciables comme les autres ». Or, c’est faux. Et ce n’est certainement pas au pouvoir exécutif d’en décider. Tout un symbole.

 

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Fouler du pied une liberté fondamentale, la liberté de la presse, au nom de la défense de l’Etat, la ficelle semble bien grosse. Ce qui nous amène à la question suivante : Emmanuel Macron est-il un danger pour la justice ?

Le principal coup a été porté le 23 mars dernier, avec l’adoption de la réforme de la justice. C’est plus qu’une profession qui s’est élevé contre ce texte de loi, c’est tous les acteurs du monde de la justice, qu’ils soient magistrats, greffiers, avocats ou qu’ils viennent de la « société civile ». Fidèle à sa méthode, l’exécutif n’aura discuté avec personne. C’est qu’on ne négocie pas avec Emmanuel Macron. La loi, c’est lui.

La justice version start-up nation

En France, le budget consacré à la justice est de 7 milliards d’euros annuel, pour environ 30.000 fonctionnaires de justice, 70.000 avocats et 8500 magistrats en exercice – soit autant de magistrats qu’au XIXème siècle. Sauf que depuis 200 ans, la population française a grandement augmenté, ainsi que le nombre de litiges. Mais au-delà du manque de magistrats, ces derniers souffrent de la diminution perpétuelle du nombre de fonctionnaires de justice, greffiers en tête. Une juge exerçant en Seine-Saint-Denis, sous couvert d’anonymat, nous raconte qu’elle change de greffier toutes les semaines, quand elle en a un à ses côtés… En fait, tout est sous-dimensionné : le personnel, les bureaux, le matériel informatique, etc. Comme un signe du temps, le nombre d’arrêts-maladie est en hausse au sein des acteurs de la justice. Moins d’argent, moins de gens, moins de temps. Un juge peut-il décemment rendre la justice avec la même clairvoyance quand il rend sa décision au bout de la nuit, après une journée à voir défiler les affaires ?

Emmanuel Macron fait-il pire que ses prédécesseurs ? « Il est dans la continuité, nous explique Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature. C’est une extension sans fin de l’idéologie sécuritaire. Sa spécificité est dans la manière de présenter les choses de façon simple, moderne et pragmatique, sous-couvert d’une soi-disante absence d’idéologie. La ministre de la Justice nous a même dit qu’elle voulait faire une loi "débarrassée des oripeaux de l’idéologie". » C’est que le Président veut aller plus loin, intensifier le travail de démantèlement de la justice. A l’instar de tout service public, il a entrepris une vaste opération de privatisation de la justice, avec pour justification… l’état laborieux du service public.

Pour Katia Dubreuil, ce « sous-dimensionnement structurel du budget de la justice » n’est pas neutre : « On barre l’accès au juridiction, afin que le juge soit moins saisi et qu’il y ait moins d’affaires. Mais comme il faut quand même traiter ces contentieux, on passe par le privé. » En effet, auparavant, certains contentieux se réglaient au tribunal d’instance, parfois sans avocat, de toute façon sans frais. Désormais, des « plateformes » pourront servir de lieux de médiation des conflits. En matière familiale ou concernant le droit du travail, c’est de plus en plus à la mode. En soi, la médiation n’est pas un problème. Sauf quand il passe du statut de service public à celui de marché. Car ces plateformes seront gérées par des entreprises privées. Aux dires de Laurence Roques, présidente du Syndicat des avocats de France, « c’est très simple : la neutralité du juge en tant que service public, même apparente, n’existera plus ».

Illusion de modernisme

Sachez-le, Emmanuel Macron veut valoriser la justice de proximité. Il veut faire rentrer la justice dans les foyers. Quelle audace ! Sauf que, on commence à en avoir l’habitude, ses actes sont antinomiques de ses paroles. Comment compte-t-il s’y prendre ? Par la suppression des tribunaux d’instance (concentrés en un tribunal par département) et par le numérique. Plus loin et en même temps plus près ?

Par la dématérialisation, non seulement le service rendu n’est pas le même, mais cela aggrave nécessairement les inégalités sociales. D’après le Défenseur des droits, 25 à 30% des Français sont en situation de fracture numérique. Quant à ceux qui maîtrisent les outils numériques, ils se retrouverons seuls face au vocabulaire juridique avec toutes les difficultés que cela comprend. « Cette rationalisation des procédures remet en cause l’accès au juge et la garantie du procès équitable », souligne Dominique Noguères, vice-présidente de la LDH. Pour couronner le tout, « rien n’est prêt pour l’ouverture de la saisine en ligne de la justice. Les moyens informatiques, les logiciels, etc., la justice est à l’âge préhistorique », lance Katia Dubreuil.

Par la centralisation, la justice perd un peu plus sa fonction de service public. Les tribunaux d’instance étaient des lieux où chacun pouvait venir déposer son dossier, expliquer son histoire avec ses mots, obtenir l’aide d’un greffier pour remplir les formulaires et rencontrer un juge, le tout sans frais de justice. Laurence Roques ne cache pas son agacement :

« Sous prétexte de recentrer le juge sur son cœur de métier – les beaux dossiers –, on met la justice du quotidien à la marge. Et le justiciable, il ira voir ailleurs ! Leur grande idée, que ce soit avec le numérique ou la territorialité des tribunaux, c’est de fermer des lieux de justice sans le dire, et surtout de diminuer le nombre de fonctionnaires. »

Pour résumer, non seulement la justice de proximité s’éloigne – avec l’illusion inverse via le numérique – mais elle devient aussi payante. Les questions qui se posent sont les suivantes : les justiciables pourront-ils toujours avoir accès à un juge ? La justice devient-elle un luxe ? La justice se rend-elle toujours « au nom du peuple français » lorsqu’elle est privatisée ? « Le risque c’est que la justice ne joue plus son rôle d’institution qui aide à la paix sociale », déplore Katia Dubreuil. De son côté, Laurence Roques craint surtout que l’« on crée des zones de non-droit. Comme pour la santé, il y a ceux qui auront les moyens d’être bien soignés et les autres. »

Un jour, l’indépendance du parquet…

Emmanuel Macron, ça n’est pas que des mots et des actes, c’est aussi un style. On ne développera pas ici l’éternel problème de la non-indépendance du parquet – dont le rattachement à la Chancellerie autorise tacitement la suspicion du parquet « aux ordres ». Katia Dubrueil constate « une utilisation assez maximaliste des textes qui permettent ce lien avec le parquet ». L’exemple le plus flagrant a été la nomination du procureur de Paris. Edouard Philippe a ostensiblement mis en scène ses entretiens avec les candidats, souhaitant que le futur procureur soit « en ligne et à l’aise » avec l’exécutif.

Ça se passe comme ça, en Macronie. « La façon dont le pouvoir conçoit ses relations avec la justice est très problématique », juge Katia Dubreuil. Elle est d’autant plus inquiète qu’« avec l’extrême droite aux portes du pouvoir, et Emmanuel Macron qui se présente comme le seul rempart, il y a une difficulté à expliquer que c’est bien le pouvoir en place met en place des mesures dont l’idéologie est extrêmement régressive ».

Certains en viennent à regretter le temps où Sarkozy s’en prenait à eux. Il était dans la provocation, mais cela avait le mérite de provoquer une réaction. « Avec Macron, c’est beaucoup plus insidieux », nous glisse une magistrate, déplorant « l’entreprise de déstabilisation de tout ce qui se rattache aux idéaux de la République. Ça n’est pas un dégât collatéral, c’est un projet de société bien pensé. » Un projet de société qui n’aura pour seule conséquence qu’une justice injuste.

 

Loïc Le Clerc

Prison : vous avez dit laxisme ?

52.000 détenus en 2002. 72.000 aujourd’hui, pour 61.000 places de prison. Le ratio augmente beaucoup plus vite que la population française. Et d’aucuns qualifient cela de « laxisme »… En parallèle, on constate une baisse du nombre de saisine des juges d’instruction. Ces deux données mises côte-à-côte indiquent une seule chose : la France incarcère plus pour des faits moins graves que par le passé. En effet, en matière criminelle, la saisine du juge d’instruction est obligatoire. CQFD.

La question de la détention provisoire est centrale. En avril dernier, on dénombrait 20.000 prévenus derrière les barreaux des maisons d’arrêt. Ici, le taux de surpopulation carcérale est de 140%. En comparaison, dans les centrales (peines supérieurs à 10 ans), il n’y a pas de surpopulation. Pour Marie Crétenot, responsable du plaidoyer à l’Observatoire international des prisons, « rien qu’avec des aménagements de peine – pour les 19.000 personnes emprisonnées pour une peine de moins d’un an –, on règle le problème de la surpopulation carcérale ».

La difficulté avec Emmanuel Macron et ses semblables, c’est qu’ils sont « très forts en communication, explique Marie Crétenot. Au moment de la réforme de la justice, ils ont sorti de nulle part le chiffre de 8000 détenus en moins grâce à cette loi – ce qui est faux. Et en même temps, ils annoncent la création de 15.000 places de prison. » Sophie Chardon, vice-présidente du Genepi, est lasse : « Plus on construit de places de prison, moins on aménage les peines, plus on enferme. C’est juste logique. Dire le contraire est un mensonge. »

La force du « et en même temps ». Et ses ravages sur les vies humaines. La prison en France, on pourrait la résumer en trois points : 1/ la dégradation des conditions de travail des fonctionnaires de justice, qui se traduit par une dégradation des droits des justiciables. 2/ la surpopulation carcérale, la France est le troisième pire pays d’Europe, après la Macédoine et la Roumanie. 3/ en 2018, il y a plus de 130 morts en prison. En 2019, on est déjà à 25.

 

L.L.C.

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