Accueil | Par Louise Deschamps | 10 août 2020

En ville, la révolution industrieuse

À la faveur de la nouvelle donne économique, numérique et écologique, de nombreuses villes anticipent et favorisent le retour de la production industrielle et artisanale. La mutation a commencé.

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Ce n’est pas dans leur ADN. Et pourtant, de plus en plus de villes se trouvent directement impliquées dans des politiques publiques en faveur du retour de la production matérielle sur leur territoire. Toutes n’ont pas les mêmes raisons politiques de le faire : certaines doivent reconvertir des friches, d’autres veulent contribuer à l’emploi d’un monde ouvrier à la peine. Parfois, elles se sont convaincues que l’avenir de la planète suppose la relocalisation d’activités. D’autres, enfin, pensent que c’est en elles que se joue la compétition économique internationale – dont la compétition industrielle – et qu’il faut donc inventer ce nouvel âge. Qu’elles se croient « nouveau monde », se pensent fidèles à leur passé ou se veuillent écolos, les villes se préoccupent désormais de la production en leur sein.

 

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Ce lien ville-industrie n’est évidemment pas nouveau. L’histoire de la plupart des villes est liée à l’implantation d’activités entre 1850 et 1950. Beaucoup de cités agricoles se sont développées au rythme d’industries à la recherche de terrains et de bassins d’emploi. Les anciens villages proches des centres-villes offraient cette opportunité : les champs se sont convertis en vastes ateliers. En quelques décennies, les noyaux villageois sont devenus des ensembles avec des trains, des logements, des écoles, des stades… Sur une grande part du territoire français, l’industrialisation fut le moteur du développement urbain. Les collectivités locales n’avaient guère de pouvoir face aux capitaines d’industrie, et la ville vivait au rythme imposé par l’usine.

Reconvertir les friches industrielles

Mais, à partir des années 1960, la désindustrialisation a laissé sur le carreau les ouvriers et créé de grandes friches industrielles. Les villes sont alors devenues, par nécessité, les actrices d’une mutation d’ampleur. Au début, beaucoup d’entre elles ont résisté au départ des activités en maintenant ces anciens terrains en zone exclusivement industrielle. Elles entendaient empêcher que ce foncier parte à la découpe pour des opérations immobilières, et espéraient préserver un possible retour de l’industrie. La création de zones d’activités fut un autre volet de cette politique qui visait à maintenir en cœur de ville des activités de production. Mais ce furent surtout des activités de maintenance et de logistique qui s’installèrent.

Au cours des années 80-90, de nouvelles stratégies voient le jour. Bobigny, par exemple, transforme les anciens terrains d’industrie en lieu de formation : une université dans une ancienne imprimerie ; un campus des métiers sur des terrains désormais sans affectation. Le département du Nord travaille à reconvertir les cathédrales d’industrie. Un « pôle image » de rang européen s’installe à Tourcoing à l’emplacement d’anciens sites industriels, sur un terrain de plus de cinq hectares. Au mitan des années 80, Saint-Denis et Aubervilliers s’associent pour repenser l’avenir de la Plaine Saint-Denis, alors plus grande friche industrielle d’Europe. De leur association naît un nouveau quartier d’habitat et d’activités tertiaires, un stade aussi.

Plus ponctuellement, les anciennes usines sont reconverties en lieux de culture, comme à Nantes où la fabrique de biscuits LU devient le Lieu unique. L’industrie ne revient pas, mais on installe sur ses terres des lieux de production contemporains, des lieux de création et de formation. La filiation est assurée.

Préparer le retour de l’activité

Ces réponses à la désindustrialisation se développent et de nombreux projets urbains continuent de se projeter sur des terrains hier encore dominés par une activité industrielle. Mais une nouvelle approche émerge : il s’agit désormais moins de panser les dégâts laissés par les paquebots abandonnés sur des sols pollués que d’imaginer un possible retour de la production dans le cœur des villes, à la faveur de la révolution numérique et de l’approche écologique.

Cette prospective se retrouve dans les politiques concrètes de nombreuses collectivités territoriales. Les plus courantes consistent à anticiper en prévoyant dans les constructions, au cœur même de la ville dense, des rez-de-chaussée avec une grande hauteur pour favoriser l’installation d’activités. Le territoire Est Ensemble, en région parisienne, entend ainsi renouer avec l’activité artisanale en imposant, dans les programmes de logements, des rez-de-chaussée de 4 mètres 50 susceptibles d’accueillir commerces et activités. Dans d’autres projets, c’est la transformation des parkings qui est prévue : construits en double hauteur, ces vastes plateaux pourront devenir des locaux d’activités si la place de la voiture décroît.

Il y a plus. Il ne s’agit pas seulement de favoriser un retour de locaux d’artisanat ou de petites productions, mais aussi d’accompagner une révolution industrielle et d’associer ces lieux de production au développement d’outils mutualisés pour le prototypage et la fabrication en petites séries. Souvent sous l’impulsion des collectivités locales, les « fab labs » prolifèrent et mêlent artisans, créateurs et autres « makers » – les faiseurs dans la langue de Shakespeare.

Décentraliser la production

Les plus visionnaires annoncent la décentralisation et la démultiplication des productions. Une pièce vient à casser ? Dans le fab lab, on la reconstitue avec l’imprimante 3D et, au « repair café », on fait le reste. Une économie circulaire commence à voir le jour, dans laquelle réparer vaut mieux que jeter. Cela va encore au-delà. Demain vous n’achèterez peut-être plus vos meubles en kit chez Ikea, mais les plans pour « imprimer » en 3D les différents éléments. La fabrication elle-même se décentraliserait. N’a-t-on pas vu, tout récemment, des Américains fabriquer leur voiture de course avec une imprimante ?

Désormais, la contrainte d’acheminer des matières premières et de les évacuer, une fois la transformation faite, se pose dans des termes nouveaux. Les semi-remorques et les larges infrastructures qui leur sont nécessaires seront probablement bannies des villes. Mais l’acheminement de matériaux vers l’atelier du quartier est compatible avec la ville et le voisinage. La révolution technologique qui permet la fabrication en plus petites quantités serait le nouvel eldorado de la production en ville. Des collectivités veulent l’anticiper. La ville de Brest se montre particulièrement ambitieuse en projetant la création d’un hyper-lieu ouvert sur la ville, accessible à tous, qui croiserait développement du numérique et économie circulaire.

C’est peut-être dans cette démultiplication des lieux, dans l’anticipation de locaux pour les accueillir que se joue le retour en ville de la production. La révolution numérique en cours est une opportunité. Elle ne se concrétisera que si on la prépare. La pression foncière est si forte que le maintien d’activités, même ultra-contemporaines, ne peut résulter que d’une volonté… politique !

 

Louise Deschamps

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