Le congrès de juin 2018 avait fait de Fabien Roussel le successeur de Pierre Laurent à la tête du Parti communiste français sur un programme clair : réaffirmer l’identité communiste. Et pour ce faire, il ne s’agissait pas de revenir à la promotion de la dictature du prolétariat ou d’envisager la fin de la propriété privée mais plutôt d’assumer une candidature indépendante à la prochaine élection présidentielle. Un pas de plus a été fait en cette direction avec le vote des délégués fédéraux ce week-end : ils sont plus de 66% à avoir validé cette proposition. Reste le vote des militants jusqu’au 9 mai prochain.
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Le PCF n’a pas choisi le meilleur moment pour décider de se lancer en solo dans l’aventure présidentielle : à l’heure où, sondage après sondage, on constate la rétractation de la gauche toujours plus avant, à l’heure où tout le monde parle d’unité et qu’une réunion doit même se tenir avec toutes les forces de gauche et des écologistes le 17 avril prochain à l’appel de l’eurodéputé vert Yannick Jadot, il décide de faire cavalier seul. La gauche, c’est le radeau de la Méduse et les rescapés s’entre-dévorent les moins de 30% d’électeurs qui restent… mais après tout, il est aussi vrai que, dans ce maelström version Titanic à la dérive, une candidature de plus apparaît presque comme une fatalité qui ne changera pas grand chose à l’affaire.
Is PCF really back ?
Cette candidature de Fabien Roussel pour 2022, si elle devait aller jusqu’au bout, valide le fait que le PCF ne croit plus, à ce jour, à la victoire de la gauche en 2022 – ce ne sont pas les seuls, direz-vous. D’un point de vue stratégique, la démarche peut pourtant apparaître pertinente : il s’agit surtout d’arriver en position de force lors des négociations avec les autres partenaires de la gauche pour les législatives qui suivront afin de sauver une nouvelle fois le groupe parlementaire à l’Assemblée nationale (qui doit se composer, sauf modification du règlement, d’au moins 15 députés). Le raisonnement est simple : nous avons un candidat à l’élection présidentielle, on va forcément parler du PCF pendant les quelques semaines qui vont précéder le scrutin, et cela va, selon les communistes, résonner avec le vécu de beaucoup de Français. Ergo : il existe une possibilité pour que les candidats aux législatives fassent des scores qui étonneront. Seulement, c’est un peu rapidement oublier la dernière élection européenne, en 2019, quand Ian Brossat avait mené de façon si dynamique une campagne qui n’avait abouti qu’au score pour le moins décevant de 2,49%.
À ce stade, la candidature de Fabien Roussel ne dépasse pas l’épaisseur du trait au niveau national mais elle a tout de même réussi à galvaniser une partie des troupes communistes : « Le PCF is back », « c’est le retour de la lutte des classes » ou encore « c’est la remontada », voit-on fleurir sur les réseaux sociaux des militants communistes. Il est vrai que cela aurait fait 15 ans en 2022 que le PCF n’avait eu de candidat à l’élection présidentielle et qu’une vieille conviction qui date au moins du début des années 1980 voudrait que l’effacement progressif du Parti communiste soit dû à l’absence chronique d’un champion pour le maroquin suprême de la Vème République. Mais la marginalisation du Parti tient sûrement plus de la dislocation de la classe ouvrière en tant que classe pour elle-même et à l’absence de renouvellement du discours autour du travail envisagé comme outil émancipateur qu’à une présence médiatique…
Les communistes votent jusqu’au 9 mai en toute connaissance de cause
C’est donc au nom de son histoire que le Parti communiste français souhaite reprendre du poil de la bête : en témoignent les différentes sorties et interviews de son secrétaire national qui multiplie les piques pour fustiger « les riches » sur un ton bonhomme qui plaît, dans une certaine mesure, aux médias et aux militants. Mais il n’en demeure pas moins que le PCF est traversé par de nombreuses fractures car nombre d’adhérents continuent de croire davantage à l’union de la gauche – ou à un ralliement à la candidature de Jean-Luc Mélenchon – qu’à une candidature autonome du parti. Parmi les délégués nationaux réunis ce week-end, ils étaient près de 30% à avoir voter contre l’autonomie à la présidentielle et 4% à s’abstenir.
Mais c’est sur le fond aussi que ça se fissure : certaines récentes prises de positions, à savoir l’abstention d’une majorité de députés communistes sur le projet de loi Séparatisme ou le communiqué de presse parlant des « dérives identitaires » de l’Unef, ont crispé jusqu’à provoquer le départ de la secrétaire fédérale du Vaucluse et animatrice de la commission de la lutte contre le racisme et pour l’égalité du PCF, Mina Idir. « On a mis ma commission sous tutelle en coupant et déformant systématiquement tous les textes que nous produisions, nous interdisant d’utiliser des mots comme islamophobie ou racisés », déplore-t-elle, ajoutant même : « Certains m’ont même parlé d’entrisme islamique au sein du Parti communiste ! »
Le Parti communiste français s’est donné un objectif pour 2022 et espère que cela sera suffisant pour remobiliser ses troupes pendant un an au moins. Mais pour quel résultat ? Et surtout, avec quelles perspectives pour la suite ? L’identité d’un parti est souvent ce qu’il reste quand la peau de chagrin des ambitions se réduit. Mais ce n’est pas forcément avec cela que l’on participe de la transformation sociale d’un pays. Certes, un peu comme la gauche qui serait contrainte et forcée de voter Emmanuel Macron s’il devait être au second tour face à Marine Le Pen, le PCF ne veut plus être considéré comme le prestataire de service de La France insoumise dans le cadre de la campagne de Jean-Luc Mélenchon pour 2022. C’est tout à fait compréhensible et l’on entend les arguments de ceux qui, parmi les militants communistes, en ont marre de servir de marche-pied – voire de paillasson – à une autre partie de la gauche. Pour autant, est-ce suffisant pour justifier d’aller s’enferrer la tête la première dans ce qui risque de s’avérer une impasse ? Une chose est sûre : les arguments de raison sont parfois insuffisants pour justifier une prise de position qui vient des tripes. Il y a donc un pari dans le choix d’une candidature autonome : ça passe (bravache et peu probable) ou ça casse (mais est-ce le problème principal d’une gauche digne de ce nom ?). Les communistes vont devoir choisir d’ici au 9 mai prochain et une chose est sûre : ils le feront en toute connaissance de cause.

Le retour d’une candidature PCF peut réjouir une partie des militants communistes, pour autant elle ne résoudra en rien, les difficultés et les erreurs stratégiques commises depuis plusieurs années. Ce sera une nouvelle défaite électorale si la candidature tient jusqu’au bout. Le PCF n’a pas su prendre à son compte les évolutions sociologiques, sociales et technologiques de notre société. Il y aurait, sans doute une place plus large pour les idées communistes, si les méthodes d’analyse, le fonctionnement interne, l’expression publique n’ėtaient pas brouillées par les habitudes et les schémas anciens.
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