Depuis le début de l’année, on recense 77 femmes tuées par leur compagnon ou ex-compagnon. Elles seront 140 à la fin 2019. C’est une femme assassinée tous les deux jours, parce que femme, sans compter les suicides. La plupart des féminicides interviennent au moment où la femme quitte son compagnon ou lorsque celle-ci tombe enceinte. Si le terme de féminicide n’est pas reconnu légalement, cela fait des dizaines d’années qu’il est utilisé, même à l’ONU – et ce bien avant que Marlène Schiappa et Emmanuel Macron en revendiquent la paternité.
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Selon Anaïs Leleux, membre du comité de pilotage de Nous Toutes, un collectif qui lutte contre les violences sexistes et sexuelles, le nombre de féminicides recensés est bien en deçà de la réalité :
« Depuis le début du mandat d’Emmanuel Macron, au moins 510 femmes ont été tuées. Je ne vois pas pourquoi on devrait remettre le compteur à zéro chaque année alors qu’il a voulu en faire la grande cause du quinquennat. »
Ces derniers jours, il y eut plusieurs interpellations aux politiques. Une tribune publiée dans Le Monde assure que « bon nombre de ces féminicides auraient pu être empêchés si les pouvoirs publics n’avaient pas dysfonctionné ». Une seconde tribune, publiée par Libération le 5 juillet, martèle : « Chaque nouveau décès, chaque marche blanche illustre de manière tragique que dans ce domaine notre pays piétine au lieu d’avancer. […] Qu’attend le gouvernement pour que la grande cause du quinquennat soit autre chose qu’un clic et des mots ? »
Le 6 juillet, une manifestation était organisée à Paris pour alerter sur le féminicide. « Protégez-les ! », tel était le mot d’ordre. Et quelle fut la réponse du gouvernement face à cette situation d’urgence ?
Communication morbide
Dans le JDD, Marlène Schiappa annonce l’organisation d’un « Grenelle des violences conjugales pour lutter contre les féminicides ». La secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes – et non ministre de plein exercice, comme l’avait promis le candidat Macron –, avance alors dans un pur langage macroniste : « Nous lançons autour du Grenelle une mobilisation nationale avec une grande consultation citoyenne et une campagne pour interpeller toute la société ».
Ce Grenelle se tiendra entre le 3 septembre 2019 – allusion au 3919, le numéro vert dédié aux femmes victimes de violence – et le 25 novembre – journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Des dates symboliques, s’il en est. Ou les limites de la communication. Rappelons que tous les deux jours, une femme est tuée. Il faudra donc attendre près de cinq mois pour qu’une réponse soit (peut-être) apportée. Ce qui devrait laisser le temps à une soixantaine de femmes de se faire assassiner.
« Le souci, c’est que le budget de l’Etat est voté au mois de septembre, souligne Anaïs Leleux. Avec ce Grenelle, on part donc plutôt sur l’exercice budgétaire 2021. La grande cause du quinquennat aura peut-être un peu d’argent pour la dernière année du quinquennat. »
Anaïs Leleux dit avoir « beaucoup de mal » avec l’action de Marlène Schiappa : « Concrètement, je ne vois pas ce qu’elle a fait depuis le début du quinquennat. Et quand on voit que Hulot et Darmanin ont été accusés de viol et qu’elle a couru dans le JDD pour dire à quel point c’était des hommes charmants, c’est problématique. Si elle n’a pas à se substituer à la justice, elle n’a pas non plus à aller discréditer la parole des victimes et faire le service après-vente de deux hommes accusés de viol. » D’ailleurs, Marlène Schiappa non plus ne semble pas bien en mesure d’expliquer l’action gouvernementale. Au micro de France Inter le 8 juillet, la secrétaire d’Etat n’a qu’un seul exemple à mettre en avant : une minute de silence à l’Elysée.
Ce n’est pas comme si Marlène Schiappa n’avait pas fait adopter une loi contre les violences sexistes et sexuelles en 2018. Un an plus tard, que faut-il en retenir ? L’outrage sexiste, qui fait passer un délit pour une contravention ou l’abandon de la présomption irréfragable de non-consentement, qui aurait permis de considérer comme un viol toute relation sexuelle entre un majeur et un mineur de moins de 15 ans ? « La montagne a accouché d’une toute petite souris », commentait alors la députée LFI Clémentine Autain.
Former et financer
Le 8 juillet, sur CNews, la Garde des Sceaux Nicole Belloubet assurait que « nous avons les outils en matière de législation pénale » pour lutter contre les féminicides. Pour Anaïs Leleux, si « la base légale est très bonne, le problème est dans l’application de la loi ». Si l’on prend l’exemple des ordonnances de protection, elles existent bien mais la France n’en délivre que 1300 par an, contre 23.000 en Espagne, pays considéré à l’avant-garde sur le sujet. Pourquoi un tel retard ? « Le problème réside surtout dans la formation des magistrats, explique Anaïs Leleux. D’autant que cette formation se fait sur la base du volontariat… »
Le collectif Nous Toutes propose plusieurs mesures : que la consigne soit donnée aux commissariats et gendarmeries qu’aucune plainte de femme victime de violences ne reste sans réponse sous peine de sanctions pour les agents qui refusent ces plaintes ; que Nicolle Belloubet fixe des objectifs d’attribution d’ordonnances de protection dans chaque département ; qu’un conjoint violent se voit suspendu de l’autorité parentale et que son rétablissement soit conditionné à une obligation de soins ; que soit prévue l’ouverture de 2200 places supplémentaires dans les centres d’hébergement et de réinsertion sociale ; qu’Agnès Buzyn réunisse les responsables d’agences régionales de santé et mette en place un plan de détection systématique des violences à l’hôpital ; que les subventions aux associations soient doublées.
Mais rien ne sera possible sans un budget conséquent. Invitée de France Info ce mardi 9 juillet, Clémentine Autain rappelle que « en France, le budget pour le droit des femmes est de 0,0066% du budget national, c’est une plaisanterie ». Et ce budget-là – de 530 millions d’euros – n’est évidemment pas entièrement dédié à la lutte contre les violences faites aux femmes. Seuls 70 millions d’euros y sont consacrés. En comparaison, le budget de l’Espagne pour lutter contre ces violences s’élève à 200 millions d’euros. Ce qui n’empêche pas Marlène Schiappa de se féliciter d’avoir le budget le plus important en la matière de l’histoire. « Nous, on demande un milliard d’euros sur la table », lance Anaïs Leleux.
Pour qualifier l’action de l’exécutif vis-à-vis des violences sexuelles, cette dernière parle de « vaste fumisterie ». Plusieurs mois après #MeToo, #BalanceTonPorc, la ligue du LOL, etc., le gouvernement ne semble toujours pas avoir pris la mesure de la révolution radicale qui est en cours en France et ailleurs. Il est vrai que s’il y avait une réelle volonté politique, ce « gouvernement féministe », pour reprendre les mots de Marlène Schiappa, n’attendrait pas un Grenelle, dans plusieurs mois.
