Raphaël Pradeau est porte-parole d’Attac France.
Regards. Le 24 novembre, Attac, Les Amis de la Terre et l’Union syndicale Solidaires ont publié un rapport sur Amazon. Quelles sont vos conclusions ?
Raphaël Pradeau. On montre qu’Amazon incarne parfaitement une multinationale devenue tellement gigantesque qu’elle en profite pour bafouer les droits les plus élémentaires. Sur le plan fiscal, 57% du chiffre d’affaires d’Amazon est dissimulé dans les paradis fiscaux et notamment au Luxembourg. Amazon a plusieurs filiales en Europe et, bizarrement, c’est la filiale luxembourgeoise qui va faire payer le droit d’utiliser la marque aux autres. C’est un bon exemple de ce que l’on appelle un « transfert artificiel de bénéfice dans un paradis fiscal ». Non seulement ça a des conséquences néfastes pour les États – des recettes en moins – mais en plus c’est au coeur du modèle d’Amazon. Aux États-Unis, ils ont même réussi à obtenir un taux d’imposition négatif l’année dernière ! Amazon arrive à soustraire plus d’aides publiques qu’elle ne paie d’impôts. C’est aussi une manière d’asseoir sa position dominante : ses concurrents paient beaucoup plus d’impôts et doivent donc faire plus de marge sur leurs ventes. Sur l’aspect environnemental, Amazon a un modèle de développement qui n’est pas viable. L’obsession de son PDG Jeff Bezos est de livrer toujours plus vite. D’un côté, Amazon communique sur ses voitures électriques – du greenwashing – et de l’autre se dote d’une flotte d’avions toujours plus importante pour ses livraisons. Côté gaspillage, Amazon, c’est trois millions de produits neufs détruits l’an dernier. De plus, Amazon se présente partout comme créatrice d’emplois. C’est vrai, mais ce sont des emplois précaires, dans de mauvaises conditions de travail. Elle recourt de plus en plus à la sous-traitance. Mais surtout, pour un emploi créé, Amazon en détruit deux. Enfin, sur l’aspect démocratique, Amazon est très forte pour venir s’implanter dans des zones sinistrées, touchées par le chômage, etc. En faisant miroiter des emplois, Amazon met les territoires en concurrence. Quand on met tout ça bout à bout, on se rend compte que le monde selon Amazon n’est pas viable. Il y a urgence à stopper son développement.
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Amazon a qualifié vos « accusations » de « trompeuses ». L’entreprise se présente comme irréprochable tant sur le plan écologique, fiscal que salarial...
C’est uniquement de la communication. D’ailleurs, je félicite tous les journalistes qui se sont contentés de reprendre les affirmations d’Amazon sans même se rendre compte qu’Amazon ne relève aucune erreur dans notre rapport. Le seul chiffre qu’ils contestent, c’est sur les émissions de gaz à effet de serre générés par la filiale qui s’occupe des data centers. Mais justement, on dit qu’ils sous-évaluent leur bilan carbone ! Par contre, sur l’évasion fiscale, ils ne contestent pas les chiffres.
Exil fiscal, pollution, précarisation des travailleurs… Qu’est-ce que les pouvoirs publics font – ou devraient faire – pour contrer Amazon ? Les États sont-ils de tailles face à Amazon ?
Parallèlement à notre rapport, l’ancien secrétaire d’État au Numérique, Mounir Mahjoubi, se fait une petite publicité en tapant sur Amazon… On se félicite de voir des gens aussi libéraux que lui aller dans notre sens, mais on ne peut que s’étonner du fait qu’il n’ait rien fait pour stopper Amazon quand il était au gouvernement. On a fait dix recommandations à l’État, dont une sur laquelle j’aimerais insister : les dirigeants peuvent prendre des mesures pour empêcher la construction de nouveaux entrepôts. Il est urgent que les pouvoirs publics re-régulent les multinationales. Plutôt que de voir des girouettes, on préférerait que des députés LREM agissent. Mais il y a un manque de volonté… Et les multinationales comme Amazon ont atteint un tel poids qu’elles sont aujourd’hui plus puissantes que des États.
« La pression citoyenne peut pousser les gouvernants à agir, ce qu’ils ne feraient pas spontanément. Même face à la plus grande multinationale du monde, on peut obtenir des victoires. »
Vous appelez à « bloquer » Amazon. Concrètement, qu’est-ce que les citoyens peuvent faire et quel impact cela peut avoir sur un géant du commerce ?
Petite précision : nous n’appelons pas à boycotter Amazon, ça laisserait entendre que les consommateurs ont tous les pouvoirs. Or, il y a 21 millions de Français qui ont passé une commande chez Amazon l’an dernier. On ne veut pas les culpabiliser. La balle est dans le camp des pouvoirs publics. Avant le rapport, on avait sorti un « appel pour transformer le Black Friday 2019 en un "Vendredi Noir pour Amazon" ». Concrètement, on va mener des actions citoyennes partout en France, sous toutes les formes possibles. La pression citoyenne, c’est ce qui peut permettre de pousser les gouvernants à agir, ce qu’ils ne feraient pas spontanément. On veut montrer que même face à la plus grande multinationale du monde, on peut se mobiliser et obtenir des victoires.
Propos recueillis par Loïc Le Clerc