« Je ne comprends pas l’opposition du populisme et de la gauche », nous dit François Ruffin. Le temps n’est pas de discuter, mais d’agir, ajoute-t-il. Même son de cloche chez Manon Aubry. « Il faut sortir des débats théoriques politiciens », assène-t-elle, tandis que d’autres continuent de vitupérer la « tambouille ». « Théorique » égale « politicien » : circulez, il n’y a rien à penser. Le problème est que ce coup-là a déjà utilisé et qu’il a été chèrement payé.
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Après chaque échec, la tentation existe de refuser le débat et de s’abîmer dans l’action. Le PCF l’a fait longtemps après 1978. Il a brocardé les critiques, dénoncé les « bavardages » et opposé la lutte à la réflexion. On sait ce qui lui est arrivé au bout du compte. La méthode est commode : elle évite d’interroger les stratégies, de mettre en question les directions et de rassurer le corps militant. L’action, plutôt que la discussion… Naguère, on disait qu’il ne fallait pas désespérer Billancourt. Hélas, Billancourt a peut-être été rassuré, mais la forteresse ouvrière n’existe plus. La méthode peut réussir à protéger temporairement les directions et à maintenir l’ordre dans les organisations. À terme, elle est calamiteuse pour les organisations elles-mêmes.
Que le combat ne doive pas cesser, contre tout ce qui tire la société vers le bas va de soi. Mais comment ne pas se demander pourquoi la lutte ne réussit pas, ou en tout cas n’y parvient pas assez ? Continuer comme si de rien n’était, en craignant de remettre en cause l’existant, revient à courir le risque de reproduire à l’infini les mécanismes politiques de l’échec.
Demain ne suffit pas
On vient une fois de plus de constater que la mobilisation sociale ne suffit pas, que le mouvement des gilets jaunes, par exemple, n’a pas fait progresser le parti-pris de l’émancipation – c’est le moins qu’on puisse dire ! –, qu’il ne suffit pas d’additionner les journées de lutte et de manifestations. Mais on va seulement poursuivre dans la même direction, avec l’espoir que, un jour ou l’autre, la mayonnaise va prendre et que « cela va finir par péter » ?
Si l’expérience récente peut nous éclairer, c’est sur le fait que la lutte nécessaire ne débouche sur rien, si elle ne se raccorde pas à de la perspective politique attractive. Qu’il ne suffit pas de combattre, si l’on ne sait pas très bien comment remplacer ce dont on ne veut plus. Attiser les feux contre le seul Macron, vitupérer la caste, l’élite en soi : en pratique, cela a conduit au renforcement du Rassemblement national. Le « référendum anti-Macron » n’a pas promu Manon mais Marine ! L’idée a été lancée et portée notamment par François Ruffin et soutenue tout au long de la campagne.
Il devrait savoir pourtant que la colère sans espérance ne nourrit pas la combativité mais le ressentiment et que celui-ci porte vers le pire. Mieux vaut se convaincre aujourd’hui que la haine des dominants ne conduit pas nécessairement à la conscience du système qui produit la domination. Parce qu’à contourner la question des causes profondes de tous nos maux, on laisse libre cours à la polarisation sur les boucs émissaires plus que sur les responsables véritables. L’esprit de lutte a besoin de lucidité critique ; laissons donc la haine à l’extrême droite.
Quand on n’a pas de pétrole...
Mettons de côté les intellectuels discoureurs, les coupeurs de cheveux en quatre ? Vieux discours, inefficace et, de fait, meurtrier pour la cause que l’on défend. Toute lutte relève de la pratique, mais l’ivresse de l’action peut conduire à l’inconscience et à la défaite. Les dieux rendent fous ceux qu’ils veulent perdre, disait le Grec Sophocle, il y a bien des siècles.
Il avait raison. Ne renonçons donc pas au débat raisonné sur la stratégie, sur les idées motrices et sur les méthodes : ce n’est pas perdre du temps ; ce n’est pas se résigner à l’inaction. C’est se donner au contraire les moyens pour construire sur le long terme et pour réussir.
Passons sur la critique (ou le "brouillage" pour être plus honnête) à chaque paragraphe du message porté par la FI pour s’entendre sur le fait que décidément, l’incompréhension qui règne présage de la difficulté à tenir sereinement les débats à venir...
"Le temps de l’action", dénoncé ici par M. Martelli, désigne la nécessité pour ceux des mouvements et partis qui sont censés porter l’émancipation du Peuple (dans son sens le moins "populiste" du terme) à se rassembler autours de l’élément le plus concret de l’action politique : les modes de soutien sur le terrain à la contestation populaire ! En l’occurence, l’idée n’est pas d’empêcher un débat qui, je le pense pour ma part, confirmera l’opposition des approches théoriques et donc confortera chacun dans ses stratégies, mais d’enclencher prioritairement un rapprochement qu’il s’avèrerait sinon hasardeux plutôt optimiste d’attendre autrement qu’en le faisant par la base !
C’est d’ailleurs notamment le discours d’O. Besancenot qui milite depuis suffisamment longtemps pour que cela soit fait dans ce sens là, à savoir de manière "ascendante", au lieu du process commun "descendant" dont le moins qu’on puisse dire c’est que tout le monde a pu avoir le loisir ces dernières décennies d’en observer les limites justement ! Quelle meilleure moyen de nourrir les réflexions de débats théoriques entre mouvements et/ou partis politiques que celle de le faire à travers les remontées de l’action commune concertée à laquelle auraient participés activement des militants ou des sympathisants ?
Pour résumer, personne, y compris la France Insoumise, n’est contre le débat... Par contre, il est temps que les luttes dans leur réalité pratique, inspirent ceux qui entendent décider de leur donner une orientation, une stratégie ou une méthode !
Pour ma part, j’attends avec impatience, un fléchissement de la stratégie politique de la FI vers des modes d’actions subversifs propres à l’Education Populaire, et je ne pense pas être le seul dans ce cas-là : Il s’agit pour elle d’être en cohérence avec l’esprit de son programme et de se donner les moyens de rencontrer, ceux pour qui elle le porte... A savoir le Peuple dans son ensemble et non la gauche !
Mais laissez moi vous avertir que si elle rate le coche, ce n’est pas seulement la France Insoumise qui en subira les conséquences (ne vous laissez pas aveugler par les européennes... elles ne révèlent pas le véritable potentiel de chaque option politique... ça se saurait depuis le temps), mais la gauche toute entière car je prends le risque, bien maîtrisé, de vous annoncer qu’aucun parti à gauche ne profitera de sa chute ! Ce mouvement là était déjà le dernier espoir de ceux qui ne veulent plus entendre parler de tous les autres...
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