Accueil | Entretien par Pierre Jacquemain | 26 octobre 2021

« La guerre est à la source de l’autorité politique »

L’évolution du Musée de l’armée, d’une vocation idéologique vers une mission historique, témoigne du rapport de la France à sa puissance militaire, explique sa directrice adjointe Ariane James-Sarazin.

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Regards. Lors de sa création en 1905, le Musée de l’armée avait pour consigne d’être patriote, de renforcer le lien entre l’armée et la nation. Entièrement rénové entre 1994 et 2018, a-t-il toujours cette vocation ?

La vocation du Musée de l’armée est définie par le code de la défense. L’une de ses priorités est d’œuvrer au renforcement du lien entre la nation et ses armées. Il s’est aussi vu assigner un rôle central dans l’entretien de l’esprit de défense, et il participe à ce titre à la naissance ou au développement des vocations militaires – à travers notamment la mise en avant des grandes figures et des hauts faits de l’histoire militaire de la France. Aujourd’hui, le code de la défense est en cours de réexamen pour la partie qui concerne le Musée de l’armée, afin d’établir un juste équilibre entre les missions lui sont propres, au regard de son ministère de tutelle, et les missions qui incombent ordinairement à un musée de France en vertu du code du patrimoine – comme l’enrichissement des collections, leur préservation, leur étude, leur valorisation, leur diffusion… et surtout leur accessibilité pour tous les publics.

C’est aussi une manière de rendre hommage aux armées françaises, à la puissance de feu, à la capacité à faire la guerre de la France ?

Ça l’était de manière explicite au XIXe siècle, lorsqu’ont été créés les deux musées qui donneront naissance au Musée de l’armée. Celui-ci est en effet le fils – ou la fille ! – de deux entités très marquées du point de vue épistémologique et idéologique. D’une part, le Musée de l’artillerie, né au tournant de la Révolution et au tout début du Premier Empire en héritant des collections royales, à des fins technologiques et éducatives : c’était un musée dédié aux corps savants, les artilleurs, les polytechniciens, les ingénieurs… D’autre part, le Musée historique de l’armée, créé beaucoup plus tard en 1896 dans un esprit éminemment cocardier, patriotique, voire revanchard vis-à-vis de l’Allemagne après la défaite de Sedan. Son objectif assumé était d’exalter la grandeur militaire de la France et sa puissance de feu. C’est cette dimension idéologique et commémorative qui l’a emporté en 1905 lorsque le musée de l’Armée a été créé.

Aujourd’hui, on imagine que ce n’est plus exactement sa vocation…

Cette vocation presque apologétique du Musée de l’armée a perduré au début du XXe siècle, et notamment durant la première guerre mondiale. Avec l’évolution de l’historiographie, mais aussi du regard sur le rôle nouveau qu’occupait la France en tant que puissance moyenne d’ambition mondiale après 1945, le Musée a connu une évolution en deux temps. D’abord à la faveur du projet de rénovation dit ATHENA, à la fin des années 1990. De musée d’objets et d’une institution, l’armée, il s’est transformé en un musée d’histoire militaire. Puis, avec le développement d’une politique d’expositions temporaires, en musée d’anthropologie militaire. Cela l’a conduit à diversifier ses regards sur le fait guerrier et militaire, et à aborder des sujets extrêmement polémiques comme la guerre d’Indochine ou la guerre d’Algérie, par exemple.

Justement, qu’est-ce que le Musée de l’armée tient à montrer quand il consacre et organise une exposition sur la guerre d’Algérie ?

Lorsque l’exposition a eu lieu en 2012, c’était la première fois que l’armée en tant qu’institution acceptait de montrer les zones d’ombre de notre histoire, en abordant notamment la question de la torture. Ceci dans l’une de ses emprises à forte valeur symbolique, les Invalides. Dans cette exposition, le Musée n’a pas hésité à exposer des photographies et des témoignages lourds de sens, du côté de l’armée française comme de celui du FLN. Toutes ces archives montraient le déchaînement de la violence tant sur les combattants que sur les civils. Dans le souci de privilégier un discours équilibré, le Musée a fait appel à des historiens algériens afin qu’il n’y ait pas, même inconsciemment, dans la sémantique, de formes de biais de la part des conservateurs ou des historiens français. Cette exposition a marqué un véritable tournant : le Musée n’apparaissait plus comme la voix patrimoniale de l’institution militaire, il gagnait ses galons de musée d’histoire et d’anthropologie appliqué au monde militaire, capable de s’intéresser aux faits guerrier et militaire en tant qu’ils sont les révélateurs de l’évolution des sociétés.

Quels sont les objets les plus symboliques, ceux qui incarnent le plus l’idée de cette puissance, parmi les plus de 500 000 du Musée ?

Il y a bien sûr les armures de la couronne, notamment les deux armures de François Ier ou celle de son fils Henri II, et plus globalement l’ensemble des armes et des armures des rois de France. Dans la plupart des sociétés, la guerre est à la source de l’autorité politique et reste le moyen privilégié pour l’État de s’affirmer, de se maintenir, de s’étendre ou de protéger ses intérêts. À travers ces armures qui brillent de mille feux par la beauté et la richesse de leurs ciselures, les détails de leur ornementation, le talent des artistes qui ont contribué à leur confection et qui participent de la magnificence du souverain, les princes clament la grandeur du régime qu’ils incarnent. En cela, les armures des rois de France sont certainement l’incarnation la plus patente de cette puissance de l’État. Les trophées et, parmi eux, les emblèmes pris à l’ennemi, constituent un autre exemple tout aussi significatif de l’imaginaire de la puissance. Ils sont une extrapolation symbolique de l’ambition territoriale, de la mainmise, de l’aura guerrière et donc de la puissance de la France sur l’ensemble du continent européen – et au-delà sur les pays de l’ancien empire colonial.

Comment devrait évoluer le musée de l’Armée ?

En 2015, Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense, a émis le souhait que le Musée puisse parler des sujets qu’il n’évoquait pas ou très peu, notamment de notre histoire coloniale et de celle des indépendances. C’est dans cette voie-là que le Musée va s’engager en s’appuyant sur des comités scientifiques ouverts à des historiens issus des anciens pays colonisés. Le musée ambitionne ainsi de parler de l’histoire militaire de la France, mais en adoptant un point de vue décentré et non ethnocentré. Il s’agit pour nous d’être le musée d’histoire mondiale de la France à travers ses armées.

 

Propos recueillis par Pierre Jacquemain

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