Accueil | Par Sandra Regol | 26 octobre 2021

La puissance des communs

Sandra Regol, secrétaire nationale adjointe d’Europe Écologie-Les Verts

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« Puissance », « pouvoir », deux mots, une racine : potestas. De la Rome antique à nos jours, cette racine a défini les contours des pouvoirs politique et militaire, mais aussi économique, construisant une idée de la puissance définie par le pouvoir.

La France se voyait puissante « du temps des colonies », incarnant une puissance économique par la violence, la prédation. Elle exploitait la terre, les personnes au nom de la puissance décrétée – celle de la force, celle du pouvoir, celle de l’absolue domination. Un héritage qui fracture aujourd’hui encore notre société, entre déni et récit mythifié, avec en fond la même puissance destructrice qui continue à tenter de construire politiquement et socialement l’impuissance des héritières et héritiers des victimes d’alors.

La notion de puissance est passée également par la croyance dans le progrès technologique et scientifique. La France s’imagine puissante en force nucléaire, idée pourtant mise à mal par la réalité de l’impuissance à en gérer les déchets. Il n’est d’ailleurs pas anodin qu’en pleine crise sanitaire, et a contrario des discours qu’il avait tenus jusqu’alors sur le sujet, le président Macron reprenne la vieille rengaine de la puissance nucléaire française, militaire et civile, comme une bouée de sauvetage face l’impuissance à agir réellement contre l’épidémie. La convocation dans le récit français de la puissance technologique s’apparente à une vieille ficelle agitée pour tenter de limiter dans les esprits la réalité de l’impuissance politique du présent.

Cet héritage historique aussi bien qu’étymologique limite l’idée de puissance à celle d’une forme de domination, viriliste de surcroît. Traditionnellement, en droit international et public, la notion de puissance est liée à la notion de souveraineté qui s’exerce par définition de manière absolue, « seule ». La campagne du Brexit s’est faite autour de cette idée de redevenir une « grande puissance », seuls, de ne « dépendre » de personne, et le résultat est sans appel. Or la puissance solitaire se résume la plupart du temps à l’incapacité d’agir, et les crises actuelles démontrent que la souveraineté n’est réelle que si elle est partagée.

Il faut aujourd’hui repenser ces principes de pouvoir, puissance, souveraineté à l’aune des crises sanitaires, de l’empire des multinationales, des catastrophes naturelles, du changement climatique. Face à un monde en mutation, il est urgent de leur donner un nouveau sens et de reconnaître qu’ils doivent s’exercer en commun.

Sortir de l’idée de la puissance comme domination, c’est quasiment reconstruire tout notre système de valeurs. C’est considérer que la domination n’est pas le seul outil des gagnants, que la concurrence ne structure pas l’humanité, que la prédation est néfaste. Reconstruire l’idée de puissance, c’est accepter que tout doive changer, et c’est ce que propose l’écologie politique. L’écologie repose sur des logiques de complémentarité : c’est en respectant les besoins de chacun que se construisent les droits de toutes et tous. Pour la nature, l’économie, la politique, c’est l’idée d’équilibre qui prévaut. Et c’est cette différence, entre pensée des rapports de force (puissance) et pensée des équilibres (écologie, littéralement la maison commune) qui bouleverse les logiques usuelles.

Placer la puissance dans l’équilibre, c’est mettre en œuvre des politiques publiques de transition écologique, seules à même de lutter contre les effets du réchauffement climatique. Développer de nouvelles expertises, s’appuyer sur les réseaux de recherche à l’échelle européenne pour penser les énergies renouvelables, les transports ou l’industrie non polluante de demain, c’est construire une puissance partagée, positive, créatrice de bien vivre et d’emplois nouveaux et durables. C’est, pour reprendre les thèses d’Éloi Laurent, opposer une politique de la coopération et du soin aux vieilles notions de domination et de prédation.

C’est une chance qu’il nous faut saisir en proposant un modèle plus juste et soutenable du monde. Passer du paradigme des prédations et des dominations à celui des communs constitue le défi historique que nous devons collectivement relever.

 

Sandra Regol

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