Olivier Ritz
Accueil | Entretien par Loïc Le Clerc | 7 juin 2018

Lycée Arago : 65 heures de cellule pour 40 minutes d’occupation

Le 22 mai dernier, une centaine de jeunes, lycéens et étudiants, dont 40 mineurs, ont été placés en garde à vue, certains plus de 48h, pour avoir tenté d’occuper le lycée Arago. Témoignage.

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Lucas est étudiant. « Inculpé du 22-Mai », il est également membre du groupe "Jeunes révoltés".

Regards. Pouvez-vous nous raconter cette journée du 22 mai ?

Lucas [le nom a été modifié, NDLR]. C’était la fin de la manifestation du 22 mai. Il y a eu une décision générale de mener une tentative d’occupation pacifique du lycée Arago pour pouvoir y tenir une assemblée générale. On était une centaine. Malheureusement, très rapidement, les policiers et les CRS sont intervenus. On a été délogé au bout de 40 minutes. Les CRS étaient très nombreux. Ils sont montés jusque dans la salle où on s’était tous posés. Ils ont demandé de nous asseoir, on a discuté rapidement avec ce qui semblait être le chef de la brigade, il nous a dit : "Soit vous vous rendez pacifiquement, on vous interpelle et vous êtes très vite libres. Soit les arrestations ne seront pas pacifiques." Puisqu’on n’avait aucune envie de se faire taper dessus, et même d’avoir de réels problèmes par la suite, on s’est rendu pacifiquement. On a été fouillé à plusieurs reprises, on nous a notifié l’interpellation. Il est 19h30.

Puis, on nous a parqués dans un car de CRS. On était une soixantaine dans un car qui, honnêtement, pouvait au maximum accueillir une quarantaine de personnes serrées. Il faisait très très chaud. On est resté approximativement une petite heure devant le lycée dans le car sans savoir ce qu’il se passait. Puis on nous a emmenés au dépôt rue de l’évangile. Là, on nous a laissés dans le camion, sur le parking, sans air, sans eau, sans information. Il y avait des personnes qui se sentaient très mal. Vers 1h du matin, les CRS ont fait sortir les filles, pour les parquer en extérieur, derrière un enclos de fortune. Une quinzaine de minutes plus tard, c’était notre tour.

Après de longues négociations et des demandes répétées, on a enfin eu le droit d’accéder aux toilettes. Toujours rien à boire, aucune info sur ce qu’il allait se passer.

« Quelqu’un avait décidé de se soulager donc la moitié de la cellule était condamnée. On était 25, dans peut-être même pas 9m². La majorité des personnes n’avait toujours pas eu à boire. »

Au fur et à mesure, ils ont appelé les filles puis les garçons pour leur notifier leur garde à vue. Il était déjà 1h30. On nous a expliqué les chefs d’accusation, grosso modo "intrusion dans un établissement scolaire sans autorisation" et "participation à un groupement en vue de commettre des dégradations avec équipement pour échapper à la répression judiciaire". Ce qui semblait étrange, c’est que les OPJ (officiers de police judiciaire) n’avaient que très peu d’informations, quasiment pas plus que nous en fait. Ils semblaient même convaincus que le lendemain, au maximum en fin d’après-midi, on serait sorti sans rien.

Personnellement, ma garde à vue m’a été notifiée à 2h50, bien loin de quatre heures légales. On a ensuite été placé en cellule. Quelqu’un avait décidé de se soulager donc la moitié de la cellule était condamnée. On était 25, dans peut-être même pas 9m². La majorité des personnes n’avait toujours pas eu à boire.

Vers 6h du matin, ils nous ont expliqué qu’on allait être déplacé vers nos commissariats respectifs. Là s’en est suivi un long moment, avec des policiers très tendus, assez agressifs. On m’a distribué une claque. Il y a eu des menaces à plusieurs reprises sur des jeunes qui avaient une quinzaine d’années.

« Si j’additionne les heures de gardes à vue et de dépôt, j’en suis approximativement à 65 heures de cellule. »

Vers 7h30, j’ai été déplacé avec une autre personne dans un commissariat du 92. On est arrivé en début de matinée, on a été mis en cellule. En vérité, personne ne savait qu’on nous prolongerait, même les OPJ pensaient qu’on ne resterait pas plus de 24h. Dans la journée, on a eu nos auditions, avec avocat. En toute honnêteté, il n’y a pas eu de problème dans ce commissariat. Cette fois-ci, on a eu accès à l’eau. Je sais que d’autres s’en sont moins bien sortis. Vers 19h30, on nous a notifié le prolongement de la garde à vue. On nous a expliqués qu’il y a un appel aux magistrats qui se ferait le lendemain. Effectivement, le jeudi, vers 15h30, il y a eu cet appel. On a été déféré vers 18h30-19h, emmené au dépôt. Après, ça a été retour en cellule jusqu’au lendemain matin.

Je fais partie de ceux qui sont passés en comparution immédiate et qui ont obtenu le renvoi du procès. Si j’additionne les heures de gardes à vue et de dépôt, j’en suis approximativement à 65 heures de cellule.

Quelle est la suite de la procédure judiciaire ?

Actuellement, je suis sous contrôle judiciaire. J’ai interdiction de mettre les pieds dans Paris, sauf raison professionnelle. Je travaille à Paris. J’ai un procès le 15 juin à 13h30.

Quelle peine risquez-vous ?

Jusqu’à un an de prison ferme et 15.000 euros d’amende. Je sais que, de par mon profil, je ne suis pas un élément qui pourrait être jugé "dangereux". J’ai la chance d’être issu d’un milieu favorisé, d’être ce qu’ils appellent un "élément intégré à la société". Aux vues des procès des personnes du 1er-Mai, il y a peu de chances qu’on se retrouve avec du ferme.

Quel regard portez-vous sur cette répression à l’encontre des lycéens, des étudiants ?

Je l’avais déjà aperçu pendant la loi Travail. On musèle les mobilisations sociales. On fixe au maximum l’attention des médias sur les quelques dégradations symboliques. Aujourd’hui, ça me surprend de voir qu’on a accéléré le pas. Il n’y a plus aucune hésitation à interpeller des jeunes, des lycéens, des étudiants, qui ont parfois entre 15 et 18 ans, mais aussi des journalistes, à les contrôler. Il faut museler la voix de la jeunesse.

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