Un Président ne devrait pas dire ça. Un Président courageux, un Président qui prend ses responsabilités, ne devrait pas dire ça. Hier soir, le président de la République a fait une allocution très attendue. Sept minutes. Sept petites minutes durant lesquelles il a pris grand soin de nous rappeler qu’il avait été élu par les Français. Qu’il était légitime. C’est vrai. Il est légitime. La question, c’est légitime pour quoi faire ? Pour le moment, pas grand-chose puisque les Français ne lui ont pas donné de majorité claire. À peine relative. Alors il va falloir apprendre à « légiférer différemment », nous dit-il. Deux options. Première option : trouver les voix suffisantes pour former une majorité de coalition. Il dit qu’il resterait seulement une trentaine de députés à convaincre. On en compte 44. Ça parait compliqué. Seconde option : former des majorités au cas par cas. Texte par texte. Un coup à gauche. Un coup à droite. Ça parait improbable et ça signifierait surtout l’absence de cap. Enfin la méthode « écoute, dialogue, respect, exigence ». On prendra ces mots pour une forme de mea culpa qui n’arrivera pas. Tout comme n’arrivera jamais le nom de sa première ministre. Macron reste maître en son royaume et c’est lui qui manœuvre.
Une manœuvre aux allures professorales. Hier, il a donné quelques jours seulement aux oppositions pour qu’elles remettent leur copie. « Pour cela, il faudra clarifier dans les prochains jours la part de responsabilité et de coopération que les différentes formations de l’Assemblée nationale sont prêtes à prendre : entrer dans une coalition de gouvernement et d’action ? S’engager à voter simplement certains textes ? Notre budget ? Lesquels ? » Voilà le sujet de la dissertation. Macron l’a dit, il ramassera les copies après son retour de Bruxelles, dès lundi. Premier paradoxe : Macron se veut soudainement à l’écoute de ses opposants mais dans le même temps, il lance un ultimatum. Pas très malin. Et la maladresse n’est pas passée inaperçue. Alors qu’on le croyait maître des horloges, Macron est dans l’improvisation permanente. Si bien que la porte-parole du gouvernement a du faire marche arrière ce matin au micro de France Info : elle a annoncé vouloir prendre le temps. Même la date du discours de politique générale pourrait être retardée. Pas folle la guêpe, Macron prend son temps. Il gagne du temps. L’objectif : faire porter la responsabilité d’un éventuel échec de ces discussions, négociations, concertations – appelons-les comme on veut puisque de toute manière, Emmanuel Macron n’a rien dit. Sept minutes, c’est court.
On ne sait rien sur la forme : est-ce que le Président va recevoir à nouveau les chefs des groupes parlementaires ? Est-ce que c’est sa Première ministre qui va mener les discussions ? D’ailleurs, sera-t-elle encore à Matignon ? Quelles sont les marges de manœuvre qui pourraient aboutir à des compromis : est-il prêt à augmenter les minima sociaux, les salaires, le Smic, bloquer les prix des produits de première nécessité, renoncer à la réforme des retraites ? Celle de l’assurance chômage ? Macron ne dévoile rien. Il n’assume rien. Hier soir, il a pris les Français à témoin en réalisant un invraisemblable tour de passe-passe qui a consisté à faire croire qu’il n’était responsable de rien. Les oppositions responsables de tout. Macron croit dans la possibilité de trouver une majorité plus large et plus claire, a-t-il martelé hier. Il en appelle au dépassement politique. Le En même temps est mort après que les Français ont imposé une proportionnelle à l’Assemblée nationale. Mais il persiste et signe. Emmanuel Macron joue la méthode Duss. Celle du célèbre personnage des Bronzés font du ski, Jean-Claude Duss joué par Michel Blanc, et qui ne peut pas vraiment miser sur son physique pour conclure. C’est ce que nous a fait Macron hier soir : « On sait jamais, sur un malentendu, ça peut marcher ». Ce à quoi, on serait presque tenté d’ajouter : « Oublie que t’as aucune chance. Vas-y fonce ».
La légitimité de Macron que vous présentez comme une évidence au début de votre article mérite d’être questionnée avant d’être considérée comme telle. Peut-être le regrettez-vous, mais, compte tenu du rapport de force issu de l’élection présidentielle d’avril dernier, sa légitimité est discutable.
En effet, au premier tour, Macron est devancé de plus de 8 points par le nombre d’abstentionnistes (non exprimés compris). Écart d’autant plus large si l’on inclut l’ensemble des Français en âge de voter qui comporte aussi des non inscrits (environ 5% de l’ensemble des Français majeurs font partie de cette catégorie selon l’INSEE). Et, au second tour, il n’enregistre les voix que de 38% des inscrits, et de 35% de l’ensemble des Français en âge de voter. Dans cette seconde considération, le bloc abstentionniste passe même devant Macron.
Ceci posé, deux analyses s’opposent. Premièrement, soit l’on considère que seul compte le nombre de suffrages exprimés ; auquel cas Macron réalise alors un total de 58% des voix au second tour. Soit, deuxièmement, l’on reconnait une importance égale à la voix de l’ensemble des Français (votants, abstentionnistes et non inscrits), et Macron ne recueille ainsi plus que 35% des suffrages.
La légitimité de Macron est en réalité conditionnée à la réponse que l’on apporte à la question suivante : qu’est-ce que le peuple souverain en France ?
Est-ce la part de ceux qui tous les cinq ans dans la population font le choix de donner leur voix à un candidat ; ou bien est-ce l’ensemble de la population à laquelle la société reconnait des droits politiques ?
Si l’on opte pour la première réponse, on reconnait alors que la portion du peuple qui vote prime sur celle qui ne vote pas ou plus ; ce qui suppose d’assumer l’idée d’une forme de suprématisme basé sur la participation électorale, à partir de laquelle Macron est, à cette seule et coûteuse condition, légitime.
En choisissant la deuxième réponse, on soutient, au contraire, le postulat tout républicain selon lequel le peuple est un et indivisible, quelque soit le comportement électoral de ses composantes. Cette attitude non prescpritive permet d’accorder moins de prix à l’élection qu’à l’expression politique du peuple souverain ; et d’accepter aussi l’éventualité que l’élection peut constituer une entrave à l’expression de la communauté politique. Prendre cette voie offre la liberté de constituer l’illégitimité de Macron qui, choisi par une minorité dans des conditions de pressions psychologiques condamnables, est moins important que le principe de souveraineté populaire vers lequel il faut se tourner.
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