« Je démine, ils me prennent pour un poseur de bombes », chantait Médine dans le morceau "Démineur". En effet, le rappeur du Havre est depuis plusieurs jours désigné comme le plus dangereux des djihadistes dans l’espace médiatique et sur les réseaux sociaux. Il est au centre d’une polémique suite à la programmation le 19 et 20 octobre de deux concerts au Bataclan. Lancée par les réseaux d’extrême droite, un grand nombre de politiques vont se saisir de l’affaire, jugeant que laisser se produire l’artiste était « insultant ».
De part et d’autre de l’échiquier, de Marine Le Pen à Olivier Faure en passant par Aurore Bergé et Eric Ciotti, bon nombre de personnalités politiques se sont fendues d’un tweet ou d’une intervention pour condamner la programmation du rappeur.

Tous, sans exception, invoquent aux côtés des mêmes images la terrible attaque perpétrée dans cette salle lors des attentats du 13 novembre 2015, qui tua 90 personnes lors d’un concert de rock, instrumentalisant ainsi les victimes de cette sombre soirée. Ils seront rejoints très vite par le défilé consternant de chroniqueurs et pseudo-journalistes, dont leur ignorance la plus totale du sujet crève les yeux.
L’amalgame systématique de l’attaque terroriste et Médine fait de lui le propagateur du discours de Daesh, comme si, en se produisant sur scène, c’était une nouvelle fois le terrorisme qui frappait le Bataclan. Bien que porteur d’un message social et politique émancipateur et résolument progressiste dans ses textes, le rappeur du Havre se voit systématiquement coller l’étiquette du "rappeur musulman fondamentaliste". Cette étiquette, entretenue par les discours laïcistes et islamophobes de différents médias et réseaux, résulte en réalité d’une profonde méconnaissance de l’artiste, ainsi que d’une malhonnêteté intellectuelle et journalistique criante.
Médine et l’art de la provocation
« J’emprunte les voies de la provocation pour tous les convaincre […] j’amène un message de paix derrière une épée »
Arabospiritual, Médine
Aussi discutable soit-elle, la provocation a été la forme choisie par Médine pour lancer les débats sur les sujets qu’il aborde. « La provoc’ c’est ma chasse gardée », assène-t-il dans "Grand Médine", montrant son affection pour cette pratique. Une grande partie de sa carrière, Médine s’est donc adonné à jouer sur l’iconographie proche de la représentation stéréotypée de l’Islam radical, notamment sur les pochettes de ses albums. "11 septembre : récit du 11ème jour" signe le premier de ses projets en solo en 2004. L’année suivante, il sort "Jihad, le plus grand combat est contre soi-même". Récemment, c’est un morceau sur la laïcité, issu de l’EP "Démineur", qui choque. Dans "Don’t Laïk", il use là encore de la provocation et de la caricature pour critiquer le laïcisme, dérive exclusive de la laïcité.

« J’ai joué avec des iconographies, volontairement, mais tout ça dans le but justement de tendre un piège […] Je fais peur aux fainéants. A ceux qui ne veulent pas aller plus loin que la première image qu’ils ont d’une représentation »
Clique X Médine, avec Mouloud Achour
Ce piège, beaucoup s’y sont trouvés prisonniers. Jusqu’à pousser plus loin le fantasme, notamment sur son nom de scène, hurlant au communautarisme (en référence à la ville sainte), alors qu’il ne s’agit que de son vrai patronyme. Les représentations créées par ce piège sont celles qui ont perduré et qui se sont imposées pour qualifier le rappeur. Pourtant, celles-ci, largement exagérées, prennent le pas sur les messages présents dans les textes de l’artiste, qui viennent justement déconstruire ces représentations.
Si on a tendance à essentialiser le discours de Médine à un discours religieux, une telle énormité ne peut résulter que d’une profonde méconnaissance de ses textes. Un engagement politique est clair dans chacun de ses albums, notamment à travers des personnalités importantes comme Malcolm X, M. Luther King Jr, Nelson Mandela, Yasser Arafat ou encore Thomas Sankara, régulièrement citées. Médine affectionne aussi tout particulièrement l’exercice du storytelling historique, racontant à la première personne des événements qui se sont déroulés dans l’Histoire comme dans "17 octobre 1961" ou "Du Panjshir à Harlem". Des morceaux comme Combat de femmes dans l’album "Jihad", témoignent aussi d’un engagement féministe. Il porte bien sûr un regard très critique sur l’action des différents gouvernements, avec le point de vue des quartiers populaires comme dans "Speaker Corner".
Un combat contre la radicalisation
Mais au-delà de tout cet engagement, Médine tient un discours très fort pour prévenir le phénomène de radicalisation, ce qui semble avoir été évincé des fiches des éditorialistes.
Dans le morceau "Hotmail", sorti en 2006, il traite la question de l’islam radical selon plusieurs points de vue. Le deuxième couplet met en scène un personnage fictif qui croit voir dans les textes du rappeur un appel à « couper toutes les têtes ». Il répond :
« Voici l’idée que tu te fais de mes couplets ?
Qu’avec un disque de rap, des têtes je vais couper
[…]
Si tout est critiquable commence par l’auto-critique
L’Occident n’est pas responsable de ton slip
Délaisse la paille dans l’œil de ton voisin
Et regarde plutôt la poutre qui encombre le tien »
Le troisième couplet raconte quant à lui le message d’un autre personnage, que l’on devine comme l’incarnation du discours fondamentaliste, qui considère l’exercice du rap comme un "égarement". Médine répond :
« Réponse : taliban et Skyblog donnent talibanblogeur
J’avais oublié que les hommes lisaient les cœurs
[…]
Plus prétentieux, ça n’existe pas
Ils veulent être plus royalistes que les rois
Eux-mêmes philosophes dans tous domaines
De Mohammed n’ont que le prénom de domaine
[…]
Délaisse la paille dans l’œil de ton voisin
Enseignement chrétien pour attitude de crétin »
Presque 10 ans plus tard, le morceau "#Faisgafatwa", sorti en 2014, porte un discours éclairé et réactualisé sur le phénomène de radicalisation et de recrutement dans les quartiers populaires.
« Mon son s’adresse aux imams des loubards
À ceux qui parlent sur les marches de Minbar [d’où prêche l’imam, NDLR]
Comme s’ils étaient dans les halls de l’immeuble
[…]
Viens pas recruter dans mon quartier c’est pas ta pépinière
T’as jamais mis le pied dans une classe et tu veux suivre les quatre écoles
[…]
Heureusement qu’on a lu l’Coran, avant d’connaître ces charlatans »
Mascarades médiatique et politique
En 2015, le magazine Marianne publie un dossier intitulé "Les sales voix du djihad", censé présenter les noms des personnalités appelant à la « guerre sainte ». Parmi ces noms figure celui de l’humoriste Yassine Belattar, le magazine ayant été épinglé pour des mensonges éhontés, sur des extraits modifiés du spectacle du comédien. Presque sans surprise, celui du rappeur havrais y est également présent. Là encore, l’argumentaire reste le même que celui évoqué plus haut [1].
A peine la polémique du Bataclan lancée, Marianne récidive. Le lundi 11 juin, le magazine met en ligne un papier à charge dirigé vers le rappeur Médine. A l’argumentaire inchangé, des accusations surréalistes viennent compléter un tableau déjà bien assez chargé. Ainsi, le morceau "Bataclan", dans lequel le rappeur narre sa relation à la scène sur un flow lent et doux, permettrait en réalité à Médine de procéder à « la classique inversion du réel pratiquée par les tenants de l’islamisme politique ». Les mots manquent.
Médine au #Bataclan : "Ce monsieur devrait aller exercer son absence de talent ailleurs" pic.twitter.com/TKEKlLHAUj
— BFMTV (@BFMTV) 10 juin 2018
Quand il ne s’agit pas d’une volonté délibérée, la diabolisation du rappeur est aussi accentuée par des journalistes qui ignorent tout ou presque du sujet traité. Le 9 juin sur BFMTV, Apolline de Malherbe reçoit Brice Hortefeux et aborde la polémique naissante autour du rappeur. Après s’être réapproprié le nom de son premier album, la journaliste présente le deuxième. Alors que l’on devine le nom du projet, "Jihad, le plus grand combat est contre soi-même", inscrit sur sa fiche, elle lit :
« Il écrivait que […] le Jihad était le plus grand combat contre… euh… qui devait être euh… il parlait d’un grand combat »
La séquence ne s’arrête pas là, car à l’incompétence journalistique vient s’ajouter l’opportunisme politique. Brice Hortefeux réplique, rappelant avoir eu « la main ferme » vis à vis d’autres rappeurs lorsque celui-ci était ministre de l’Intérieur, avant d’appeler avec condescendance le rappeur à « exercer son absence de talent ailleurs ».
Il n’est pas surprenant de voir la quasi-totalité de la droite française se manifester. L’islam et le rap sont deux thématiques sujettes à fantasmes clientélistes au sein de ce camp politique, c’est donc une aubaine lorsqu’elles peuvent être réunies au sein d’un même personnage. L’occasion d’exprimer une nouvelle fois sur fond de paranoïa identitaire, des discours islamophobes déguisés en défense de la laïcité. Cette même laïcité dévoyée, caricaturée, que Médine dénonce dans "Don’t Laïk". Il est en revanche beaucoup plus inquiétant de constater, de la part de la gauche, un silence assourdissant.
Bien qu’une petite poignée de parlementaires et de personnalités politiques se soit exprimée, elle ne parvient pas à cacher la véritable absence de prise de position vis-à-vis du rappeur et du lynchage médiatique opéré depuis plusieurs jours. Ce comportement est révélateur de cette frilosité qu’a la gauche à s’investir dans le soutien clair à l’expression des quartiers populaires, que cela soit à travers le rap ou au sein du mouvement social.
Rap français : éternelle cible
La polémique autour de Médine laisse une désagréable impression de déjà vu. La Rumeur, Tandem, Sniper, ou encore Black M récemment. On ne compte plus les rappeurs ciblés pour leurs textes, et poussés à être censurés. Tous ont eu le point commun d’être en premier lieu dénoncés par les réseaux de droite et d’extrême droite, avant de subir par l’ensemble de la sphère politico-médiatique des attaques violentes. Ce n’est pas un hasard si Brice Hortefeux se targue avec arrogance d’avoir été intransigeant avec les rappeurs lorsqu’il était ministre. Il en va là de sa crédibilité de ténor de la droite dure. Une « main de fer » réservée à l’expression des jeunes des quartiers populaires, volontiers repeints en voyous qu’il est nécessaire de recadrer.
« Il faut élargir la question : le rap est à quelques exceptions près un véritable dégueuli verbal, d’une violence extrême »
Alain Finkielkraut
Ces polémiques récurrentes montrent encore une fois quel est le traitement qui est réservé au rap français. S’étant pourtant imposé comme majeur au sein de l’industrie de la musique, il demeure stigmatisé et cloué au pilori à la première occasion. Plus encore qu’une volonté de censurer certains messages, on remarque que c’est véritablement le rap, en tant que tel, soit l’expression directe des quartiers populaires, à qui l’on fait procès. On retrouve cette propension dans le traitement médiatique du rap en général, mêlant mépris de classe et infantilisation aussi bien du public que des artistes. Insufflée par l’extrême droite, cette vision du rap teintée de racisme rappelle aux populations des quartiers populaires quelle doit être leur place.
Il est effarant de constater la banalisation de cette stigmatisation, dont les propagateurs délaissent visiblement très vite leur attachement viscéral à la tant chérie liberté d’expression.
« On a les critiques imparables
D’une France qui oublie qu’les paroles de son hymne sont plus violentes que celles du gangsta rap
J’défends la cause des frères au Sud, qui rêvassent du Nord
Mais ma liberté d’expression en chute est sous menace de mort
[…]
Les sentences sont inégales
Je fais du rap et ce que t’entends est illégal »
Menace de mort, Youssoupha
Il me semblait bien que ce Rappeur était favorable à la liberté de penser,contre le charlatanisme,et pour le progrès ...
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