Accueil | Par Jean-Luc Mélenchon | 26 octobre 2021

« Pas de réelle souveraineté populaire sans puissance »

Jean-Luc Mélenchon, député La France insoumise. Candidat à l’élection présidentielle de 2022, il explique comment la « révolution citoyenne » redonnerait au peuple les moyens d’exercer sa souveraineté au profit de l’intérêt commun.

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Qu’est-ce que la puissance ? La capacité de faire et, le cas échéant, de faire sans qu’une entrave puisse l’empêcher. La puissance est en ce sens un état de la souveraineté du peuple. Elle en est l’attribut autant que le moyen. Il n’est de souveraineté accomplie que dans la puissance sans entrave. Et il n’est de souveraineté qui ne soit un acte de puissance sur l’ordre des choses au sein duquel elle prend place.

Ces principes ne sont pas si abstraits qu’il y paraît. Ils proclament ce que l’expérience montre : la souveraineté du peuple est affaire de rapport de force. Elle n’est jamais octroyée, elle n’est jamais concédée. Les puissants ne s’y résignent jamais. Sans cesse recommencée, la lutte pour la souveraineté du peuple consiste à en conquérir puis à en maintenir la puissance. C’est d’ailleurs l’objet initial de la Révolution citoyenne dont je me réclame. Elle ne triomphe qu’en acquérant les moyens de puissance du peuple lui permettant de vaincre les entraves qui le retiennent hors du pouvoir sur son histoire.

Si nous sommes victorieux dans les urnes en 2022, on pourrait qualifier la ligne de conduite de notre gouvernement comme un programme de souveraineté élargie. Il travaillerait en effet à élargir le pouvoir du peuple aux domaines dont il est actuellement exclu et à lever partout les dominations le limitant. Je le répète : la souveraineté populaire désigne ici la capacité du peuple à disposer librement de tout ce qui concerne sa vie collective.

À la volonté populaire, il faut donc faire correspondre les moyens de la réaliser. Ceux qui comme moi ont observé, pour apprendre d’eux, les gouvernements de la vague démocratique en Amérique latine savent que le déficit de puissance fut le principal obstacle à surmonter.

Capacité d’agir

Entrons donc à présent dans les aspects concrets que nos conceptions impliquent. Affirmons que les meilleurs programmes sont condamnés à rester une liste de vœux pieux sans les capacités disponibles pour les réaliser. Ces capacités sont la disponibilité populaire, le caractère collectif de la prise de décision, le niveau d’éducation et de qualification, le capital industriel accumulé, la qualité des services publics, la solidité de l’État, ses capacités de financement ou la sûreté du territoire. Il est impossible de faire l’impasse sur ces éléments. Combien de gouvernements de transformation sociale, dans des pays que des impérialismes avaient maintenus dans une forme de sous-développement, ont dû composer parce qu’ils trébuchaient face à la difficulté de réunir les moyens de réalisation d’une décision ?

La France est dans une situation bien différente. Nous sommes la sixième puissance économique du monde. Notre niveau d’éducation est très élevé. Les ouvriers, les techniciens, les ingénieurs français disposent de qualifications de pointe issues d’une extraordinaire accumulation de travail humain. L’État est ancien et bien établi. Il sait lever l’impôt et faire respecter la loi. Son armature et son maillage géographique permettent d’envisager bien des politiques de lutte contre la pauvreté ou de relocalisation des activités économiques et agricoles. Cependant, nous devons avoir conscience aussi du recul de la puissance française. Elle est démantelée brique par brique par le néolibéralisme depuis au moins vingt ans. Saccage des services publics, libre-échange, désindustrialisation et mise en concurrence des entreprises nationales ont sérieusement entamé, dans bien des domaines, nos capacités. Cette impuissance croissante s’est cristallisée dans le krach sanitaire.

Pour lutter contre l’épidémie, le pouvoir a eu recours à des solutions archaïques reposant sur des privations de libertés. La première raison d’une telle débâcle réside dans les politiques de réduction de budget dont l’hôpital public a souffert pendant des années. Pendant cette crise, nous avons aussi découvert que nous dépendions désormais d’importations principalement asiatiques pour 80% de nos médicaments. Nous avons mis des semaines et des semaines avant de disposer d’assez de masques car notre industrie textile a en partie disparu au fil des délocalisations, et parce que le gouvernement libéral refusait les réquisitions de ce qui en reste. La liste pourrait continuer longuement. Si nous arrivons aux commandes, il nous faudra bien assumer de reconstruire une certaine puissance en matière sanitaire par le pôle public du médicament, la fin du libre-échange sur des produits essentiels, les investissements massifs dans l’hôpital. Sans cela, aucun de nos objectifs de santé publique ne sera possible.

Puissance industrielle et bifurcation écologique

Les parlementaires insoumis ont synthétisé toutes ces demandes dans la revendication centrale d’un retour à la planification. L’échec du système de la main invisible et de l’équilibre spontané à partir du seul signal prix est criant. Il a abouti à la destruction des forces productives et à l’impuissance à répondre aux besoins sociaux. La planification ambitionne de faire revenir les champs de la production, de l’échange et de la consommation dans le giron démocratique. Elle confie à la délibération la coordination entre les forces concourant à la production et à la distribution, ainsi que l’anticipation sur le futur en fonction d’objectifs donnés. Elle peut se concevoir comme une appropriation collective du temps. La planification est donc l’instrument naturel de la bifurcation écologique puisqu’elle s’occupe précisément de la viabilité de l’avenir. Mais elle n’est rien si elle ne peut s’appuyer sur une industrie forte, des infrastructures et des qualifications. Autant d’éléments qui font notre puissance ou notre impuissance.

Ainsi, dans les grands chantiers à mettre place, il y a par exemple celui de l’eau. Le changement climatique modifie et dérègle le cycle de l’eau. Or il est consubstantiel à l’existence même des sociétés humaines. Il doit donc concentrer toute notre attention. L’une des tâches consiste par exemple à rénover en profondeur notre réseau de canalisations, qui laisse s’échapper un litre sur cinq actuellement. Mais, bien sûr, pour pouvoir remplacer les tuyaux, il faut avant cela les fabriquer. Nous avons en France l’une des meilleures usines du monde pour cela, à Pont-à-Mousson. L’industriel qui la possède cherche à la vendre. Des Chinois, un fonds de pension américain sont sur les rangs. Est-ce du nationalisme que de refuser ce passage sous contrôle étranger, prélude à la délocalisation ? Non, car la conservation de cette puissance industrielle est le préalable à la planification écologique. Tout comme la vente de la branche énergie d’Alstom à l’Américain General Electric fut une catastrophe, non seulement du point de vue du capitalisme français, mais surtout de celui des grands défis d’intérêt général de notre peuple.

Liberté d’agir pour le bien commun

La notion de puissance a beaucoup à voir avec celle d’indépendance. Je suis un indépendantiste français convaincu. Non par nostalgie chauvine, mais parce que je veux voir respecter les décisions démocratiques du peuple français. En premier lieu, cela suppose de lever toute menace extérieure qui contraindrait ses décisions ou l’empêcherait de se transformer en actes concrets. L’indépendance n’est, en fait, rien d’autre que notre liberté. C’est encore à la fois une condition de la puissance et un attribut de celle-ci. C’est pourquoi, à mes yeux, les questions de défense sont si centrales. Notre autonomie en matière militaire, c’est-à-dire notre capacité à défendre seuls l’intégrité de notre territoire, est une condition incontournable de la démocratie effective. Cela implique la rupture avec l’Alliance atlantique, mais aussi une industrie nationale distincte des complexes américains ou d’autres États.

Il ne faut pas confondre cette volonté d’indépendance avec du bellicisme ou du nationalisme. La liberté des Français peut aussi être celle d’agir pour le bien commun. En mer, dans l’espace, dans le monde numérique, la France peut être la voix du droit civilisateur contre les compétitions guerrières. Elle peut défendre la non-exploitation des grands fonds ou des astres, la conception des grands écosystèmes océaniques ou forestiers comme biens communs de l’Humanité, ou encore le recul des pratiques du capitalisme de surveillance sur la Toile. Elle le peut grâce à sa puissance.

Aujourd’hui, la puissance est un objectif politique. Elle est confisquée parce que le pouvoir populaire l’est tout autant. Elle ne sera pas restituée sans un profond bouleversement des priorités politiques du pays, ni sans la refondation d’institutions capables de reconstituer la souveraineté populaire. C’est l’objet des révolutions citoyennes qui agitent notre époque. Aider à son accomplissement en France est le fil rouge de mon combat politique depuis plus de dix ans. C’est de nouveau l’horizon que je fixe pour l’élection présidentielle de 2022.

Mais que signifie réellement l’expression « révolution citoyenne » ? Elle n’est pas faite pour ranimer un folklore romantique qui signalerait une radicalité superficielle. Elle ne cherche pas non plus à marier les contraires pour amoindrir la charge symbolique d’un mot dans certains esprits. Elle donne à la fois le contenu de notre politique et son moyen. Elle est une révolution, puisque son programme change la nature de la propriété en mettant en avant la logique des biens communs et celle du pouvoir dans la cité et dans l’entreprise. Elle est citoyenne, car elle se fait par la voie démocratique à travers un processus constituant.

La souveraineté populaire, l’autre nom de la démocratie, est à la fois l’objectif et le moyen de la Révolution citoyenne. C’est à sa puissance effective qu’est voué son projet politique : l’harmonie entre les êtres humains et avec la nature, philosophie générale proposée par l’Avenir en commun.

 

Jean-Luc Mélenchon

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