Elle avait pourtant réussi à acquérir un capital sympathie non négligeable au terme de son élection presque triomphale il y a deux semaines : voilà que la maire de Paris Anne Hidalgo se retrouve, dès son premier conseil municipal, mise en difficulté. La pomme de discorde entre elle et deux membres écologistes de sa majorité : l’adjoint à la culture qu’elle a choisi de reconduire dans ses fonctions, Christophe Girard. A ce poste depuis 2001 (avec un petit passage par la Mairie du IVè arrondissement et au portefeuille des ressources humaines), l’édile jouit d’une longue et riche carrière dans le secteur du luxe et de la culture, auprès de Pierre Bergé, à LVMH et enfin à la mairie de Paris. Une franchement très belle carrière, où l’on peut dire qu’il n’a pas démérité : le Paris culturel que l’on connaît aujourd’hui, c’est un peu, voire beaucoup grâce à lui, aux visions qu’il a eues et auxquelles il a réussi à donner vie, depuis près de vingt ans qu’il était aux manettes dans la capitale (et il n’est pas question d’en faire la critique ou l’éloge, ce n’est pas le sujet).
Seulement ce n’est pas tout : o tempora, o mores, on “acceptait” des choses dans les années 70, 80 et 90 qu’aujourd’hui il n’est plus possible d’imaginer. Ainsi de l’auteur Gabriel Matzneff qu’une partie des élites cultivées et argentées avait décidé d’idolâtrer, et ce malgré le caractère éminemment problématique de sa littérature – et de son comportement en tant qu’homme, si l’on en croit ce que lui-même en disait. Christophe Girard, homme de son temps comme on dit, a été partie prenante de ce moment « culturel » parisien, comme beaucoup d’autres au demeurant. La question qui se pose dès lors n’est pas tant de savoir si, au regard de la justice, Christophe Girard pourrait être coupable ou non d’avoir participé de l’élaboration et l’entretien d’un réseau pédocriminel – il n’a été, à ce stade, interrogé qu’en qualité de témoin, sans que les instances judiciaires semblent enclines à aller plus loin mais surtout, c’est le rôle de la justice que de démêler ce genre de choses, pas à tout-un-chacun dans les colonnes d’un journal – que d’essayer de trouver une façon de prendre en considération les vestiges d’un passé dépassé.
Défendre Christophe Girard comme Gabriel Matzneff avait été défendu
Néanmoins, force est de constater qu’il existe un parallèle entre la bronca de l’exécutif parisien qui a suivi la démission de Christophe Girard et la défense organisée des activités pédophiles de Gabriel Matzneff : dans les deux cas, c’est la perpétuation de mécanismes de défense de classe qui est au cœur du problème. L’élite culturelle parisienne avait défendu Gabriel Matzneff comme aujourd’hui l’élite politique tout aussi parisienne défend Christophe Girard. Les intérêts de la nation ou de la lutte des classes ne sont plus au centre de la bataille politique, même à gauche : on défend son camp, comme dirait le préfet Didier Lallement. Point barre.
« Il ne suffit pas d’avoir un casier judiciaire vierge pour être adjoint à la mairie de Paris » rappelait Raphaëlle Remy-Leleu, l’une des deux élues écologistes qui réclamaient la démission de Christophe Girard. Considérant qu’il est victime d’une « justice de la rue, de la peur, de l’intimidation » qu’il compare à la Terreur et aux Comités de Salut Public, l’adjoint a pourtant démissionné, à la suite d’une manifestation devant l’Hôtel de Ville où des pancartes « Bienvenue à Pedoland » ont été brandies. Mais Anne Hidalgo n’a pas tenu à en rester là : elle s’est fendue d’un tweet exprimant son écœurement vis-à-vis de la situation de son ami Christophe et a ensuite décrété, par l’un de ses proches adjoints Rémy Féraud, que les deux élues EELV ne pouvaient plus faire partie de la majorité et qu’elle entendait entamer des poursuites judiciaires à l’encontre des organisateurs-trices de la manifestation.
Renversement des valeurs et des dominations
Si l’existence du lien Matzneff – Girard n’est pas en soi – et jusqu’à preuve du contraire ! –, une infraction à la loi, c’est la nomination de ce dernier qui ne passe pas en cela qu’elle est perçue, à raison, comme un affront aux féministes. Les observateurs de la vie politique municipale savaient pourtant bien que c’était un obstacle important à la reconduction de l’adjoint et on pourrait même penser que l’étonnement de l’exécutif face aux mobilisations et à l’opposition d’une partie de sa majorité est feint tant il était certain que cela se passerait ainsi. Mais sans doute n’avaient-ils pas anticipé que la fronde viendrait de l’intérieur de leurs rangs, en les personnes de Raphaëlle Rémy-Leleu et Alice Coffin, membres de la majorité dans le groupe EELV. Et que celles-ci refuseraient les règlements à l’amiable du différend, entre les quatre murs ouatés des bureaux de la mairie, et qu’elles importeraient leurs techniques et stratégies d’activistes et de militantes dans l’enceinte de l’Hôtel de Ville.
A la pression publique et médiatique, Christophe Girard a donc cédé – et annoncé sa démission. Dont acte. Mais c’était sans compter un autre aspect de ce que la politique telle qu’on la pratique - ou la subit - aujourd’hui, produit : les amitiés se sont réveillées et chacun y est allé de son bon mot, sur les réseaux sociaux et dans les médias, pour rappeler à quel point le sort réservé à Christophe Girard était injuste au vu de son engagement dans tellement de luttes et de réalisations. Je passe, par pudeur, sur la bassesse des attaques qu’a du subir en particulier Alice Coffin, engagée de longue date sur les questions d’homophobie et de féminisme – et met sur le coup de la réaction un peu sanguine, certains tweets d’édiles parisiens qui puent la lesbophobie et ressemblent, à s’y méprendre, à des attaques dignes de l’extrême droite. Seul soutien affiché au Conseil de Paris pour les deux élues écologistes : Danielle Simonnet, conseillère La France insoumise, qui n’a pas hésité à les remercier pour leur combat, malgré leurs divergences politiques.
L’image délétère d’un entre soi bourgeois
Les amitiés – politiques – sont tout à fait respectables, dans la mesure où Christophe Girard est loin d’être un affreux monstre. Pour autant, on se dit que parfois, un soutien moral et amical privé vaudrait mieux qu’une prise de position de défense publique car alors, on mélange tout. Mais cette surface médiatique des multiples soutiens de Christophe Girard, c’est aussi la résultante de près de vingt ans de pouvoir municipal : même le préfet Didier Lallement y est allé de son bon mot ! L’image d’entre soi qu’il en ressort est d’une violence qui n’a d’égale que la violence que les ami-e-s de l’ex-adjoint ont déployé à l’encontre des élues écologistes. Paradoxalement d’ailleurs, l’exécutif municipal parisien a généré un blacklash (retour de bâton) à l’endroit d’Alice Coffin plus puissant ou presque que la chasse à l’homme dont Christophe Girard se disait la victime… Les ressorts de la domination sont multiples et il est à craindre qu’Anne Hidalgo n’ait pas bien perçu, en l’espèce, qui était dominé et qui était dominant : c’est une classe, qui a conscience d’en être une, qui se mobilise et réagit violemment quand on accuse et accule l’un des leurs.
La nomination de Christophe Girard au poste d’adjoint à la culture et la défense de celui-ci une fois qu’il a eu démissionné est donc une double faute politique : le nommer était un camouflet à la cause féministe, le défendre ensuite la manifestation éclatante et inconsciente d’une bourgeoisie qui ne s’intéresse plus qu’à la défense d’elle-même. Comme pour couronner le tout, cette séquence où une large partie du Conseil de Paris se lève comme un seul homme (sic), sur la proposition du préfet Lallement, si décrié par toute la gauche dans son rôle de chef de la police parisienne depuis plus d’un an. Le symbole est douloureux. Et les symboles en politique, ce n’est pas rien : on se dit, comme c’est le cas pour Gérald Darmanin au Ministère de l’Intérieur (et même si les circonstances sont tout autres), qu’Anne Hidalgo aurait bien pu se choisir un autre adjoint à la culture et continuer d’aller dîner, s’il lui en chantait, avec Christophe Girard. Ce n’est quand même pas les esprits brillants qui manquent, à Paris comme ailleurs ! Mais les boomers s’accrochent au pouvoir et se comportent comme des bandes organisées qui défendent leur pré-carré et leurs potes. Et à la fin, c’est toute notre démocratie et notre conception du politique qui en souffrent – et de la gauche, car on ne peut que noter avec affliction la position du groupe communiste, alignée sur celle des socialistes.
Pour mémoire, la première liste des signataires de la pétition du 26 janvier 1966 :
Liste complète des 69 signatures.
Alain Cuny, de son vrai nom René Xavier Marie (Acteur)
André Glucksmann, (Philosophe)
Anne Querrien, (Sociologue)
Bernard Dort, (Ecrivain)
Dr. Bernard Kouchner, (Médecin)
Dr. Bernard Muldworf, (Psychiatre)
Bertrand Boulin, (Fils du ministre RPR Robert Boulin)
Catherine Millet, (Critique d’art, écrivain)
Catherine Valabrègue, (Journaliste, écrivaine)
Christian Hennion, (Journaliste)
Christiane Rochefort, (Femme de lettres sous le pseudo de Dominique Féjos)
Dr. Claire Gellman, (Psychologue)
Claude d’Allonnes, (Directrice de la revue Psychologie Clinique)
Copi, de son vrai nom Raúl Damonte Botana (Romancier)
Daniel Guérin, (Ecrivain révolutionnaire)
Danielle Sallenave,
Dionys Mascolo,
Fanny Deleuze,
Félix Guattari,
Francis Ponge,
François Châtelet,
François Régnault,
Françoise d’Eaubonne,
Françoise Laborie,
Gabriel Matzneff,
Georges Lapassade,
Gérard Soulier,
Dr. Gérard Vallès, (Psychiatre),
Gilles Deleuze,
Gilles Sandier,
Grisélidis Réal,
Guy Hocquenghem,
Hélène Védrine,
Jack Lang,
Jacques Henric,
Jean-François Lyotard,
Jean-Louis Bory,
Jean-Luc Henning,
Jean-Marie Vincent,
Jean-Michel Wilheim,
Jean-Paul Sartre,
Jean-Pierre Colin,
Jean-Pierre Faye,
Judith Belladona,
Louis Aragon,
Madeleine Laïk,
Marc Pierret,
Marie Thonon,
Dr. Maurice Erne, (Psychiatre),
Michel Bon, (Psychosociologue)
Michel Cressole,
Michel Leyris,
Négrepont, (Psychiatre)
Olivier Revault d’Allonnes, (Philosophe et esthéticien)
Patrice Chéreau, (Metteur en scène)
Philippe Gavi, (Journaliste)
Philippe Sollers, (Écrivain)
Dr. Pierre-Edmond Gay, (Psychanalyste)
Pierre Guyotat, (Écrivain)
Pierre Hahn, (Écrivain)
Pierre Samuel, (Mathématicien)
Dr. Pierrette Garrou, (Psychiatre)
Raymond Lepoutre, (Journaliste)
René Schérer, (Philosophe)
Dr. Robert Gellman, (psychiatre)
Roland Barthes, de son vrai nom Roland Gérard Barthes (Critique et sémiologue)
Simone de Beauvoir, de son nom Simone-Lucie-Ernestine-Marie Bertrand de Beauvoir (Philosophe, romancière, épistolière, mémorialiste)
Victoria Therame, (Ecrivaine)
Vincent Montail, (Orientaliste)
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