Sur la place de Catalogne, les drapeaux s’entremêlent et à la buvette des stands, les discussions vont bon train. Il est quasiment 14h et les militants convergent, heureux de se retrouver. Le cortège naissant a « de la gueule ». Tant mieux, même si chacun a compris qu’il en faudra bien plus pour faire reculer la régression brune...
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Un notable élu sans étiquette politique
À quelques kilomètres, le congrès du RN a débuté. En place des festivités escomptées on sert de la soupe à la grimace. Avec une perte de plus de la moitié de ses conseillers départementaux ( 26 contre 62 en 2015) et de 30% de ses conseillers régionaux (252 contre 358 en 2015) le mouvement a connu des jours meilleurs. Pour l’hôte des lieux, la peine est double : battu aux départementales et contesté dans son entreprise de normalisation du Parti.
« Louis Aliot avait annoncé publiquement sa volonté de réaliser le grand chelem à Perpignan. Ses candidats ont été laminés dans les six cantons de la ville, et le département reste à gauche. Malgré l’abstention massive, c’est une de nos rares victoires », commente Françoise Fiter conseillère départementale. L’amorce d’un reflux ? Pas plus l’élue communiste que ceux qui défilent à ses côtés n’y croient un instant. Présente sur la banderole de tête Dominique Noguères, responsable de la LDH avertit : « On vit un moment de brouillage des repères. Avec une démocratie en panne. Dans le débat public, les thèmes de l’extrême droite sont banalisés. La diabolisation du RN ne fonctionne plus. » Elle met l’accent sur le travail citoyen et d’éducation populaire à déployer dans la durée.
Lors de la conférence de presse du matin, Thomas Portes porte-parole de Génération.s et l’une des chevilles ouvrières des manifestations du 12 juin a évoqué cette dimension. « Les idées d’extrême droite infusent dans toute la société », a-t-il expliqué. Une autre manière de signifier que de nombreuses digues ont cédé et que l’effort doit porter sur le débat citoyen et de perspectives. À sa manière Jean-Bernard Mathon dresse la feuille de route à suivre. Chef de file avec Carole Forgues de la liste écologiste et solidaire aux dernières municipales, il poursuit son engagement dans l’association L’Alternative ! Endavat [1] qui promeut la démocratie participative. « Je ne suis pas sûr que les Perpignanais fassent la connexion Aliot-extrême droite. Ici c’est un notable sans étiquette politique, à la tête d’une équipe issue de la société civile de droite et d’individualités de gauche », explique le co-porte-parole de l’association L’Alternative ! Endavant, avant d’ajouter : « Nous devons faire comprendre que toute évolution écologique, solidaire, culturelle de la ville est indissociable d’une pratique démocratique. »

Déconstruire et contrer le discours « social » de l’extrême droite
Les syndicalistes sont omniprésents dans le cortège. Cette dernière année, ils ont été aux avants postes de la résistance au nouveau maire, à l’affût de la moindre de ses décisions. « Louis Aliot avance masqué contrairement à Robert Ménard qui à Béziers a une démarche beaucoup plus répressive, par exemple à l’égard des municipaux », analyse Marc Anglaret de Sud-Solidaires, deuxième force parmi les personnels communaux de la ville. Même son de cloche chez Nicola Ribo, responsable CGT : « Perpignan est une vitrine de 100.000 habitants destinée aujourd’hui à asseoir la respectabilité du RN et légitimer le vote Le Pen à la présidentielle. » Tous deux préconisent un travail de proximité inscrit dans un projet de lutte global et « une contre vision de la société ».
Secrétaire confédérale de la CGT, Céline Verzelletti a fait le déplacement depuis Paris. « La lutte contre l’extrême droite est un vrai sujet pour le syndicat. Elle est partie intégrante du combat à l’entreprise. Il y a 40 ans les salariés se battaient pour l’installation de salles de prières pour les musulmans. Aujourd’hui cela déchaînerait un tollé... La division du travail a isolé les salariés, les a fait cohabiter sous statuts différents pour mieux les précariser. L’autre devient un danger pour soi. », développe la jeune femme. Elle défend le besoin de démystifier l’imposture du projet et du discours anti-système du RN. « Et puis, il y a urgence à sortir des sujets identitaires et à remettre la question sociale au cœur du débat de société », ajoute-t-elle.
Dans le département les syndicats [2] ont rejoint l’Association nationale Vigilance et Initiatives syndicales antifascistes (VISA). Ce cadre unitaire leur sert de structure de veille face aux agissements de Louis Aliot, permet un échange d’expériences et leur fournit des outils critiques et de formation pour déconstruire et contrer le discours « social » du RN auprès des salariés. « Même si Louis Aliot cherche à lisser sa gestion municipale, il y a quelques petits signaux qui doivent nous interpeller », avertit Marc Anglaret. « Un peu moins de sans abris en centre ville, la polémique Archipel [3] », poursuit-il.

La stratégie de la mise sous tension
Sans omettre l’inflation sécuritaire qui est un des pivots de sa politique locale. Jean Marc Pujol, l’ancien maire LR de Perpignan avait déjà fait de la sécurité son cheval de bataille. Louis Aliot enfonce le clou et mettre la ville sous tension. Les planètes lui sont favorables : les Pyrénées Orientales sont l’un des trois départements transfrontaliers retenus par Gérard Darmanin pour expérimenter la réforme de structure et d’organisation des forces de l’ordre. Dès l’automne 2020, la ville a été dotée de 28 postes de police nationale supplémentaires. Une aubaine pour l’élu RN qui compte bien en tirer un bénéfice politique. Cette dernière année, il a engagé la construction de trois nouveaux postes de police sans compter celui de la Cigale [4], instauré des patrouilles de nuit, élargi le système de vidéo surveillance. Il s’est également personnellement entouré de trois gardes du corps et a pris pour chargé de mission sur la sécurité un ancien d’Ordre nouveau [5].
Parti en croisade contre les dealers il vient de faire ériger un mur de béton à l’entrée d’une partie commune de la résidence HLM « El Vives » pour empêcher le trafic. Les images rappellent Nicolas Sarkozy en guerre contre « la racaille ». Ces mesures ont une portée symbolique, peu d’efficacité réelle. Elles visent à marquer les esprits, capter l’électorat droitier de son prédécesseur et s’agréger la sympathie de populations désœuvrées. Mais elles restent sans effets pour combattre la misère endémique qui gangrène la cité catalane : son tiers d’hommes et de femmes condamnés à vivre en dessous du seuil de pauvreté, cet autre tiers de 16-29 sorti de la crise sanitaire covid sans emplois ou ces 4400 bénéficiaires qui suite à la réforme de l’allocation logement se retrouvent sans aide. Cette esquive face aux réalités sociales explique t-elle pour partie l’abstention lors des départementales et régionales de nombreux électeurs de Louis Aliot l’an passé aux municipales ? Là n’est pas l’essentiel pour Louis Aliot.

« Même déguisé en agneau, Aliot reste un loup »
Le maire de Perpignan reste un cacique frontiste. Avec un vrai pedigree : petit fils de poujadiste, fils d’une mère pied noir et d’un père de gauche devenus ultra-nationalistes après la guerre d’Algérie. Hier responsable de parti, il rendait hommage au militant de l’OAS Jean-Marie Bastien Thierry. Aujourd’hui maire de Perpignan, il met en berne le drapeau national de la mairie le 5 mars et fustige la reconnaissance officielle par l’Elysée de la torture. « Aliot est un apparatchik arriviste. Mais même déguisé en agneau, il reste un loup », souligne l’auteur de romans noirs Gildas Girodeau. Avec en plus un talent de contorsionniste ou d’illusionniste. Ainsi dès son élection il propose de réouvrir le centre d’art contemporain Walter Benjamin philosophe et homme d’art allemand de confession juive. Après une lever de boucliers de la famille et d’intellectuels emmenés par Michael Lowy, Patrick Boucheron et Jean Luc Nancy qui publient une tribune dans le Monde, il doit faire marche arrière au printemps dernier. Une victoire morale pour le monde de la culture. Un soulagement, tout au moins.
Mais pas de quoi faire douter Louis Aliot qui persiste et signe en redorant le blason de la ville. Au sens propre. « Perpignan la catalane » se transforme en « Perpignan la rayonnante ». Les bandeaux sang et or demeurent inchangés mais se voient encadrés sur les contours par les couleurs bleu-blanc-rouge de la République tandis que le saint patron de la ville, Saint Jean-Baptiste réapparaît sur le logo. Le maire parle d’« un retour aux sources nécessaire », comprenez au catholicisme. Le message est clairement politique et la réaction immédiate notamment dans les mouvements catalans. « Perpignan a représenté l’espoir, une ville lumière. Encore dernièrement pour les exilés catalans. Voir la ville dirigée par Louis Aliot, l’allié de Vox est juste incompréhensible », commente encore Gildas Girodeau.
Dans les rues de Perpignan ce samedi de grande chaleur, le cortège poursuit sa route. Bigarré, chantant, bruyant, féministe, jeune, vivant. Qui n’entend rien banaliser : ni l’extrême droite, ni la diffusion de ses idées, ni les lois liberticides et anti-sociales qu’elle inspire, ni l’insoutenable légèreté des politiques qui jouent avec elle, ni la démission d’une partie du camp progressiste face à elle. Ni même la dureté du combat. No pasaran !
La municipalité dirigée par Louis Alliot a été élue démocratiquement. On peut la critiquer, mai son ne peut pas la délégitimer.
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