Quel monde après ? Après la pandémie. Après le confinement. Il va bien falloir y venir. Répondre aux questions. Justifier les choix, les manques, les erreurs. Réparer l’hôpital public. Bref, changer notre société qui marche mal. Au-delà d’une simple question de hausse des salaires des personnels soignants – qui devrait advenir a minima, si nos gouvernants ne sont pas des monstres – c’est bien la question du système tout entier qui est posée.
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Le Covid-19 est une crise en trois temps : sanitaire, économique puis politique. Le « monde d’après » ne peut se permettre de n’être qu’une version 2.0 du monde d’avant. Ils y pensent, croyez-le bien. Emmanuel Macron, Édouard Philippe, le gouvernement tout entier et sa majorité parlementaire. Ils y pensent et ils en parlent. Discrètement.
Prenez Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics. Le 18 mars dernier, sur BFMTV, il lançait : « La meilleure prime qu’on peut donner aux soignants, c’est de respecter les gestes sanitaires ». On peut aussi les applaudir tous les soirs à 20h. Malheureusement, la prime de 1000 euros promise par le gouvernement ne concerne pas les salariés du public…
Au contraire, l’État semble bien parti pour continuer son entreprise de destruction du service public, aux premiers rangs desquels l’hôpital. Ainsi, le directeur de l’ARS Grand Est Christophe Lannelongue n’éprouve point de honte lorsqu’il explique que la suppression de 598 emplois et 174 lits à l’hôpital de Nancy sera maintenue après la crise. [1] Ses propos ont provoqué un véritable tollé. Mais regardez bien ce qu’en dit le ministre de la Santé Olivier Véran :
« L’heure viendra de tirer les enseignements de cette crise sans précédent et de refonder notre Hôpital [...] tous les plans de réorganisations sont évidemment suspendus à la grande consultation qui suivra. »
Même son de cloches du côté de Matignon, où Édouard Philippe assure que les plans de réorganisation des établissements de santé sont « évidemment suspendus ».
« Suspendus »...
Celui qui parle le mieux du monde d’après, c’est bien le Premier ministre. Sur TF1, interpellé au sujet de l’avenir de l’hôpital public, il concède : « Nous allons tirer les leçons de cette crise sanitaire, même si aucun système sanitaire n’a été conçu pour faire face à une telle pandémie. Nous donnerons les moyens à l’hôpital pour se reconstruire. Un plan massif d’investissements a été annoncé par le chef de l’État. »
Là encore, le choix des mots est d’une importance capitale. Édouard Philippe sous-entend que l’état de notre système de santé n’a pas d’influence sur notre capacité à faire face à une pandémie telle que celle du Covid-19. En d’autres termes : ça n’est pas parce qu’on va remettre des lits, des moyens et des soignants que ça ira mieux la prochaine fois. Vous l’avez ? Le « plan massif » promis ne fera pas table rase.
Que valent les mots d’Olivier Véran face à tout cela ? Quand il assure que « cette crise sanitaire traduit la nécessité de réinventer le modèle de l’hôpital », que faut-il en penser ? La Macronie découvre du jour au lendemain les bienfaits de l’État-providence – et les méfaits du néolibéralisme – et donc ils abandonneraient toutes leurs convictions ? Certes, avec la crise, le gouvernement a mis en sommeil la réforme des retraites, celle des APL ou encore celle de l’assurance-chômage. Leur politique serait donc néfaste en temps de crise, mais bonne pour la société en temps normal ? Comptez sur eux pour reprendre comme en 40 une fois la pandémie terminée !
Il suffit de les écouter parler. Voici le député LREM François de Rugy : « Ceux qui appellent à tout changer "après" veulent en général nous resservir ce qu’ils pensaient avant. Tout change et rien ne change. Il faudra se débarrasser des œillères et des réflexes idéologiques. » Et sa collègue de l’Assemblée Olivia Grégoire : « Si on veut que le capitalisme perdure, il va falloir qu’il soit sacrément mieux régulé ».
Le « nouveau monde » ne sera pas le « monde d’après ».