Si je vous avais dit, il y a quelques mois, voire quelques années, que Rachel Khan et Manuel Valls partageaient le même sens aigu de la fidélité politique, vous ne m’auriez pas cru. Déjà parce que personne ne connaissait Rachel Khan – exceptés les fins observateurs de l’athlétisme… Et qu’il aurait été antinomique de taxer l’ancien Premier ministre d’« antiraciste ».
Et pourtant. Vous n’imaginez pas ce que l’un et l’autre sont prêts à faire pour trouver le bon créneau marketing.
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Internet est une chose formidable. Il n’oublie pas. Ainsi, en cherchant de quoi alimenter cet article, un constat flagrant m’est apparu : avant, Rachel Khan n’était présente que dans des médias type L’Obs, le Huff Post, Jeune Afrique, etc. Désormais, c’est vers le Figaro, le Point ou Valeurs actuelles qu’il faut se tourner pour avoir de ses nouvelles. On a les amis qu’on mérite.
Racée mais pas racisée
C’est avec cet ouvrage – Racée – publié aux éditions de l’Observatoire en mars 2021 que Rachel Khan fait son apparition dans la lumière médiatique. Alors que l’on connaît, depuis des années, un affrontement allant crescendo sur le thème de « l’identité » – Sarkozy, Valls et les républicains du printemps du côté « universalistes », les associations et les militants antiracistes du côté « communautaristes » [1]. Et, sous les yeux de l’extrême droite brassant le champagne de sa victoire idéologique, les antiracistes sont devenus racistes, terroristes même, selon les récentes explications de Caroline Fourest.
Dans ce marasme, disais-je, apparaît Rachel Khan. Elle est noire, mais elle ne parle pas comme Rokhaya Diallo. Mieux, tout au long de son ouvrage, elle se place comme son antagoniste !
Invitée sur le plateau de Quotidien, le 5 mars, Rachel Khan tente une différenciation entre plusieurs catégories de mots : « racisé, intersectionnalité, afro-descendant » – « des mots qui nous cloisonnent dans un récit assez figé » – contre « République, universel, créolisation ». « Je ne me laisserai pas raciser par quiconque », lance-t-elle. C’est que Rachel Khan n’est pas « racisée ». C’est tout le propos de son livre, in fine, et donc de ses sorties médiatiques. Elle prend le contre-pied, à l’heure où l’antiracisme a choisi son terme – racisé –, elle, le refuse. Or, elle commet une première bévue, qui rend bancale toute son analyse : « racisé » n’est pas une revendication.
Le 29 mars, sur le plateau de LCI, Rachel Khan et Rokhaya Diallo se font face. Reprenons-là les mots de cette dernière : « C’est un terme qui vient d’une sociologue qui s’appelle Colette Guillaumin qui l’a formulée dans un ouvrage de 1972. Quand on parle de personnes racisées, il ne s’agit pas d’un état ou d’un statut mais d’un processus. Il y a des personnes qui subissent, du fait de l’histoire de notre pays, du fait des discriminations qui découlent de certaines positions qui sont liées à des apparences physiques, à des origines ethniques, qui subissent des discriminations. C’est la société qui racise, on n’est pas racisé de naissance. Naître noir en Gambie, ce n’est pas naître noir à Paris, aux États-Unis, au Japon… Être racisé, c’est avoir une condition raciale spécifique dans un contexte géographique donné. Ce n’est pas lié à la naissance, c’est lié à l’expérience sociale. Je peux citer Pap Ndiaye, l’historien, qui lui parle d’identité subie. On ne choisit pas. On n’a pas le luxe d’échapper aux discriminations qui sont liées à notre condition. Si on est, par exemple, un jeune homme noir, ou d’origine maghrébine, on peut se dire en se levant le matin : "Je suis un individu". C’est ce que je fais chaque matin. Je ne me vis pas comme une personne noire et je rêve d’une société où ma couleur de peau, la texture de mes cheveux, mon genre n’auraient pas de valeur autre que celles qui importent à mon entourage. Simplement, je vis dans un contexte français : quand on est un jeune homme qui a ma couleur de peau et la vingtaine, il est prouvé statistiquement qu’on a vingt fois plus de risque d’être contrôlé par la police que quand on ne l’est pas. Même si on écrit un livre et qu’on se proclame "racée", lorsqu’on sort de chez soi, les policiers vont se concentrer sur soi vingt fois plus. Donc, c’est un luxe théorique qui ne résiste pas à l’épreuve de la réalité. »
▶️ #Racée – « C’est la société qui racise. On n’est pas racisé(e) de naissance. Être racisé(e) c’est précisément avoir une condition raciale spécifique dans un contexte géographique donné. »@RokhayaDiallo#24hPujadas #LCI #La26 ⤵️ pic.twitter.com/5pfdiSC3MX
— 24h Pujadas (@24hPujadas) March 29, 2021
Démonstration impeccable. Mais il en faut plus pour que Rachel Khan s’avoue vaincue.
Once upon a time… Rachel Khan
Dans le microcosme de l’antiracisme, Rachel Khan n’est pas une inconnue née de la dernière pluie. On se rappelle d’elle. Très bien même. Après un bref passage en politique comme conseillère égalité dans le 20ème arrondissement de Paris(2004-2005), responsable de la communication de la campagne européenne de 2004 pour EELV, puis conseillère culture du président de la région Île-de-France Jean-Paul Huchon (2009), c’est du côté du 7ème art qu’elle tente une percée.

On se rappelle qu’elle a participé en 2017 au documentaire « Ouvrir la voix » d’Amandine Gay. Un documentaire réalisé par une femme noire, dans lequel est recueilli le témoignage de 24 femmes, qui racontent leur condition de vie en tant que femmes noires. On se rappelle qu’en 2018, alors actrice, elle a joué dans une pièce de théâtre qui s’appelait « Sur la route » et dont le propos principal était de dénoncer les violences policières. Une pièce en non mixité : sur scène, que des femmes noires. Assa Traoré en personne avait été invitée à monter sur scène.

Cette même année, elle participe à l’ouvrage collectif Noire n’est pas mon métier, où des actrices noires déplorent le racisme ordinaire et institutionnel du cinéma français.

Bref. Jusqu’en 2018, Rachel Khan était noire. Elle le revendiquait. Depuis, elle semble ne plus vouloir l’être. Ou pour être précis, elle ne veut plus entendre parler de sa couleur de peau. Un non sujet pour elle dorénavant. Que s’est-il passé ? Comment peut-on, en février 2019, éprouver « l’honneur d’être cette maîtresse de cérémonie » où est présente Assa Traoré et, en mars 2021, se retrouver sous les louanges de Valeurs actuelles : « L’écrivain Rachel Khan juge que le “combat” d’Assa Traoré est une “forme d’opportunisme dérangeant” » ? Comment peut-on écrire en mars 2018 « Noires, nous sommes les femmes invisibles du cinéma français » puis donner une interview en mars 2021 au Figaro pour dire : « Le discours victimaire des pseudo-antiracistes m’est insupportable » ?
Mais cette nouvelle Rachel Khan ne parvient pas à faire oublier en totalité l’ancienne. Elle est toujours là. Ainsi, elle peut rejeter le débat sur la racialisation tout en ne parlant que de cela : de race, des origines de ses parents [2]. Rachel Khan le dit elle-même : elle a plein de races en elle.
Rachel Khan, prototype intersectionnel
Au-delà de ses mots, des idées qu’elle peut défendre, il y a autre chose chez Rachel Khan qui plaît beaucoup à ces Jean Moulin des internets : son attitude. Ils voient en elle une femme un peu naïve, emplie de bonne volonté, fervente croyante des dogmes républicains… Du sexisme teinté de racisme. Même Pascal Praud l’adoube. Une non-blanche qui ne challenge pas la blanchité de ces messieurs, ils en rêvaient, elle l’a fait.
Sur le féminisme aussi, elle a vrillé. De la dénonciation du harcèlement en ligne, du journal Causette, elle devient défenseure de personnalités telles que Raphaël Enthoven, qui excelle en la matière – Rachel Khan reprend même son vocabulaire, quand elle qualifie Rokhaya Diallo de « rentière » de l’antiracisme. Il faut constater que Rachel Khan n’est plus, non plus, une femme. Elle en refuse l’assignation de la même façon qu’elle n’est plus noire. Elle est l’intersectionnalité à l’envers. Imaginez donc Rachel Khan participant à un événement organisé par Lallab, une asso féministe et musulmane, qui défend les femmes voilées, qui use de la non-mixité… l’enfer sur Terre pour ses amis d’aujourd’hui qui l’aurait crucifiée avant-hier !

Finalement, Rachel Khan n’est rien d’autre qu’un produit culturel. À la mode. Début 2020, elle est nommée codirectrice de La Place, centre culturel consacré au hip-hop à Paris. Dans une lettre ouverte, plusieurs activistes et professionnels du hip-hop réagissent : « Depuis bientôt une semaine, Rachel Khan fait le tour des médias pour promouvoir son livre "Racée". Dans ses entretiens aux médias et sur ses réseaux sociaux elle tient des propos qui selon nous vont à l’encontre des valeurs d’inclusivité, de partage et de vivre ensemble que la culture Hip Hop a toujours prôné. Au sein de la culture Hip Hop ces termes signifient le refus de toute forme de discrimination, de rejet de la différence, le refus des dogmes, la prise en compte de l’autre tel qu’il est et non tel qu’on voudrait qu’il soit, de rencontres par et à travers nos différences et l’acceptation des parcours et construction de chacun, dans ce contexte, les attaques contre les activistes antiracistes sont intolérables pour un personnage publique représentant la culture Hip Hop. Rachel Khan bafoue les valeurs d’une culture qui nous est chère avec des propos clivants, validés par la frange la plus réactionnaire des médias français. »
En ce début d’année 2021, Rachel Khan a été nommée à la tête de la commission Sport de la Licra. Quelques semaines plus tard, Manuel Valls succède à Simone Veil au comité d’honneur de cette même Licra. Il n’y a pas de mots assez fort pour exprimer ce que ces deux symboles représentent en terme de dévoiement du combat contre le racisme.
Récemment, cette ligue « internationale » contre le « racisme » et l’« antisémitisme » a publié une fausse Une du Time, où Rachel Khan serait à l’honneur en tant qu’« antiraciste de l’année ». En décembre 2020, sur sa page Facebook, Rachel Khan en diffusait une autre, représentant exactement la même chose. Or, la seule personnalité antiraciste française que le Time ait consacrée, c’est Assa Traoré. Que faut-il en comprendre ? Que cette petite communauté se rêve un monde. Un monde où ils seraient, tous, bel et bien antiracistes. Mais ce n’est qu’un songe. Dans la vraie vie, Manuel Valls manifeste aux côtés des franquistes et Rachel Khan, dans un désir de réconciliation – de quoi, entre qui ? – s’affiche volontiers avec le très droitier Mathieu Bock-Côté, « rires au soleil ».
Toute incohérence politique, elle, serait purement fortuite.

Madame Khan a toujours rêvé de devenir célèbre.
Je respecte ses idées, sans les partager.
En revanche sont parcours personnel est hautement suspect, la sincérité de ses convictions douteuse.
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