Accueil | Par Roger Martelli | 7 juin 2018

Regards : le choix de l’indépendance

Depuis un long moment, l’atmosphère dans la gauche de gauche n’est pas à la concorde et à l’esprit de compromis. Résultat : chacun est sommé de "choisir son camp", comme au plus fort de la guerre froide. À Regards, nous avons décidé de ne pas respecter cette injonction. Cela nous vaut souvent la haine des fanatiques. Tant pis : nous assumons.

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Il nous arrive d’égratigner la France insoumise ou tel ou tel de ses dirigeants. Du coup, nous voilà tenus pour le "bras armé" d’une "offensive concertée" visant à prôner "la vieille idée du rassemblement de la gauche". Nous prenons aussi parfois des distances avec les analyses et les choix du PCF. C’est bien sûr la marque d’un anticommunisme congénital et l’attaque "minable" d’un "petit truc confidentiel et hargneux". Du temps des guerres de religions, il n’était pas bien vu de ne pas choisir entre les catholiques et les protestants. Haro, aujourd’hui, sur ceux qui se refusent à l’esprit d’obédience !

Mais ne voit-on pas que c’est de cela que la gauche de gauche a bien failli crever ? Elle fut longtemps archi-dominée par le PCF, à l’époque de la centralité ouvrière et du mouvement ouvrier ascendant. Ce temps n’est plus : la critique sociale demeure, et avec elle l’esprit de rupture et d’émancipation, mais les catégories populaires sont dispersées, le mouvement ouvrier est en recul et la gauche de gauche peine à se rassembler durablement. Autour de la candidature Jean-Luc Mélenchon, cette gauche de gauche a retrouvé des couleurs et donne le ton, dans une gauche globalement affaiblie. Et, sur cette base, la France insoumise est la force qui a – et de loin – le mieux tiré son épingle du jeu. Mais elle est loin d’avoir regroupé toutes les composantes de ce que l’on pourrait appeler le "parti de l’émancipation".

Qu’y a-t-il d’absurde ou de scandaleux à penser cela, qui pousse à mesurer à la fois ce qui a été acquis et ce qui reste à gagner ? Nous pensons pour notre part que, si ce constat est juste, il n’y a rien de pire que l’esprit de suffisance, la conviction que chacun incarne à lui tout seul le mouvement tout entier. La réalité sociale dans son ensemble et le parti pris critique en particulier sont pétris de contradictions. Se les cacher n’est pas une arme pour agir positivement sur elles, pour mobiliser majoritairement, non pas contre une "caste" ou un "système", mais contre un ordre multiséculaire bien rodé, qui fonctionne à l’exploitation, à la domination, à l’aliénation des subalternes. Ne pas chercher à raboter les contours du rassemblement, repousser tout ce qui, peu ou prou, se ramène à la conviction que l’on se renforce en s’épurant : voilà ce qui constitue pour nous comme un fil rouge…

Ce n’est pas parce que l’on vitupère la vieille "union de la gauche" qu’on est par nature vacciné contre les propensions, plus vieilles encore, à l’accommodement et à l’adaptation au capitalisme. En revanche, ce n’est pas parce que l’on pense que le clivage droite-gauche n’a pas perdu de son sens et de son utilité que l’on est condamné pour autant à reproduire des méthodes de rassemblement qui ont eu leurs vertus et qui sont désormais obsolètes. Ce n’est pas parce que l’on pense qu’il faut mener en longue durée le combat pour construire une union européenne viable, que l’on est un "eurobéat". Et ce n’est pas parce que l’on affirme que les peuples d’Europe doivent se sortir du carcan des traités actuels, que l’on refuse toute Union, tout traité européen et que l’on est, derechef, un "eurosceptique" doublé d’un "populiste". On peut critiquer l’Europe telle qu’elle est et, en même temps, considérer que les plus grands destructeurs de l’Union sont ceux qui la gèrent aujourd’hui. "Eurobéats" contre "eurosceptiques" : pauvre Europe, si elle en est réduite à cette opposition meurtrière !

Le parti pris de Regards est celui de la diversité. Des courants qui traversent aujourd’hui le mouvement critique et la gauche politique, nous ne privilégions aucun, dès l’instant où chacun considère que les malheurs de la gauche ne tiennent pas aux deux années de gouvernement Valls, ni même aux cinq années de présidence Hollande, mais à plus de trois décennies de renoncements devant la percée de la concurrence et de la gouvernance. Dans cette gauche-là - où n’est pas pour l’instant le Parti socialiste "maintenu" – nous n’avons ni d’ennemi ni même d’adversaire. Nous n’avons pas à trancher entre la "vraie" et la "fausse" gauche, les "mous" et les "durs".

Chacun, à Regards, pense ce qu’il veut et agit en pratique comme il l’entend. Mais notre base d’accord est notre esprit critique et notre indépendance. À notre humble avis, c’est en tenant ferme sur cette conviction que nous avons pu être utiles dans les combats de près de quinze années. C’est en toute indépendance que nous avons soutenu les cheminements du "courant antilibéral", participé à la belle campagne du "non" au projet de Traité constitutionnel européen, accompagné le Front de gauche et mené, très tôt, les batailles présidentielles de 2012 et 2017.

Nous n’avons jamais abdiqué notre liberté. Nous avons dit la folie que représentait la dispersion des antilibéraux en 2006-2007, souligné les limites d’un Front de gauche réduit à un tête à tête JLM-PCF, critiqué les atermoiements qui ont précédé la présidentielle de 2017. Nous avons la faiblesse de penser que si, au lieu d’être rejetés, nous avions été un peu plus écoutés, dans nos inquiétudes et interrogations, les choses se seraient mieux passées à la gauche de la gauche. Mais le passé est le passé…

Aujourd’hui, nous continuons. Nous persistons à estimer que les querelles internes au parti de l’émancipation contredisent son ambition à être le cœur de la gauche et la force motrice de majorités à venir. Dès lors, nous approuvons ce qui nous paraît aller dans le bon sens et prenons nos distances avec ce qui nous inquiète. Mais d’accord ou pas d’accord, sereins ou inquiets, nous ne taisons aucune opinion, aucun parti pris. Nous faisons parler toutes les forces et sensibilités, tous les courants – il suffit de consulter le programme des "Midinales" depuis quelques mois.

Notre liberté est notre marque de fabrique. Elle est notre fierté. Tant pis pour ceux qui s’imaginent que la flatterie est la seule manière de respecter une idée, un parti ou un individu.

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Vos réactions

  • Le ni-ni n’est pas une position, c’est un refus d’engagement. Ceci dit, vous faites ce que bon vous semble. On constate une baisse très importante des commentaires sur Regards. Désintérêt ou lassitude des lecteurs ? Cette désertion de l’espace des commentaires correspond-elle à une baisse de fréquentation du site ?

    choucroute Le 7 juin 2018 à 23:15
       
    • @ choucroute

      « Cette désertion de l’espace des commentaires correspond-elle à une baisse de fréquentation du site ? »

      Votre impression rejoint la mienne, et votre question me paraît des plus pertinentes. Mais en raison précisément de cette pertinence, elle n’obtiendra sans doute pas d’autre réponse qu’un silence maussade (et agacé).

      La rhétorique pompeuse et vague, les nobles indignations préemptives, les inusables protestations d’innocence, tout cela n’empêchera pas de voir ce qui n’est que trop visible pour tout le monde.

      bohusch Le 9 juin 2018 à 21:41
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  • C’est autre chose que la bile de C Tricot.
    Y’a des idées, un raisonnement, de la culture quoi...
    Il était temps.

    PIERRE 93 Le 7 juin 2018 à 23:19
  •  
  • Mr Martelli

    La gauche n’a pas failli crever à causes de ses différents comme vous l’affirmez, mais à cause de ses trahisons successives. L’eletorat populaire ne s’est pas massivement retranché dans l’abstention ou le vote FN , parce qu’il y a différents choix stratégiques de fond à gauche, mais parce que cette « gauche » n’est plus pour cette électorat un espoir.

    La « gauche de la gauche » cela n’existe pas , ou cela voudrait dire que la gauche tout court serait quand même de gauche , une sorte de « nouvelle gauche » ... La question fondamentale en politique, c’est qu’elle est l’objetif . Si la réponse à cette question c’est changer , renverser l’ordre établit, pour un ordre plus juste, plus fraternel, plus égalitaire, avec plus de liberté, et plus de respect pour notre environnement, alors l’on est obligé de se demander quel est le plus sûr moyen d’y parvenir , et le plus rapide , car il y a urgence . Urgence pour la planète, urgence pour ceux qui souffrent le plus, urgence pour repousser la peste brune .

    A ces questions sur l’objectif et les moyens d’y parvenir il existe à gauche des différences importantes. Dans les accords au sommet entre partis , type « union de la gauche » , ces différents étaient glissés discrètement sous le tapis on a vue le résultat en 83 . Les partis eux mêmes , en générant toute une bureaucratie, se sont coupés de leur électorat et éloignés de leurs objectifs . Lorsque vous qualifiez d’atermoiements l’attitude de certains pendant la présidentielle, vous faites ce que j’appelleraI un doux euphémisme .

    Aujourd’hui l’union se fait dans l’action , sur le terrain, comme on a pu le constater le 26 mai , plus de soixante organisations unis dans la lutte . Il faut voir cela comme un commencement porteur d’espoir, non comme une fin .

    Face à cette problématique on ne peut pas comme vous le faite renvoyer tout le monde dos à dos . En politique il faut choisir, prendre position . Dans le champ politique on ne peut pas nier ou ignorer le rôle joué par les affects , on ne peut pas non plus nier ou ignorer comme le font certains la question du leadership .
    Bien fraternellement

    Gege Le 8 juin 2018 à 07:44
       
    • vote FN qui sera désormais celui du Rassemblement National c’est à dire d’une assise bien plus large !

      buda Le 11 juin 2018 à 09:39
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  • Je partage complètement cet avis. Je suis atterré quand je vois que la direction du PCF a désigné I. Brossat pour être un chef de file sensé proposer une liste de large union. Ces récentes déclarations concernant la future élection municipale à Paris laissent clairement entrevoir le style de liste qu’il va tenter de produire. Pour mémoire voici une partie de ses déclarations à Libération : « Depuis 2014 on travaille bien ensemble, notamment sur les questions de logement. Nous devons, toutes les composantes de la majorité, faire des efforts, commencer à discuter pour faire en sorte que l’aventure continue. » Il met en garde les siens  : « L’élection sera serrée entre la République en marche qui souhaite prendre la ville et la France insoumise qui veut faire perdre la gauche… La majorité doit garder ça à l’esprit. »

    choucroute Le 8 juin 2018 à 08:04
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  • Bravo, ça au moins c’est de l’insoumission !

    dionnet Le 8 juin 2018 à 14:30
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  • Merci à Regards. A Catherine T, à Roger M, à Clementine A de garder ce cap.

    J’ai fait le choix de la FI. Pas "parce que JLM", parfois c’est même "malgré JLM", mais parce que c’est le seul endroit ou faire encore de la politique avec des gens qui n’ont pas tou.tes 30 ans de vol, sur un programme réellement partagé.
    Je déplore l’absence de démocratie - pas pire qu’ailleurs - qui nous affaiblit.

    Je considère que le Front de gauche a échoué, d’abord et avant tout par refus des adhésions directes qui auraient permis de contrer toutes les dérives électorales du PCF, mais pas que ! Dans combien de municipalités les élu.es PCF ont fait alliance avec le PS contre le vote de leurs militant.es !

    Je ne ferais pas une campagne pour les européennes qui laisserait entendre que je ne condamne pas Tsypras et l’erreur grecque. Pas par sectarisme mais parce que ce serait suicidaire de dire à nos électeurs.trices votez contre l’Europe des traités et quand on sera confronter à la troïka on abdiquera.

    Ce serait le meilleur moyen de renforcer le FN (pardon RN) dont il me semble que toute la "gauche véritable" semble avoir oublié que c’est eux qui vont capitaliser la politique macronienne si nous continuons cette absurde compétition.
    Pour autant, étant à St Etienne du Rouvray, j’ai fait campagne et voté pour Hubert Wulfranc maire communiste de SER. Sans aucun état d’âme et je déplore que nationalement nous ne nous (la FI) soyons pas positionné pour avoir le maximum de députés insoumis.es et communistes, à l’issue du premier tour.
    Distinguer sans séparer, pour unir sans confondre ne peut être que notre orientation qui, Roger a raison, sera, est, combattue par les fanatiques de tout bord. Le malheur étant d’ailleurs que nos échecs successifs à faire face au tsunami Macron, renforce les tendances à l’agressivité, à la violence et au sectarisme.
    J’ai des convictions comme chacun.e. Je milite quotidiennement (migrant.es, Soignant.es du CHS de Rouvray, Alternatiba...) Je ne compte pas les mettre en sourdine, mais cela ne peut pas, ne doit pas, nous empêcher d’écouter ceux qui ne sont pas nos adversaires, ni nos ennemis, simplement des cousins.

    Attention de ne pas finir comme la gauche Italienne.

    Drevon Jean-Michel Le 8 juin 2018 à 15:34
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  • Le choix de "l’indépendance" est probablement le plus difficile à tenir... certainement plus en tous cas que celui de clarifier et défendre des convictions politiques car il implique que tout choix exprimé en faveur de tel ou tel n’aurait pas pour origine générique un préjugé "partagé" avec l’une des parties, mais une réflexion argumentée dont il faudra faire état de façon détaillée et ce pour ne pas déroger à vos propres ambitions !

    En effet, Si le niveau de détail est insuffisant, ou les arguments plus "marqués" politiquement que "factuellement" appréhendables, alors, vous aurez bien du mal à convaincre sur votre positionnement... car, si vous présentez dans cet article la "critique" éventuelle comme le signe d’un militantisme aveugle ou d’une mauvaise foi patentée, il y aura probablement bien un autre "regard" qui s’exprimera de façon tout aussi polémique mais nettement plus raisonnée que les premiers. De toute évidence, votre manière d’envisager la critique laisse supposer que vous ne ferez aucune nuance en la matière...

    Mais laissons cela et passons aux encouragements : A cœur vaillant rien d’impossible alors bon courage dans l’affirmation de votre ligne éditoriale car elle s’avère très exigeante !

    carlos Le 11 juin 2018 à 11:03
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