Ne vous fiez pas au taux d’abstention record, les citoyens restent très attachés à la démocratie telle qu’elle existe en France, d’autant plus quand il s’agit des municipales. Alors, quand la démocratie est malmenée, manipulée, violée, quoi de plus normal pour un électeur que de s’en indigner ?
On l’a vu à Marseille, quand Michèle Rubirola et son union de la gauche ont failli perdre la mairie malgré sa première place dans les urnes. À Vitry-sur-Seine, dans le Val-de-Marne, l’usurpation a bien eu lieu. Un fratricide.
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Le communiste Jean-Claude Kennedy, tête de liste, avait gagné l’élection avec 49,87% des voix. Gagné, sur le papier... Car dans les faits, c’est Pierre Bell-Lloch, cinquième sur sa liste, qui a été placé dans le fauteuil de maire. Lors du conseil municipal d’installation, ce dernier s’est donc présenté et a manœuvré pour obtenir 27 voix, contre 11 pour Kennedy. « Pierre Bell-Lloch est allé acheter les voix pour organiser son putsch au mépris de toute discussion avec les communistes et de tout respect des règles internes de fonctionnement », arguait Isabelle Lorand, conseillère municipale PCF, dans La Midinale.
Voilà donc Vitry et ses 92.000 habitants découvrant quelques jours après le vote un maire qui n’est pas celui désigné par le suffrage universel.
Jean-Claude Kennedy, maire sortant de Vitry, l’accuse d’avoir « bafoué le suffrage universel ». « Je suis tombé des nues. Je n’aurais jamais imaginé que l’on puisse en arriver à un tel coup de force, très organisé, maîtrisé et bouclé avec la complicité d’EELV et du PS », explique-t-il dans L’Huma. Pierre Bell-Lloch, lui, se justifie : « Ce n’est pas un putsch. C’est la majorité qui s’est exprimé pour dire ce qu’elle pensait. Moi j’interroge simplement : comment se fait-il qu’un maire qui est là depuis plusieurs années se retrouvent avec onze voix seulement de son conseil municipal. Est-ce qu’il aurait été légitime pour diriger la ville [...] On n’a pas honte de ce que l’on a fait. On est fier d’avoir fait vivre la démocratie », rétorque-t-il à France Bleu.
Pour réussir son coup, Pierre Bell-Lloch a exigé que l’élection du maire se tienne à bulletin secret. Même dans les rangs de l’opposition, le putsch est impensable. Frédéric Bourdon, candidat écologiste soutenu par LFI, déplore auprès de l’AFP « un hold-up démocratique ». Le sénateur socialiste Luc Carvounas a demandé « à [s]es collègues PS élus de démissionner et de ne pas participer à cette mascarade démocratique ». L’affaire est devenue nationale.
Le PCF uni contre les putschistes (ou presque)
Mais le geste n’est pas sans conséquence. Christian Favier, président PCF du conseil départemental du Val-de-Marne, a illico retiré à Pierre Bell-Lloch, vice-président du département, toutes ses délégations. Dans cette assemblée, il fait l’unanimité contre lui : « Nous te demandons de te mettre en retrait de la vie de notre groupe », écrivent les élus du groupe Val-de-Marne ensemble (PCF, FDG, LFI).
Les secrétaires de la section de Vitry-sur-Seine du PCF se sont fendus d’un communiqué justifiant les manœuvres de couloirs contre Jean-Claude Kennedy : « Malgré la recherche d’un compromis jusqu’au tout dernier instant avec Mr Jean Claude Kennedy, maire sortant, portant sur le respect des accords passés avec nos partenaires écologistes et la garantie d’un renouvellement dans notre vie politique municipale, la candidature de Pierre Bell Lloch a été la seule issue pour préserver la majorité d’union de la gauche et écologiste, arrivée très largement en tête dimanche 28 juin avec 49,8% des voix. Cela était le seul moyen de garantir notre majorité au sein de la municipalité. En ouvrant sa majorité à la liste menée par Monsieur Bourdon, qui a été durant toute la campagne hostil au programme municipale sur lequel la liste "Vitry rassemblée" a été élue. Une telle démarche tourne non seulement le dos à nos partenaires mais aussi aux vitriot.e.s eux même. [...] Plus que jamais, nous continuerons à œuvrer à l’unité de la gauche et des écologistes, et au delà, à l’unité de tous.tes les vitrio.tes. »
Du côté du PCF du Val-de-Marne, on fait bloc derrière le maire déchu : « Ce qui s’est passé ce matin lors du conseil municipal de Vitry, est une perfidie. [...] Dans le huis clos d’une poignée d’élu•es, constitués en clan, bien loin des valeurs portées par cette liste avec à sa tête, Jean-Claude Kennedy. [...] Pour la fédération du Val-de-Marne, un tel acte est inacceptable. Nous appelons celles et ceux de nos camarades, qui y ont pris part, à démissionner des postes obtenus ce matin, à un retour aux engagements pris collectivement et sinon à avoir l’honnêteté de retourner devant les électeurs qui sont les seules sources de légitimité réelles dans notre pays, notre République. » Même dénonciation côté Jeunes communistes du 94.
Le parti n’avait d’autre choix que de réagir, nettement. Dans un bref communiqué, voici ce qu’indique le 2, place du Colonel-Fabien :
« La direction nationale du PCF se désolidarise de telles pratiques et exprime son amitié à Jean-Claude Kennedy. Nous souhaitons qu’au plus vite le Parti communiste et la majorité des élus de Vitry retrouvent leur unité dans l’intérêt des populations. »
Plusieurs cadres du parti ont également réagi sur les réseaux sociaux (ici, là ou encore là), tant pour marquer leur solidarité avec Kennedy que leur indignation face à ces méthodes
Résistances populaires
Il n’est pas que les instances, les organes et les élus communistes qui s’émeuvent à chaud de cette situation ubuesque. L’écœurement est généralisé contre la « clique ».
Sur les réseaux sociaux, notamment des suites des articles du Parisien, on trouve énormément de commentaires de cette trempe : « traîtres », « c’est scandaleux », « une honte », « où est la démocratie ? »
Mardi 7 juillet, ils étaient 200 à se rassembler pour protester contre le coup de Pierre Bell-Lloch, des habitants, des militants, des opposants municipaux et politiques au maire sortant. Ils remettent donc ça ce samedi. Preuve qu’une élection locale fait encore sens pour beaucoup.
Fabien Roussel a annoncé qu’il saisissait la comission des conflits à ce sujet. Par ailleurs, Pierre Bell-Lloch et Fabienne Lefebvre (une de ses adjointes), membres du conseil national, ont annoncé se mettre en retrait de leurs responsabilités nationales. « Il n’y a pas d’exclusion au PCF, cela a été retiré des statuts », se rassure le nouvel édile. De même que sa manoeuvre pour devenir maire n’a rien d’illégale, puisque le code des collectivités territoriales le permet. Ce doit être son côté Baron Noir : bien maîtriser les règles pour mieux battre ses camarades.