Accueil | Par Loïc Le Clerc | 9 septembre 2021

À Aubervilliers, jardiner, c’est résister

C’est l’histoire d’une piscine, d’un solarium, de travaux pour les Jeux olympiques et de jardiniers faisant face aux bulldozers.

Vos réactions
  • envoyer l'article par mail envoyer par mail
  • Version imprimable de cet article Version imprimable

Mise à jour le 20 septembre 2021 : la cour administrative d’appel de Paris a suspendu le permis de construire d’une piscine à Aubervilliers en Seine-Saint-Denis.

 

Jeudi 2 septembre, nous publiions sur Twitter un extrait de « La Petite Taupe et le bulldozer », un dessin animé tchèque sorti en 1975. On y voit un engin venir détruire un parc. Notre petite héroïne tente de résister, en vain, face à l’énorme machine de destruction. Ça n’a l’air de rien, mais c’est exactement ce qu’il s’est passé, ce même jeudi, à Aubervilliers, plus précisément aux jardins ouvriers. Ce jour-là, 4000m² de jardin ont été détruits, soit 19 parcelles.

 

LIRE AUSSI SUR REGARDS.FR
>>
Seine-Saint-Denis, qui va toucher « l’héritage » des JO 2024 ?

 

Depuis, nous avons rencontré Dolorès, qui jardine ici depuis mai 2020. Rien que pour entrer dans les jardins, c’est une « aventure ». L’entrée est fermée. Chaque portail est gardé par deux vigiles. Et la police patrouille régulièrement. La « JAD » – pour « jardin à défendre » – est devenue une zone interdite.

Comment une bande de jardiniers a-t-elle fini par devenir indésirables aux yeux des autorités ? En cherchant dans la presse pour savoir ce qu’il s’est passé, un élément d’explication revient : les Jeux olympiques de 2024. Ce terrain aurait été choisi pour accueillir une piscine olympique, piscine qui, une fois les JO terminés, pourra faire le bonheur des jeunes Albertivillariens (et des moins jeunes).

Quand on raconte ça à Dolorès, elle s’agace un peu. Oui, il est bien question de piscine. Trois bassins olympiques – non pas pour des épreuves des JO, mais pour 15 jours d’entraînement. Et oui, Aubervilliers en a bien besoin d’une piscine – il n’y en a qu’une seule pour 80.000 habitants. D’ailleurs, les jardiniers le concèdent volontiers. Ils s’en réjouissent même. Sauf que ce n’est pas une piscine à proprement parler qui vient empiéter sur les jardins…

« Le problème principal, c’est le solarium », nous explique Dolorès. C’est qu’une piscine, ça n’est pas un investissement rentable… Alors est venu se greffer d’autres équipements. Car la fameuse piscine ne sera pas construite en lieu et place des jardins, mais sur un… parking, juste à côté. Bien qu’Anthony Daguet, ancien premier adjoint PCF en charge d’une partie de la réalisation du projet, assure que même la piscine seule aurait empiété sur quelques jardins. Lui explique avoir fait au mieux pour préserver un maximum de jardins : « À la base, 90 parcelles devaient être détruites, car il y a aussi le projet de gare du Grand Paris Express. On a réussi à faire reporter la construction de la gare pour éviter que trop de parcelles soient détruites. Il faut savoir que l’État voulait construire des logements et des bureaux partout. La piscine a empêché ça. »

Expulsion et destruction

Jeudi 2 septembre donc, ce fut jour d’expulsion. À vrai dire, les jardiniers ne s’y attendaient pas de si tôt. Ils ont été pris de court. Et n’ont pu que constater, déplorer, le spectacle de cette énorme tractopelle détruisant tout sur son passage. « Elle m’a beaucoup fait pleurer, raconte Dolorès. Ce fut un véritable traumatisme. Pour tout vous dire, j’ai perdu la mémoire de ce que j’ai fait cette journée… »

Une journée agitée, au cours de laquelle plusieurs de jardiniers mobilisés finiront au poste pour « outrage et rébellion ». Dolorès aussi, se rend au commissariat. Pour porter plainte : « La tractopelle a fait tomber des cabanes de jardiniers dont les toits sont en tôle amiantée. Ils ont détruit ça comme ça, sans même le savoir en fait. Et ils ont laissé de gros bouts au sol. C’est un réel danger pour les riverains, les ouvriers, les jardiniers, les vigiles, etc. »

Peu de temps après, deux personnes en combinaison viendront ramasser ces morceaux, l’air de rien. Les débris des jardins ont été enlevés et le terrain barricadé. « Ils veulent effacer toute trace de destruction au plus vite », assure Dolorès.

 

Sentiment de trahison

Nos « jadistes » en ont gros sur la patate. « On nous a toujours menti », lâche Dolorès. Ils ne comprennent pas comment ce jardin, zone non-constructible jusqu’en février 2020, se retrouve aujourd’hui amputé de 4000m². Pas plus qu’ils ne comprennent pourquoi l’ancienne maire PCF Meriem Derkaoui a signé ce projet quelques jours après sa défaite aux élections municipales de 2020. « Elle nous avait promis que les jardins ne seraient pas touchés », s’emporte Dolorès. « Faux », rétorque Anthony Daguet. Parole contre parole.

Pour le communiste, désormais dans l’opposition, tout n’est pas perdu : « À l’époque, on pensait que moins de jardins seraient impactés, plutôt 6 que 15. On pensait pouvoir revoir ça si ça posait problème. Le marché a été validé en février 2020, après il y a eu le covid, les élections, on était concentré sur autre chose... Moi, je suis pour qu’on enlève le solarium, qui n’est qu’une option du contrat. »

Après l’expulsion et la destruction des jardins, les militants ont rapidement repris position. Depuis, ils n’ont qu’un objectif : empêcher la bétonisation du terrain désormais vierge. Tous attendent avec impatience l’audience le 15 septembre, à la Cour d’appel administrative de Paris, pour faire arrêter les travaux. Les jardiniers sont assez confiants. Du moins, plein d’espoir. « Les militants sont épuisés de ces quatre mois d’occupation », constate Dolorès. En attendant, la vingtaine de jardiniers qui se retrouvent sans parcelle ont récupéré d’autres parcelles abandonnées, ou bien en partagent une avec un autre. Le tout sous bonne garde policière.

 

Loïc Le Clerc

Vos réactions
  • envoyer l'article par mail envoyer par mail
  • Version imprimable de cet article Version imprimable

Vos réactions

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.