Accueil | Entretien par Pablo Pillaud-Vivien | 19 novembre 2020

Réchauffement climatique : « Le droit est en train de s’aligner sur le consensus scientifique »

Suite à un recours déposé par la commune de Grande-Synthe (59), le Conseil d’État était amené à se prononcer sur le respect des engagements de la France, notamment l’objectif rendu public de diminution de 40% de ses émissions d’ici 2030. Décryptage avec l’avocat Hugo Partouche.

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 Hugo Partouche est avocat au cabinet Vigo.

 

Regards. Le Conseil d’État a rendu une décision attendue par de nombreux acteurs de la lutte contre le réchauffement climatique ce matin : quelle est-elle exactement ?

Hugo Partouche. Un des objets des recours comme celui porté par la commune de Grande-Synthe (et par la justice climatique avec l’Affaire du Siècle) est de faire en sorte que le droit se mette au niveau du consensus scientifique existant sur les causes et les effets du changement climatique, notamment sur les émissions de gaz à effet de serre (GES). Il s’agit d’affirmer que ce consensus scientifique est ancien, que les engagements internationaux de la France sont très nombreux et qu’en conséquence, les objectifs que se donnent certains États comme celui d’une réduction de 40% de GES avant 2030, ne sont pas uniquement indicatifs mais qu’ils peuvent avoir une valeur contraignante, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une obligation dont le non-respect est contrôlé par des juges. S’il est vrai que la décision rendue ce matin ne répond pas à l’ensemble des questions qui lui étaient posées, il est important de noter que le Conseil d’État - et c’est une première - accepte d’accueillir ce débat juridique.

 

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Sur le fond, sur quoi porte la décision du Conseil d’État ?

Le Conseil d’État estime que si la France s’est certes engagée à réduire ses émissions de 40% d’ici à 2030, elle a pourtant dépassé régulièrement les plafonds d’émission qu’elle s’était elle-même fixé. En cause tout particulièrement : un décret de 2020 qui a reporté l’essentiel des efforts de réduction après 2020, comme le rappelle le communiqué de presse de la haute juridiction. Dix ans seront-ils suffisants pour rectifier le tir ? C’est la question à laquelle le gouvernement doit répondre. Autrement dit, le Conseil d’État accepte de s’intéresser à ce qu’est une « trajectoire ». Certes, on n’est pas encore en 2030, c’est-à-dire que l’on n’est pas encore en mesure de constater que l’État n’a pas respecté l’objectif pour cette date, mais il est déjà certain que l’objectif est inatteignable. La nature du changement climatique rendait essentielle cette approche : les objectifs 2030 se construisent aujourd’hui sinon il sera trop tard.

Le Conseil d’État donne ainsi un délai de trois mois à l’État pour tenter de démontrer que les analyses scientifiques selon lesquelles les objectifs de réduction des GES ne sont pas atteignables sont fausses. Or, l’État ne pourra vraisemblablement pas le faire. Dans les faits, il va surtout falloir qu’il démontre que le décret de 2020 n’a pas définitivement empêché d’atteindre ces objectifs. Implicitement, se dessine aussi une évolution de la jurisprudence qui sera fondamentale pour les contentieux climatiques et environnementaux. Sans le dire, le Conseil d’État accepte de considérer qu’un objectif - ou une disposition programmatique - n’est plus, par principe, simplement indicatifs, alors que jusqu’à présent, ces objectifs n’étaient pas contraignants. Ce sont là deux éléments extrêmement positifs car il y a de fortes chances qu’il soit difficile pour l’État de démontrer que les objectifs de réduction de gaz à effet de serre devenus contraignants pourront être atteints. Il aura donc manqué à une obligation.

Si le gouvernement n’arrivait pas à « se justifier » correctement d’ici trois mois, quel serait le type de décision que pourrait prendre le Conseil d’État ?

Le gouvernement a refusé de prendre des mesures supplémentaires pour respecter les objectifs issus de l’accord de Paris, comme le demandait la commune de Grande-Synthe. En conséquence, il est demandé l’annulation de ce refus. Plus simplement, si le refus n’était pas légal, c’est que le gouvernement devait accepter de prendre les mesures supplémentaires dans le sens demandé par la commune. C’est la raison pour laquelle elle demande également que soient prises toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de GES et que le gouvernement soit enjoint de prendre ces mesures dans un délai de 6 mois. D’une manière un peu différente, l’Affaire du Siècle demande de reconnaître que l’inaction du gouvernement est fautive et qu’elle donne droit à indemnisation. Le fait que les « objectifs » de réduction sont jugés obligatoires constitue un jalon en ce sens.

Les gouvernements prennent souvent des engagements qu’ils ne respectent pas : en matière d’emploi, en matière de dépenses publiques (hôpital, école...), en matière de culture ou de justice. Est-ce que le Conseil d’État pourrait s’emparer de chacun de ces sujets pour les obliger à les respecter ou ça ne marche qu’en matière climatique ?

En l’espèce, les objectifs semblent lus à la lumière de conventions internationales et s’articulent, pour la première fois, avec le consensus scientifique en la matière. Ces deux éléments soutiennent vraisemblablement le raisonnement du Conseil d’État. Vu le caractère implicite de ce raisonnement, il n’est pas facile de répondre sur les conséquences d’une telle décision, surtout s’il s’agit d’objectifs qui ne sont pas soutenus de la même manière par des textes de valeur normative supérieure, c’est-à-dire par les traités, et par une vérité scientifique ancienne et établie.

 

Propos recueillis par Pablo Pillaud-Vivien

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