Me LABORI. – Je vous demande pardon, monsieur le Président, d’intervenir, mais il serait intéressant d’entendre MM. Couard, Belhomme et Varinard.
M. LE PRESIDENT. – Non, non ; j’ai dit...
Me LABORI. – Mais j’ai une question à poser.
M. LE PRESIDENT. – Vous ne la poserez pas.
Me LABORI. – J’insiste, monsieur le Président.
M. LE PRESIDENT. – Je vous dis que vous ne la poserez pas.
Me LABORI. – Oh ! monsieur le Président ! il est intéressant...
M. LE PRESIDENT. – C’est inutile de crier si fort.
Me LABORI. – Je crie parce que j’ai besoin de me faire entendre.
M. LE PRESIDENT. – La question ne sera pas posée.
Me LABORI. – Permettez, vous dites cela ; mais je dis que je veux la poser.
M. LE PRESIDENT. – Eh bien ! je dis que non, et c’est une affaire entendue ! Le Président doit écarter du débat tout ce qui peut allonger les débats sans aucune utilité ; c’est mon droit de le faire.
Me LABORI. – Vous ne connaissez pas la question ; vous ne savez pas quelle est la question.
M. LE PRESIDENT. – Je sais parfaitement ce que vous allez demander.Procès de Zola. Cour d’assises de Paris février 1898 [1]
Assemblée nationale, discussion du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, n° 3875 :

Au troisième jour du débat parlementaire, en séance plénière sur la loi Climat et Résilience, tous les amendements visant l’encadrement climatique des grandes entreprises ont été jugés irrecevables. Ces demandes de modification du texte de loi ne seront pas discutées publiquement à l’Assemblée nationale. Ces questions ne seront pas posées. Ainsi en a décidé Richard Ferrand, le président de l’Assemblée nationale qui, lui aussi, affirme qu’il doit écarter du débat tout ce qui peut rallonger les débats sans aucune utilité !
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En l’occurrence, le président Ferrand prétend s’appuyer sur l’article 45 de la Constitution qui stipule que lors de l’examen d’un projet ou d’une proposition de loi par le Parlement, « tout amendement est recevable en première lecture, dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Le motif du rejet de ces amendements a donc été qu’ils n’avaient « aucun lien, même indirect » avec le projet de loi Climat et Résilience. Celui-ci a officiellement l’ambition d’accélérer « la transition de notre modèle de développement vers une société neutre en carbone, plus résiliente, plus juste et plus solidaire » et « d’entraîner et d’accompagner tous les acteurs dans cette indispensable mutation ». Cet article de la Constitution s’applique-t-il ici ? Évidemment non ! Mais le Pouvoir a la partie facile : le Conseil constitutionnel n’oblige pas les instances de l’Assemblée à justifier des décisions d’irrecevabilité liées à l’article 45. La décision arbitraire du Président Ferrand n’entraînera pas une invalidation de la loi par le Conseil constitutionnel.
Ce Pouvoir fait du piétinement du Parlement une règle de conduite [2]. On a pu le constater une fois de plus, le 1er avril, lors de la mascarade du vote parlementaire sur les décisions de « reconfinement » adoptées monarchiquement par Emmanuel Macron dans le secret de son Conseil de défense.
Mais il y a quand même un petit plus : selon ces dignitaires, l’encadrement climatique des grandes entreprises n’a aucun lien même indirect avec « l’accélération de la réalisation de la neutralité carbone en France ». Et les grandes entreprises ne font aucunement partie des « acteurs de cette indispensable mutation ». Abyssal... Heureusement les bonnes questions finissent le plus souvent par être posées.
Le CAC 40 et les banques premières de cordée de l’irresponsabilité
Le Réseau Action Climat, qui fédère 35 associations, travaille à l’élaboration de mesures alternatives et ambitieuses pour lutter contre les changements climatiques et ses impacts. Il s’attache à suivre quelques points particulièrement chauds du projet de loi. Comme l’encadrement de la publicité ; l’accompagnement des salariés dans les indispensables conversions de production, et de métiers ; le conditionnement des aides publiques, ou l’obligation pour les grandes entreprises de prendre des engagements climatiques assurant que leur activité est alignée avec la stratégie nationale bas carbone (SNBC) et l’Accord de Paris. Ce ne sont certes pas les seules dispositions concernant les entreprises qui en font une loi de greenwashing [3].
Mais ces domaines ont fait l’objet d’une vigilance particulière du président Ferrand en matière d’irrecevabilité pour que ces questions ne soient pas posées. Le Réseau Action Climat a ainsi recensé au moins 13 amendements structurants déposés pour la séance plénière concernant l’éco-responsabilité climat pour les entreprises. Proposés par plus de cents députés, y compris de députés de la majorité, ils ont tous été jugés irrecevables. La liste n’est pas exhaustive. Mais comme ils ont été jugés irrecevables, leur contenu n’est pas publié sur le site de l’Assemblée nationale.
Pour sa part, le Réseau Action Climat propose d’inscrire dans la loi une obligation pour les grandes entreprises de publier trois informations clés : leur empreinte carbone totale, pour savoir où elles en sont ; une trajectoire contraignante de réduction de leur empreinte carbone, sous peine de sanction financière ; et un plan d’investissement, pour réaliser l’objectif. Ce serait effectivement à la hauteur de l’enjeu et de la tâche.
Durant ce même mois de mars, OXFAM France a publié un rapport sur l’empreinte carbone globale des plus grandes entreprises françaises et leur trajectoire climatique. L’étude montre qu’au rythme actuel, les entreprises du CAC 40 ont un niveau d’émission qui nous conduit tout droit vers un réchauffement climatique catastrophique de l’ordre de +3,5°C d’ici 2100, bien au-delà de l’objectif de 1,5°C inscrit dans l’Accord de Paris. Leurs engagements sont très insuffisants. Sur 35 entreprises analysées, seules EDF, Schneider Electric et Legrand ont une empreinte carbone et des engagements compatibles avec un réchauffement inférieur à +2°C. Toutes les autres poussent le thermomètre dans le rouge : Total, Technip FMC et Dassault Aviation ont une trajectoire associée à un réchauffement supérieur à +4°C. 17 entreprises sont entre +3°C et +4°C. Et 5 sont entre +2 et +3 degrés.
Quant aux banques, un autre rapport, « Banking on climate chaos », publié le 24 mars par six ONG internationales, montre que les grandes banques françaises, BNP Paribas en tête, sont devenues, à l’exception du Crédit Mutuel, championnes du financement des industries fossiles.
« Alors que la récession suscitée par la pandémie a entraîné une baisse de près de 9% des financements aux énergies fossiles au niveau international, les banques françaises ont augmenté leurs financements en moyenne de 19% par an entre 2016 et 2020 et de 36% entre 2019 et 2020 », constate l’ONG Reclaim Finance.
Certes, les banques états-uniennes JP Morgan Chase, Citi, Wells Fargo et Bank of America restent les plus grands financeurs des énergies fossiles entre 2016 et 2020. Mais les banques françaises se placent au 4ème rang avec des financements des énergies fossiles qui ont presque doublé entre 2016 et 2020 – passant de 45 milliards à 86 milliards de dollars. En 2020, les 3 plus grosses banques françaises, BNP Paribas, Société Générale et Crédit Agricole, sont dans le top 15 des plus gros financeurs aux énergies fossiles. Cela, alors même que les Banques Françaises rivalisent dans les engagements pris notamment pour ne plus financer le charbon. Mais, c’est pour aller financer le gaz de schiste.
La palme de l’hypocrisie climatique revient à BNP Paribas souligne Reclaim Finance. Elle ne rate jamais une occasion pour mettre en avant ses engagements sur le climat. Mais avec près de 41 milliards de dollars de financements aux énergies fossiles en 2020, BNP Paribas est même la banque à avoir augmenté le plus ses soutiens entre 2019 et 2020 au niveau international. En 2020, BNP Paribas est maintenant le 4ème principal pourvoyeur de financements aux énergies fossiles [4].
Pour l’économiste orthodoxe, Christian de Perthuis, spécialiste du problème, « il est normal que la finance ne soit pas moteur sur la question du climat. Si l’économie est carbonée, alors ce sera le cas de leurs portefeuilles ».
Quel aveu. Pour décarboner, on ne peut miser ni sur le marché, ni sur le volontariat. La loi doit contenir de véritables règles de responsabilité climatique aux entreprises, aux banques et à la finance.
Être ou ne pas être… telle est effectivement la question.