Aux premières heures de l’accident nucléaire à la centrale de Fukushima, les images de celle-ci sont restées rares et généralement abstraites : on scrutait surtout des prises de vues au téléobjectif, des photos satellite et des infographies. Par la suite, l’exploitant Tepco a fourni des séquences isolées et fragmentaires qui ont tourné en boucle, comme celle des camions de pompiers aspergeant les réacteurs, avant d’en livrer d’autres, toujours avec parcimonie, sur les interventions dans les installations elles-mêmes. C’est seulement une vingtaine de jours après le 11 mars que des prises de vue aériennes, de haute résolution, ont livré du théâtre des opérations des images presque brutales par leur précision.
Une image lointaine
Tout au long de ce premier mois, l’exploitant de la centrale a cependant laissé en service – et en ligne sur son site – sa webcam placée à quelques centaines de mètres du site. Mise à jour toutes les heures, elle en a donné une vue générale presque bucolique, avec son panorama sur la mer et son premier plan forestier derrière lequel émergent trois tours métalliques et s’alignent les six réacteurs. Une image lointaine et pauvre avec sa résolution de 640 par 480 pixels, mais permanente, dont les relevés horaires témoignent de la catastrophe avec une certaine impassibilité. L’auteur de ces lignes avait récupéré ces images, depuis l’aurore radieuse du 11 mars 2011, pour les monter dans une séquence reconstituant trente jours à Fukushima.
Depuis ce point de vue de carte postale, on n’a qu’un vague écho des événements qui se déroulent dans le champ – catastrophe nucléaire et drames humains. Entre 14 et 15 heures le premier jour, la caméra a manifestement chuté de quelques mètres – et la ligne d’horizon s’est inclinée – sous l’effet du séisme et du tsunami, changeant le point de vue. Mais les effets sont peu perceptibles. Ils le restent les jours suivants : une flamme en haut de la torchère, des dégagements de fumée. Puis les cubes explosent et dégagent un bout d’horizon, des débris tombent. La fumée revient plus souvent, plus épaisse. Une apparition : un hélicoptère s’éloignant avec sa poche d’eau vide, dérisoire. D’autres panaches encore, toujours plus sombres.
Le reste tient essentiellement aux variations du ciel et au déplacement des ombres. Au fil des jours, les journées printanières s’enchaînent avec monotonie, interrompues par des heures grises. Le danger reste invisible : la cellule de l’appareil ne réagit pas aux rejets radioactifs. Impossible, pourtant, d’échapper à l’évidence que ce paysage irradié est l’épicentre paisible d’un désastre planétaire.