Elisabeth Borne est « une femme de gauche ». Elle l’a dit il n’y a pas si longtemps. Elle a aussi dit que « la justice sociale et l’égalité des chances sont les combats de [sa] vie ». Et si elle le dit, c’est que c’est vrai. Non ?
C’est avec ce postulat-là que la ministre du Travail entend relancer la réforme de l’assurance-chômage afin qu’elle entre partiellement en vigueur au 1er juillet. Un texte dont personne ne veut. Ni la CFDT – Laurent Berger, que l’on ne saurait qualifié d’islamo-gauchiste, juge cette réforme « injuste, anachronique, incohérente et déséquilibrée » –, ni CFE-CGC, ni la CFTC, ni la CGT, ni FO ! Et comme si ça ne suffisait pas, le texte a aussi été malmené par le Conseil d’État, qui a jugé « contraire au principe d’égalité la modification du mode de calcul des allocations chômage ».
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Même l’ancien directeur de cabinet de l’ancienne ministre du Travail de Muriel Pénicaud, Antoine Foucher, trouve ça malvenu : « Tant qu’on n’y voit pas clair sur l’état réel du marché du travail, toute réforme de l’assurance chômage est hasardeuse et ressemble à un coup de dés. [...] Si on réforme, on réforme à l’aveugle, on ne sait pas ce qu’on fait, au sens propre du terme. » Au journal Le Monde, celui-ci s’interroge : « Si des milliers de cafés et de restaurants sont contraints de fermer leurs portes dans les mois à venir, quel est le sens de telles dispositions ? [...] [L’exécutif] fait le pari qu’une forte reprise économique arrivera dès cet été, et que l’assurance-chômage devra alors pousser au maximum les demandeurs d’emploi et les entreprises vers l’emploi durable. Il se peut que la réalité lui donne raison, mais personne n’en sait rien à ce jour ! Ce qui est certain en revanche, c’est que les demandeurs d’emploi concernés vont avoir un lourd sentiment d’injustice : dans les efforts légitimes à demander à la France dans le monde post-Covid-19, pourquoi commencer par les chômeurs ? »
Même grille d’analyse du côté des marcheurs repentis. Pour reprendre les mots du député Guillaume Chiche : « La réforme de l’assurance-chômage va renforcer la pauvreté et la précarité dans notre pays. Elle doit absolument être abandonnée. »
Pourquoi alors le gouvernement s’entête-t-il à remettre ce dossier sur la table ? Peut-être parce qu’en 2020 la France a atteint les 6 millions d’inscrits à Pôle emploi et que l’Unedic enregistre un déficit de 19 milliards d’euros. Imaginez donc, avec cette réforme, Elisabeth Borne entend baisser de 20% l’indemnisation de 840.000 personnes, afin de réaliser 1,3 milliard d’euros d’économies. Il n’y a que le Medef qui peut se réjouir d’un tel projet.
« La justice sociale et l’égalité des chances sont les combats de ma vie. »
La crise du Covid, c’est fini !
Le texte a déjà été reporté plusieurs fois, pour cause de crise sanitaire, économique et sociale. En mars 2020, Muriel Pénicaud annonçait le report au 1er septembre des nouvelles règles de l’assurance chômage prévues le 1er avril, au motif que « notre priorité est l’urgence sanitaire, économique et sociale ». Toujours en mars 2020, elle avançait que « la priorité, c’est de passer les semaines qui viennent et de protéger les plus vulnérables ».
Le message était clair : cette réforme – comme celle des retraites – va faire mal, d’autant plus avec la crise du Covid, alors le gouvernement n’a d’autre choix que de suspendre sa politique.
Mais, c’est fini tout ça !
D’ailleurs, le ministre des Comptes publics Olivier Dussopt l’avait expliqué en janvier 2021 : « Si 2021 marquera la fin de la crise et de la pandémie comme tout le monde l’espère, il faut aussi que 2021 marque la sortie du "quoi qu’il en coûte". » Visiblement, le « quoi qu’il en coûte », s’est arrêté avant la crise sanitaire.
Enfin rappelons-nous de ces mots emplis de sagesse qu’avait prononcé Muriel Pénicaud lors de la présentation de son projet pour l’assurance-chômage : cette réforme est « contre le chômage et pour la précarité ». Lapsus ?