Accueil | Chronique par Bernard Marx | 30 mai 2019

A chaque fois, tout recommence ?

Découvrez vite l’épisode 16 des « choses lues par Monsieur Marx » !

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Sur Radio Luxembourg, la journaliste Geneviève Tabouis se faisait fort d’annoncer « les dernières nouvelles de demain ». Dans Tout va basculer ! 1919 1929 1969 2009 2019… [1], François Lenglet, spécialiste économique (RTL, TF1 et France 2), reprend ce genre de journalisme, l’anti-conformisme en moins.

Alternance dans la psychologie collective ?

La thèse que défend François Lenglet dans son livre est la suivante : depuis les débuts du capitalisme, l’histoire évolue selon des cycles d’une durée relativement constante de 70 ans environ, durant lesquels deux périodes de plusieurs décennies se succèdent. A une première phase libérale, qui finit mal en général (un krach financier), succède une période d’autoritarisme et d’étatisme qui, elle aussi, se termine par une crise de sur-règlementation. Et c’est reparti pour un tour. Les idées et la psychologie collective mènent le monde. Dans la première phase, le désir de liberté domine. Mais l’excès de libéralisme crée un déséquilibre vis-à-vis des désirs opposés et tout aussi humains de sécurité et d’autorité. Ils l’emportent à la génération suivante, mais toujours avec une tendance à l’excès. Qui génère un nouveau renversement de tendance, etc., etc.

Il est donc facile de savoir où l’on en est et de prévoir l’avenir. D’autant plus que les années charnières par lesquelles les choses s’accélèrent ou s’inversent sont les années en 9. Le krach financier marquant la fin de la phase libérale du cycle actuel ayant eu lieu en 2009 (sic), et les choses étant ce qu’elles sont, attendez-vous à savoir que 2019 sera une année de nouvelle crise et d’accélération de la phase autoritaire du cycle. En 2029, nous vivrons avec moins de liberté et « plus de frontières, plus d’Etat, plus d’impôts, plus de contrôles…Voilà donc le monde qui nous attend. Un monde où devrait prévaloir l’autoritarisme, jusque dans ses manifestations excessives. » Et pourquoi chercher à faire autrement, puisque les changements d’idéologies dominantes ne sont que « la révolte du bon sens » face aux promesses non tenues des âges libéraux. Et qu’inversement dans une génération, les excès des âges autoritaires entraîneront l’émergence d’une nouvelle ère de libéralisme.

« En 2029 ? Pourquoi pas ? » Avec la réserve que, selon le spécialiste économique, la France a toujours un train de retard pour prendre les tournants de l’Histoire. Comme par exemple l’élection en 2017 d’Emmanuel Macron, libéral attardé mais en voie de reconversion. Si bien qu’il faut s’attendre à ce qu’« en 2029, la France aura fait le deuil de son libéralisme tardif. Elle sera tout à l’ivresse de son nouveau dirigisme dans un monde étrangement clos. »

Pantalon à une jambe

Les années en 9, prétendument années charnières d’une accélération ou d’un retournement de tendance, ont tout du marketing éditorial et du pantalon à une jambe. C’est fait pour vendre et pour acheter, pas pour mettre. En 1949, 59, 79 ou 99 ? RAS. Pour faire de 1969 l’année charnière d’un grand tournant libéral, c’est Woodstock qui fait preuve, et non pas Mai-68 et encore moins « les mouvements qui surgissent entre la moitié des années 60 et celles de 70 » et les trois révoltes qui les sous-tendent « contre la logique capitaliste à l’ouest », contre « l’impérialisme et le colonialisme au sud » et « contre le pouvoir communiste autoritaire » [2]. Et 2019 ne sera pas forcément l’année du déclenchement d’une nouvelle guerre mondiale ou d’une nouvelle crise financière.

Les cycles longs alternant des phases de tendance à l’essor et des phases de difficultés durables, les crises systémiques et les transformations structurelles sont des faits caractéristiques du capitalisme et de son histoire [3]. Mais l’explication de ces cycles par l’opposition et les déséquilibres entre les désirs humains de liberté et de sécurité ne collent ni à la réalité historique ni à l’anthropologie. Comme si, dans le capitalisme, le libéralisme économique et le libéralisme politique et culturel et leurs inverses devaient forcément aller de pair. François Lenglet, lui-même, doit bien admettre que les décennies d’avant la première guerre mondiale, ne furent « une belle époque » que pour une élite étroite. La perspective autoritaire dominante du capitalisme actuel n’est pas anti-libérale. Et l’histoire humaine n’est pas condamnée à un menu bas de gamme « fromage ou dessert » : ou plus de liberté, ou plus d’autorité (qui est, en fait, fort différent de la sécurité). Les grandes crises ne rythment pas de simples mouvements pendulaires.

Les rapprochements avec des événements et des périodes passés peuvent être extrêmement féconds, comme vient de le montrer Michael Foessel en rapprochant 2018 et 1938. Mais mettre en relief la récidive des classes dominantes et des dirigeants politiques français n’est certainement pas plaider la fatalité et prêcher la résignation. C’est au contraire se mettre devant la responsabilité individuelle et collective de ne pas recommencer la même histoire et de lui faire prendre au contraire un tournant opposé. La crise du capitalisme néo-libéral ne conduit pas nécessairement à l’autoritarisme. Elle peut aussi, comme l’analyse l’historien Hamit Bozarslan, présenter une chance inédite, pour une société, de développer une conscience critique sur son passé et se projeter dans un avenir radicalement différent de son présent [4].

Multiples possibles

Prenons la mondialisation. La crise de 2008 a débouché sur un grand retour des nationalismes, une guerre commerciale et technologique menée par les USA, principalement contre la Chine et inversement une politique de développement national et international conduite par celle-ci pour se constituer en nouvelle puissance hégémonique mondiale. Cela rappelle d’autres périodes de grands changements structurels dans des phases de crises durables. Comme ceux de la fin du 19ème siècle avec la montée en puissance de l’Allemagne et des USA, la concentration des trusts et des cartels, le recul du libre-échange et l’extension du colonialisme. D’avantage que la grande dépression des années 30 du siècle dernier où le commerce mondial a implosé. Selon l’économiste Patrick Artus, un nouveau modèle serait en fait déjà en train de s’installer : « Celui de la production au voisinage de l’acheteur final ».

« On assiste aujourd’hui, dit-il, à une régionalisation – au lieu d’une mondialisation- des échanges et de la production. » [5]. Pour s’adapter à ce nouveau monde en construction, la voie parait toute tracée : constituer l’Union européenne en en une troisième puissance mondiale avec ses champions industriels numériques, bancaires et financiers et faire émerger l’euro comme monnaie internationale pour limiter l’usage de l’arme du dollar.

En réalité, le modèle décrit par Patrick Artus est loin d’être installé, loin d’être désirable et loin d’être le seul possible. Dans un entretien récemment publié sur le site Mediapart, Etienne Balibar rappelle que l’économiste Pierre-Noel Giraud a publié dès 2017 dans Le Monde une intervention dans laquelle il affirmait « qu’il ne fallait pas envisager le choix comme étant entre le libre-échange d’un côté et le protectionnisme de l’autre, mais y inclure des possibilités de contrôle des chaînes de valeur ajoutée, en imposant une part de production locale en échange des droits d’accès au marché ». Certes, analyse Etienne Balibar, « ce n’est pas la même chose qu’un impérialisme nu, c’est un équilibre entre les intérêts des travailleurs des différentes parties du monde. Mais depuis l’Afrique, tout ceci ressemble aujourd’hui à un jeu complexe entre des anciennes et des nouvelles hégémonies, dans lequel les populations locales n’ont pas leur mot à dire. Il ne leur reste plus qu’à émigrer, si elles y arrivent... Une des fonctions d’une Europe progressiste serait sans doute de chercher à faire ce qu’aucun Etat même "riche" ne peut faire par lui-même, changer les rapports de force en termes de libre-échange et de mercantilisme à l’échelle mondiale… »

 

Bernard Marx

Notes

[1François Lenglet : Tout va basculer ! 1919 1929 1969 2009 2019…, Editions Albin Michel, avril 2019

[3Paul Boccara : Théories sur les crises la suraccumulation et la dévalorisation du capital (2 volumes), Editions Delga, 2015

[4Hamit Bozarslan : Crise, violence et dé-civilisation. Essai sur les angles morts de la cité., Editions du CNRS, 2019

[5Patrick Artus : Discipliner la finance. Odile Jacob, mai 2019

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