Accueil | Chronique par Bernard Marx | 16 janvier 2020

Aux ordres du lobby bancaire

Pour l’épisode 11 des « choses lues par Monsieur Marx » – deuxième saison ! – Bernard Marx vous dit tout sur le lobby bancaire.

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Les députés des groupes de droite à l’Assemblée Nationale – opposants LR et UDI et majorité LREM et Modem –, réunis dans une belle unanimité, ont adopté le 7 janvier un projet de résolution sur l’application des réglementations prudentielles bancaires internationales. Le texte déposé par Eric Woerth, le président LR de la Commission des finances reprend presque au mot près les termes de langage et l’argumentaire d’une campagne menée depuis deux ans par le lobby bancaire français et européen [1].

 

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La résolution a été débattue devant un hémicycle au 4/5ème vide. Des députés signataires du projet ont récité, comme une leçon bien apprise, le même argumentaire, en usant des mêmes termes. A la veille de ce débat, Finance Watch avait alerté sur « une résolution ne reposant sur aucun argument économique sérieux et qui porterait atteinte à la crédibilité au sein de l’Union européenne de la France en tant que force motrice œuvrant pour un système financier stable et responsable au service de l’économie réelle ». L’ONG européenne de contre-lobbying bancaire et financier avait dit « espérer que l’Assemblée Nationale n’adoptera pas cette résolution ». Espoir largement déçu. Le texte a été adopté par 91 voix contre les 16 voix des députés présents de LFI, de la Gauche démocrate et Républicaine et du PS. Et Cédric O, Secrétaire d’État au numérique, chargé de lire le point de vue du gouvernement, leur a apporté le soutien sans faille de celui-ci, répétant, à son tour, les mêmes termes de langage. Il en ressort que le gouvernement fera tout son possible pour répondre aux demandes de cette large majorité de députés c’est-à-dire à celles du lobby bancaire.

Cela mérite quelques explications.

Le Comité de Bâle, instance internationale de la réglementation bancaire a recommandé, après 2008, une série de mesures visant à renforcer la robustesse des banques et à limiter leurs comportements menant aux crises financières. Le principal dispositif est le renforcement des fonds propres et des capitaux disponibles des banques notamment pour les grandes banques internationales dont la faillite pourrait entrainer par effet boule de neige, une nouvelle crise générale. L’ensemble de ces dispositifs est connu sous le nom de « Bâle 3 ». Des mesures complémentaires ont été recommandées par le Comité de Bâle en 2017.

Offensive contre les réglementations

Mais pour les banques, l’heure n’est plus au mea culpa. Au contraire. Elles ont repris l’offensive contre les réglementations. Aux Etats Unis, les banques américaines ont obtenu avec Trump un détricotage non négligeable de la réglementation mise en place sous l’administration Obama (loi Dodd Franck). En Europe, les banques ont échappé à la séparation de leurs activités de détail et de marché, grâce notamment à l’appui du gouvernement Hollande et du Commissaire Moscovici. Moyennant quoi, elles ne cessent de mener bataille contre la transposition des recommandations de 2017.

Celles-ci s’inscrivent dans le paquet Bâle 3 et le complètent pour tenir compte de certaines insuffisances. Elles précisent les exigences de fonds propres que devraient respecter les banques, calculées en proportion de leurs crédits et de leurs placements pondérés par leurs risques. Le Comité recommande une limitation des évaluations des risques par les banques elles- mêmes et la création d’un plancher minimum de capital établi à partir des calculs de risques mesurés par les méthodes standards. Cela parait pour le moins légitime, puisque l’évaluation des risques par la banque qui les prend, est source… d’un risque de sous-évaluation.

Les banques, Mr Woerth, ses collègues « transpartisans » et le gouvernement sont vent debout. Ils prétendent :

  • Que les banques européennes qui devront augmenter leurs fonds propres de 24% en moyenne vont être lourdement pénalisées par rapport aux banques des Etats-Unis qui ne devront les augmenter que de 1,5%.
  • Que c’est injuste puisque la crise de 2008 vient des États-Unis et que depuis 10 ans le nécessaire a été fait en Europe pour renforcer la capacité des banques à résister aux chocs économiques.
  • Que l’accroissement des exigences de fonds propres des banques européennes va nuire à leur compétitivité, menacer la souveraineté du système financier français et européen.
  • Que le financement de pans entiers de notre économie serait mis à mal par un renchérissement significatif de leur coût en fonds propres : crédit immobilier résidentiel à taux fixe (coût réglementaire multiplié par 2,6) ; financements aéronautiques (multiplication par 4) ; ainsi que d’autres opérations : financements de projets, d’avions, d’infrastructures dans le contexte de la transition énergétique, etc.

Dessin de Gabs extrait de la brochure de la FBF : « 2019-2024 : POUR UNE SOCIÉTÉ BIEN FINANCÉE DANS UNE EUROPE SOUVERAINE ».

Au mépris des faits

A l’appui de leurs dires ils évoquent des études d’impact et notamment celle publiée en aout 2019 par l’Autorité Bancaire Européenne. C’est dire ! puisque l’ABE est une Institution « indépendante » créée justement après 2008 par l’Union Européenne « afin de garantir un niveau de réglementation et de surveillance prudentielles efficace et cohérent dans l’ensemble du secteur bancaire européen ». Sauf que, s’autoqualifier d’indépendante est aller un peu vite en besogne. Quelques mois avant la publication de cette étude, en mars 2019, l’ABE avait a choisi pour président José Manuel Campa, ancien lobbyiste en chef de la grande banque espagnole Santander. Et quelques semaines plus tard, le 17 septembre, le numéro deux de l’EBA, Adam Farkas, est passé avec armes et bagages à l’Association des marchés financiers en Europe (AFME), un des plus puissants lobbies financiers européens, dont il est devenu le directeur exécutif.

François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, pourtant lui-même ancien dirigeant de BNP Paribas, s’est inscrit en faux contre l’argumentaire du lobby bancaire :

« Les chiffres [des études d’impact, NDLR] sont extrêmement fragiles. [...] Cet accord était le meilleur compromis possible. Les Américains ont dû reconnaître ce qu’on appelle les modèles internes bancaires, qui sont utilisés en Europe et au Japon, et pas aux États-Unis. Et à l’inverse, les Européens et les Japonais ont dû reconnaître que ces modèles internes bancaires soient un peu mieux encadrés pour être davantage comparables. [...] Prendre la responsabilité de ne pas transposer Bâle 3 serait très grave, parce que ça serait céder à la tentation de l’oubli, 10 ans après la crise financière. Et puis ça serait augmenter les risques d’instabilité financière, parce qu’on réduirait, à l’échelle mondiale, ces règles de sécurité renforcée. Alors, bien sûr, il faut que nous veillions, en Europe, à une transposition qui soit équitable, raisonnable, je suis le premier à le dire, mais il faut que nous transposions ces règles de sécurité internationales, et je ne crois pas du tout que cela ait un effet négatif sur la distribution du crédit et sur la croissance…Les règles de sécurité n’empêchent pas du tout la croissance de l’économie, ça, ce qu’on nous raconte là-dessus, ce n’est pas très sérieux. »

En fait la résolution et l’argumentaire du lobby bancaire repose sur une série impressionnante de faits douteux et d’idées reçues, néanmoins fallacieuses :

 Il y a d’abord cette affirmation, cent fois remise sur le métier, que la crise de 2008 est toute entière venue des USA et des pratiques du système bancaire et financier américain et que les banques européennes n’y seraient pour rien. Comme l’a bien expliqué Romaric Godin, l’historien Adam Tooze a clairement rétablit dans son livre Crashed [2] « la responsabilité d’un système financier transatlantique auquel les banques européennes et françaises ont parfaitement contribué. Il rappelle qu’en 2008, 1.000 milliards de dollars étaient investis par les banques européennes dans la dette et les billets de trésorerie aux États-Unis. Il souligne qu’alors, ces banques agissaient comme un "fonds spéculatif mondial". Et de fait, c’est bien BNP Paribas qui a internationalisé la crise des subprimes en fermant ses fonds en août 2007. La crise de 2008 n’est pas qu’une crise étasunienne, c’est une crise mondiale à laquelle les banques européennes ont apporté leur écot de responsabilité. »

 Il y a ensuite l’affirmation que la finalisation des accords de Bâle III désavantage les banques européennes par rapport aux banques américaines du fait d’un plancher minimum de fonds propres. Finance Watch souligne qu’il ne s’agit que d’une remise à niveau et que « si les banques américaines seront peu impactées [...] c’est qu’elles sont déjà sujettes à un plancher beaucoup plus exigeant ». De même, au contraire de ce qu’affirment la résolution parlementaire, les modalités différentes du crédit immobilier européen sont prises en compte.

 Le coût soi-disant insupportable pour les banques d’une augmentation de leurs fonds propres, ignore le fait que celle-ci sera étalée jusqu’en 2027. Et surtout, il n’est pas vrai que l’importance des fonds propres bancaires empêche un bon financement de l’économie. Au contraire. L’argument avait déjà servi aux Etats-Unis pour obtenir le détricotage de la réglementation. Il était contredit par les faits. L’économiste Laurence Scialom le souligne dans son livre La fascination de l’ogre, dans lequel elle analyse « la capture » bancaire de la réglementation : « Concernant les prétendues trop fortes contraintes en capital des banques qui les conduiraient à rationner le crédit, un ensemble d’études empiriques appuient la thèse exactement inverse. Les banques les mieux capitalisées sont celles qui prêtent le plus…Plus la banque a de capitaux propres, moins elle est risquée ; elle peut donc emprunter dans de meilleures conditions, et ainsi renforcer sa capacité à prêter [...] Si l’on veut déverrouiller les prêts à l’économie réelle, il est donc fondamental que les banques soient bien capitalisées. Ce qui protège également les épargnants et les contribuables. »

 Les banques européennes sont effectivement loin d’avoir la robustesse souhaitable. Au-delà même des risques de répercussion en chaîne d’une crise financière qui viendrait d’ailleurs, les facteurs de vulnérabilité financière et les risques de rupture viennent aussi de l’intérieur de l’Union européenne et de la zone euro. Les banques centrales ont abreuvé les banques et le système financier en liquidités. Loin d’être restreint par une réglementations trop sévère, le crédit bancaire en France augmente au rythme de 6 à 7% par an. Sauf que les crédits alimentent avant tout l’inflation du prix des actifs financiers et immobiliers. Les banques alimentent les records de la bourse en lieu et place du financement du développement social et de la transition écologique. Au risque d’une nouvelle crise financière et d’un nouveau tsunami bancaire qui pourrait être d’autant plus important que les digues des réglementations auront été affaiblies.

On pouvait dire… bien des choses en somme !

Face à ces constats et ces menaces, une Assemblée Nationale et un gouvernement dignes de ce nom, auraient dû dire et faire bien d’autres choses que de réciter ensemble les mauvaises ritournelles du lobby bancaire.

Cedric O, l’ancien directeur adjoint de la campagne de François Hollande aurait, par exemple, pu consulter les travaux en la matière du think tank Terra Nova dont il a été un des créateurs. Dressant en septembre 2018 le bilan des réformes bancaires et financières depuis 2008, Vincent Bignon, Jezabel Couppey-Soubeyran et Laurence Scialom soulignaient « le fait qu’elles n’ont pas suffisamment rompu avec les conceptions de la finance qui prévalaient avant la crise et que cela constitue une source majeure de fragilité ». Les économistes pointaient plusieurs aspects cruciaux :

  • La réglementation n’a pas enrayé la course à la complexité tant dans le domaine des activités et des produits financiers que dans la structure des groupes financiers eux-mêmes. « Or la complexité excessive est une source d’inefficacité dans la réglementation, la supervision et la gestion interne des établissements, mais également un facteur de capture très marqué qui désarme les autorités publiques face à la finance ».
  • La séparation des activités de banque commerciale et de banque de marché n’a pas été réalisée.
  • L’endettement du secteur privé ne s’est pas résorbé. Au contraire, il reste élevé et s’est accru dans les pays émergents.
  • Le shadow banking, ensemble d’entités très proches des banques dans leurs activités, mais beaucoup moins réglementées, a poursuivi son expansion, sans que l’on cherche à défaire ses connexions très fortes avec les banques.

En bref, concluaient-ils, « en dépit de nombreux travaux de recherche infirmant l’impact favorable du développement excessif de la finance sur la croissance et mettant en exergue son impact négatif sur les inégalités, le regard des autorités publiques sur la finance continue d’être biaisé. En conséquence, nos économies souffrent toujours d’un excès de dette privée, et la taille des établissements continue d’être perçue comme un facteur de compétitivité. Deux caractéristiques pourtant sources d’instabilité financière. »

On pouvait dire… Oh ! Dieu !… bien des choses en somme !

 

Bernard Marx

Notes

[1Voir, par exemple, la brochure de la Fédération Bancaire Française (FBF) publiée en 2019 lors des élections européennes.

[2Adam Tooze : Crashed. Comment une décennie de crise financière a changé le monde ; Les belles lettres, 2018

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