Accueil | Chronique par Bernard Marx | 12 mars 2020

Coronavirus : une grande crise sanitaire et économique

Pour l’épisode 17 de la deuxième saison des « choses lues », Monsieur Marx sort de sa quarantaine pour vous parler du coronavirus.

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Samedi 6 mars, sur France Inter, la journaliste Alexandra Bensaid, animatrice de l’émission économique hebdomadaire et matinale, a interrogé ses deux débatteurs : « Le coronavirus peut-il être le détonateur de la prochaine grande crise ? » Prudent, le journaliste de BFM Business Emmanuel Lechypre a répondu : « Oui c’est possible », quand le journaliste d’Alternatives économiques Christian Chavagneux s’est risqué à affirmer : « Non, à ce stade, pas de crise ». En fait, la question n’était peut-être pas tout à fait bien posée. Les économistes Richard Baldin et Béatrice Weder di Mauro ont publié en urgence (et en anglais) un petit livre collectif : L’économie en temps de COVID 19 [1]. Ils ont cherché à répondre aux questions suivantes : « Comment, jusqu’où et à quelle vitesse les dégâts économiques vont-ils se propager ? Quelle profondeur vont-ils atteindre ? Combien de temps vont-ils durer ? Et surtout qu’est-ce que les gouvernements peuvent faire ? » Les questions sont plus précises. Les réponses ne sont pas plus certaines.

 

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Mais à ce stade, il faut certainement ajouter une question préalable en quelque sorte, sur la gravité de la crise sanitaire proprement dite. Le coronascepticisme s’est en effet répandu presqu’aussi vite que le virus. À commencer par le président des États-Unis qui accuse l’OMS de surestimer le taux de mortalité du COVID 19. Mais il est loin d’être le seul. « Ce COVID 19 n’est pas des plus costauds », prétend ainsi l’essayiste Eric Le Boucher dans le journal Les Échos. Sa mortalité est revue à la hausse par l’Organisation mondiale de la santé à 3,4%, plus que la grippe (1%) donc, mais il se transmet plus difficilement qu’elle… Il faut rester prudent, mais la crise sanitaire mondiale, en nombre de décès, pourrait, devrait, rester mineure. « Si le corona étouffe les gens, conclut-il, il étrangle surtout l’économie. Pour peu que la crise dure encore plusieurs semaines, il aura tué dans le monde, sans doute, plus de PME que d’humains. La crise est plus économique que sanitaire. »

Dit autrement, est ce qu’on ne ferait pas mieux de traiter cette épidémie comme une grippe saisonnière ? On n’arrête pas l’économie pour cela... Certainement pas, explique de façon convaincante Antoine Flahault, médecin spécialiste des maladies épidémiques. Les mesures de confinement restreignent les libertés et ont un coût économique important. Sont-elles justifiées, alors qu’il n’y a que 3400 décès, essentiellement de personnes très âgées, aujourd’hui dans le monde ?

« Ces mesures, répond Antoine Flahault, ne visent pas à bloquer une pandémie, mais espèrent ralentir son départ, la retarder. Une épidémie est comme une vague, ces mesures permettent de la "raboter", de l’étaler, pour que le système de santé soit moins sous tension [...] Retarder le phénomène, c’est du temps gagné pour se préparer, trouver des traitements ou, espérons-le, un vaccin. [...] Ce sont aussi des mesures que l’on pourrait qualifier d’altruistes : elles protègent les régions et les pays voisins, elles donnent le temps aux autres pays de se préparer. En Allemagne et en Suisse, on assiste à un doublement du nombre de cas tous les deux ou trois jours depuis une semaine. »

De plus, la crise sanitaire et la crise économique ne sont pas seulement liées l’une à l’autre par le blocage de « l’offre » et de la production mais aussi par un choc de baisse de la demande qui ne diminuera pas tant que durera la crise sanitaire.

Encore faut-il que, dans l’immédiat, la gestion de la crise sanitaire n’entraîne pas une asphyxie du système de santé, alors qu’il est très fragilisé par des années de pénurie de moyens et de délaissement de la production de certains médicaments et de matériels [2]. « Si les hôpitaux n’arrivent pas à faire face à un afflux de malades, la question de la priorité de soins va inévitablement se poser. Qui sera prioritaire ? Qui admettra-t-on d’abord en service de réanimation le cas échéant ? », interroge le professeur Eric Caumes, chef du service des maladies infectieuses à La Pitié-Salpêtrière. Il faut immédiatement débloquer les moyens qui l’éviteront. Le gouvernement n’est pas pressé de le faire. Et pour l’avenir il faut tirer les leçons des dégâts des politiques passées, aussi bien en ce qui concerne la recherche, que le système hospitalier, le système de soins et la production des médicaments. En commençant par retirer la loi de programmation pluriannuelle de la recherche. « Face aux coronavirus, énormément de temps a été perdu pour trouver des médicaments », affirme Bruno Canard, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des coronavirus. Il rappelle que la science ne marche pas dans l’urgence et la réponse immédiate, et il réclame le retour de grands programmes de recherche européens.

 

Pas de crise économique à condition que…

Le diagnostic que le COVID 19 n’entraînerait pas une crise économique mais un recul limité dans le temps de la croissance, voire de la production mondiale, suivi par un rebond a été formulé par l’OCDE au début du mois de mars : « La croissance du PIB mondial devrait ralentir pour s’établir à 2,4% cette année, contre 2,9% en 2019, avant de se ressaisir à environ 3% en 2021, à mesure que les effets du coronavirus se dissiperont et que la production repartir progressivement ». Ce diagnostic était calé sur l’hypothèse que la crise sanitaire resterait pour l’essentiel cantonnée à la Chine et qu’elle ne durerait que quelques semaines. Le pic épidémique étant atteint en Chine au premier trimestre 2020. Cela s’avère encore possible s’agissant de la Chine, mais l’hypothèse est manifestement dépassée pour le reste du monde.

Le diagnostic reposait d’autre part sur l’analyse que la situation économique avait « amorcé une stabilisation, voire une amélioration, à la fois dans l’industrie et les services » et que « les conditions financières s’étaient également améliorées à la suite des mesures prises pour donner un tour plus accommodant à la politique monétaire et relâcher les tensions dans la politique commerciale ». Cela ignorait manifestement l’ampleur des contradictions à l’œuvre dans l’économie mondiale.

Enfin le diagnostic supposait que les gouvernements prennent des mesures efficaces et d’ampleur suffisante pour « préserver les revenus des groupes sociaux et des entreprises vulnérables pendant l’épidémie ». Et qu’ils mettent en œuvre « des politiques macroéconomiques de soutien à l’activité pouvant favoriser le rétablissement de la confiance et le redressement de la demande lorsque l’épidémie s’apaisera ». L’OCDE prônait même en cas de crise sanitaire plus durable, un engagement coordonné des gouvernements du G20, à accroître les dépenses publiques nécessaires et à apporter un soutien aux économies à faible revenu comme au plus beau temps de l’après crise de 2008. On en est très loin.

L’impasse du néolibéralisme

Le Président actuel du G20, l’Arabie Saoudite a, au contraire, choisi ce moment pour relancer une guerre des prix du pétrole contre la Russie et les producteurs pétroliers américains indépendants eux-mêmes très endettés. Les prix s’effondrent à 30 dollars le baril. Effet dépressif garanti. Les bourses n’ayant pas été mises en quarantaine, la crise s’y est naturellement engouffrée. La financiarisation n’a pas été jugulée après la crise de 2008. Elle a été au contraire systématiquement relancée par des politiques monétaires d’extrême laxisme. L’accumulation des dettes et l’inflation des actifs ont été exubérantes. Et avec la crise sanitaire, le château de cartes commence à s’écrouler de nouveau. Effet dépressif garanti.

Il serait temps de ne pas se contenter de refaire la même chose qu’en 2008, c’est-à-dire de sauver la finance par la politique monétaire et par les budgets publics, mais de s’attaquer en même temps à la financiarisation de l’économie. Sous la conduite de Donald Trump, les Etats Unis s’apprêtent à faire le contraire. Comme le souligne Joseph Stiglitz, « quelle que soit la menace qui pèse sur l’économie, la réaction de Trump consiste à demander davantage de relâchement monétaire et de baisses d’impôt (généralement pour les riches), comme si la baisse des taux d’intérêt suffisait à elle seule à relancer la Bourse. Cette réponse de charlatan sera sans doute encore moins efficace qu’en 2017, lorsque les baisses d’impôt ont donné un coup de fouet provisoire à l’économie – coup de fouet dont l’effet s’est dissipé dans les premiers jours de 2020. » Et, compétition fiscale oblige, le risque est grand qu’en France et en Europe aussi, on emprunte un chemin de ce type.

Les mesures de soutien provisoire et d’atténuation des dégâts économiques ne sont pas du tout à la hauteur. Comme le dit Romaric Godin, « face à la crise, Bruno Le Maire est à côté de la plaque ». Il apporte une réponse inappropriée parce qu’entièrement attachée à maintenir le cap néolibéral de sa politique. Le gouvernement croit pouvoir rassurer avec des termes de langage en réalité totalement contre-productifs tant ils rappellent ceux du début de la crise de 2008 : « Les banques françaises sont d’une solidité à toute épreuve ». « C’est le moment d’acheter en bourse », proclame la secrétaire d’Etat Agnès Pannier-Runacher, répétant presqu’au mot près ce qu’avait expliqué l’économiste de plateau télévisé Nicolas Bouzou en octobre 2008. Le pire serait que les ministres croient vraiment que les banques françaises ne risquent rien et qu’ils assouplissent leurs règles prudentielles soi-disant pour favoriser le crédit, comme vient de le préconiser Bruno Le Maire. « La baisse actuelle des cours de Bourse du secteur bancaire et son incapacité de répondre à la crise devraient, au contraire, interroger sur la nécessité de ne plus dépendre d’un tel secteur financier privé », souligne Romaric Godin.

Dans l’immédiat le ministre de l’Économie mise sur un soutien public aux entreprises par des remises sur les impôts et cotisations. Il en appelle aussi à la solidarité des grandes entreprises à l’égard de leurs sous-traitants. Mais comme il ne met rien en place pour y inciter, l’effet sera inexistant. Dans les phases de récession, la protection sociale constitue en fait le meilleur antidote à l’enfoncement dans les cercles vicieux des baisses de revenus qui entraînent des baisses de la demande qui entraînent des baisses de la production qui entraînent des baisses de revenus. En clair, les antidotes sont l’indemnisation du chômage et du chômage partiel, les baisses des taxes et les remises d’impôts, la sauvegarde des retraites et des salaires et l’acceptation des déficits de la sécurité sociale. Les réformes antisociales du gouvernement ont raboté ces stabilisateurs économiques. La récession n’en sera que plus dure et plus durable. La réforme des retraites qui inscrit à son article 1er la règle d’or de l’équilibre financier ne pourraient que les aggraver. On se demande du reste comment la conférence de financement de la réforme des retraites va pouvoir dire quoique ce soit sur l’équilibre financier du système des retraites à l’horizon 2027, sans prendre en compte l’impact de la crise du coronavirus.

Le 1er avril, le gouvernement en remet une couche avec la mise en œuvre de la réforme de l’aide personnalisée au logement et celle de l’assurance-chômage. 2 milliards en moins pour les futures victimes de la récession du coronavirus. Sans compter les effets en chaîne recherchés sur les conditions d’emploi et pour faciliter les licenciements. Il faut exiger d’urgence l’annulation de ces mesures.

 

Bernard Marx

Notes

[1Richard Baldwin, Beatrice Weder di Mauro : Economics in the Time of COVID-19 ; 06. CEPR, mars 2020. Téléchargeable ici.

[2Philippe Abecassis, Nathalie Coutinet : Économie du médicament, La Découverte, novembre 2018

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