Accueil | Par Bernard Marx | 29 juin 2015

Impôts : vraie crise et fausses réformes

Les réformes fiscales devraient être une priorité pour la France et pour l’Europe. Mais les faux-semblants règnent, à Paris comme à Bruxelles. Trois événements récents en témoignent.

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Les impôts sont en crise. Leur légitimité est mise à mal par l’évasion fiscale des multinationales et des riches. La globalisation pousse à la concurrence fiscale. L’Union européenne l’a instituée dès le départ. Cela fait partie de son ADN et aujourd’hui de sa crise. Certains États en ont fait leur avantage comparatif, comme le Luxembourg, l’Irlande ou les Pays Bas. D’autres misent sur des niches plus spécialisées. Le "ras le bol fiscal" s’alimente de la baisse de la progressivité de l’impôt sur le revenu et de la place croissante des impôts proportionnels. Le néolibéralisme prospère sur les cercles vicieux du délabrement des finances publiques engendrant celui de l’État social.

Mais cela finit par devenir insoutenable politiquement, socialement et économiquement. Les inégalités, l’insécurité sociale minent la société. Et la faiblesse des investissements publics et sociaux est au cœur de la menace de "stagnation séculaire". Les réformes fiscales devraient donc être une priorité nationale et européenne. Mais que l’on ne compte pas sur les dirigeants politiques du vaste parti TINA ("There Is No Alternative") au pouvoir pour être à la hauteur de l’enjeu. Au mieux, ils font semblant. La quinzaine écoulée en a apporté de nouvelles et éclatantes illustrations.

Crédit impôt recherche : la question ne sera pas posée

Le 10 juin, le rapport de la Commission d’enquête du Sénat qui évaluait le crédit impôt recherche (CIR) est parti à la broyeuse. Il a en effet été rejeté par cette commission. À l’unanimité des membres de droite et du PS, à l’exception de la rapporteuse Brigitte Gonthier-Maurin, sénatrice PCF, et de Corinne Bouchoux sénatrice Europe Ecologie-Les Verts.

Le rapport a été jugé trop critique et la censure veut enterrer les faits significatifs qu’il contenait. Institué en 1983 et considérablement renforcé en 2008 par Nicolas Sarkozy, le CIR coûte annuellement près de six milliards, soit l’équivalent de 16% de l’ensemble des impôts payés par les entreprises sur leurs bénéfices (IS). Il a pour objectif affiché de développer la recherche et développement (R&D) des entreprises et de soutenir l’emploi des scientifiques et des jeunes chercheurs. C’est la moindre des choses que d’en évaluer l’efficacité. Un rapport de la cour des comptes l’avait déjà mise en doute en 2013. Le rapport de la sénatrice Gonthier-Morin enfonçait le clou. Il ne se concluait pas sur une demande de suppression, mais sur trente-cinq recommandations de réformes. Mais les grandes entreprises qui bénéficient pour l’essentiel du CIR et de ses effets pervers ne veulent pas en entendre parler, tandis que le PS et la droite sont là pour les servir. François Hollande a donc décrété « la sanctuarisation du CIR ». Sa réforme n’aura pas lieu.

Pourtant, le rapport parlementaire montrait que l’effet incitatif du dispositif est très faible : en moyenne, lorsqu’une entreprise bénéficie d’un euro via le CIR, elle investit entre 0,8 et 1,2 euro. Une étude de Sciences en marche, auditionné par la commission, a pour sa part constaté que (sur la période 2008/2012) l’inefficacité du CIR est solidement établie pour les entreprises de plus de cinq-cents salariés. Il est utile, à l’inverse, pour les entreprises plus petites. Le prix à payer pour l’inefficacité des six milliards du CIR, c’est le manque de ressources pour une politique de la recherche publique ambitieuse et pour un soutien plus fort aux recherches d’entreprises mieux ciblées.

La liste des questions qui ne seront pas posées est, au reste, tout à fait instructive, si l’on en croit le journaliste de Libération Sylvestre Huet qui les a listées sur son blog :
« Qui ne pourrait être curieux de savoir quelles sont les entreprises du CAC 40 qui, grâce au CIR échappent totalement à l’impôt sur les bénéfices des sociétés ? De savoir comment la Société générale, une banque, ou le grand distributeur Carrefour, ont pu bénéficier à plein de ce dispositif fiscal si avantageux ? Ou par quel système Renault peut justifier de toucher du CIR pour l’activité de recherche d’une filiale sans effectifs ? Parmi les informations du rapport, il aurait été intéressant de détailler comment les cabinets de conseil, qui ne font qu’aider les entreprises à rédiger les demandes de CIR, pourraient capter 500 millions sur les six milliards déversés. Ou de se demander si la possibilité d’un chevauchement entre le CIR et le CICE ne serait pas à l’origine d’un double financement, à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros ».

Prélèvement à la source : la fausse réforme

La grande réforme fiscale annoncée par le candidat François Hollande n’a pas eu lieu. Juste quelques toilettages, pas tous inutiles, comme l’instauration d’une tranche de barème supplémentaire ou l’alignement de la taxation de certains revenus du capital (mais pas tous et de loin) sur ceux du travail. La remise à plat de la fiscalité annoncée par le premier ministre Jean Marc Ayrault s’en est allée, en même temps que lui-même. Le "Pacte de responsabilité" a repris le chemin des transferts d’impôts des entreprises sur les ménages. L’écotaxe a été annulée avant d’avoir été appliquée. La prééminence des impôts proportionnels (TVA et CSG) s’accentue toujours ainsi que le transfert vers une fiscalité locale encore plus inégalitaire que les impôts nationaux.

Et voici que, sans rien changer de tout cela, François Hollande a annoncé, le 17 juin, que la réforme du prélèvement des impôts à la source « sera engagée dès 2016 pour être pleinement appliquée en 2018 ». De quoi en faire un argument de campagne en 2017, puisque selon les sondages les Français y sont, a priori, massivement favorables. L’avantage est que les salariés et les retraités paieront leurs impôts sur les revenus de l’année en cours et que ce paiement sera mensualisé. Le paiement des impôts sur les revenus de l’année passée a, en effet, pour inconvénient principal d’accroître les difficultés de paiement des impôts pour ceux dont les revenus baissent d’une année sur l’autre pour diverses raisons (chômage, retraite, temps partiels, maladie etc.). Mais cela ne fait pas une réforme de l’impôt. Cela ne le rend ni plus juste, ni plus efficace.

Au contraire, le système français d’imposition sur le revenu est actuellement familial. Dans le cas des familles où l’homme et la femme perçoivent chacun un revenu, le prélèvement à la source se fera en appliquant le même taux d’imposition au revenu de l’un et de l’autre. Ce qui n’est justifié que si ces revenus sont équivalents. Or ce n’est pas le cas, et en règle générale au détriment de la femme. Ainsi,comme l’explique très justement Christiane Marty de la Fondation Copernic, l’impôt à la source va aggraver la surimposition des femmes.

Va-t-on, de plus, confier le travail à l’entreprise ? La comparaison avec la facilité du prélèvement à la source de la CSG effectuée sur la feuille de paie et payée par les entreprises est une fumisterie. La CSG est un prélèvement proportionnel qui ne dépend ni de la situation familiale, ni des autres revenus perçus. Confier aux entreprises les informations sur leurs salariés permettant de calculer leur IR ou même leur confier simplement le montant de l’IR qu’ils auront à prélever sur la feuille de paie de leurs salariés est une toute autre histoire.

L’économiste Henri Sterdyniak de l’OFCE ne croit pas que les entreprises en aient simplement envie. Le journaliste de Mediapart Laurent Mauduit y croit davantage, mais dit-il, « si le gouvernement transfère aux entreprises une partie du travail de l’administration fiscale – car c’est à cela que revient le prélèvement à la source –, on se doute bien que, pris dans ses emballements ultralibéraux du moment, il le fera à sa manière : en satisfaisant comme d’habitude à toutes les exigences, même les plus aberrantes, du président du Medef. En clair, le prélèvement à la source risque d’aller de pair avec une simplification de l’impôt sur le revenu. Avec un impôt dont les taux d’imposition seront de moins en moins nombreux, et donc un impôt de moins en moins progressif et de plus en plus... injuste ».

Fiscalité des entreprises : la réforme en trompe-l’œil de la Commission européenne

Le 17 juin encore, Pierre Moscovici, le commissaire européen en charge de la fiscalité des entreprises a présenté le plan de la Commission pour « une réforme en profondeur de la fiscalité des entreprises ». Le ministre des Finances du gouvernement Ayrault avait déjà pratiqué l’art de la réforme en trompe-l’œil avec la loi bancaire adoptée en France en 2013. - Il semble bien qu’il récidive cette fois-ci au niveau européen. Son plan d’action a la dent dure pour dénoncer la défaillance de L’Union européenne en matière de fiscalité des entreprises et pour en diagnostiquer les causes. Mais il a la main légère pour y remédier, et se place même en recul par rapport au plan d’action de l’OCDE sur le sujet.

Les ONG, la Confédération européenne des syndicats, les députés européens écolo, ceux de la gauche unie ou le journaliste d’Alternatives économiques Christian Chavagneux pointent tous les mêmes faiblesses.

Il n’y pas d’avancée sur l’obligation de publier une comptabilité pays par pays. La mesure permettrait de mettre en lumière les transferts de profits et l’érosion d’imposition qui en découle. Elle existe déjà pour les banques. Sa généralisation ne réclame pas une décision à l’unanimité. « L’absence de proposition allant dans ce sens est un marqueur de la faible volonté du président Juncker et du commissaire Moscovici », juge Eva Joly. Le plan remet sur la table le projet d’assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés qui vise à calculer les bénéfices des multinationales réalisés en Europe en les traitant comme une seule entreprise, puis de les répartir en fonction des pays où l’activité de l’entreprise est réellement effectuée. Sauf que le plan repousse encore une fois la consolidation et invente une usine à gaz qui permet de faire ... disparaitre les impôts. « Les entreprises pourront décider d’additionner leurs profits et leurs pertes au niveau européen : mes profits en France ou en Allemagne seront réduits de mes pertes en Irlande et au Luxembourg et je ne paie plus d’impôts nulle part ! », explique Christian Chavagneux.

Enfin, le troisième axe consiste en une énième opération "montrons du doigt les paradis fiscaux" dont on a pu apprécier les limites à de multiples reprises. Le commissaire en a présenté une nouvelle liste qu’il a affichée sur une carte. Mais le commissaire est bon enfant. Il n’y a pas un seul pays de l’Union européenne sur sa liste.

« Au final, juge Christian Chavagneux, l’Europe n’avance pas. Elle se place même en position de recul sur la transparence des multinationales et sur la diplomatie OCDE, quand elle ne semble pas proposer de permettre aux entreprises de payer moins d’impôts ». Comment s’en étonner, alors que les "institutions" ont retoqué la hausse des impôts sur les bénéfices des grandes entreprises inscrite par le gouvernement grec dans son plan de sauvetage pour exiger des coupes encore plus sévères sur les petites retraites ?

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