Accueil | Chronique par Bernard Marx | 18 avril 2019

Les choses lues par Monsieur Marx, Ep 11

Chaque jeudi , Bernard Marx pointe les livres ou autres textes qu’il a lus pour vous, par des comptes-rendus courts. Cette semaine : Europe, une occasion ratée ? (Deuxième partie)

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Le projet d’Emmanuel Macron de « refondation » de l’Europe, lancé à la Sorbonne en septembre 2017, a fait pschitt. Son pari, explique Guillaume Duval, « était étroitement articulé à sa politique intérieure ». Il consistait à mener en France une politique de réformes néolibérales et d’orthodoxie budgétaire strictement conforme aux règles instituées dans la zone euro. « Cela devait lui permettre de gagner en crédibilité auprès de ses collègues européens et, ainsi, d’obtenir leur adhésion aux réformes qu’il proposerait pour le fonctionnement de l’Union. » « Deux ans plus tard, ajoute-t-il, force est de constater que la stratégie d’Emmanuel Macron n’a pas fonctionné. » Le président des riches s’est discrédité en France affaiblissant ainsi sa propre influence internationale. « Il n’a pas obtenu d’inflexion sensible des politiques européennes. » [1]

« Refondation » avortée, « Renaissance » introuvable

Qui plus est, c’est le contenu même de sa « refondation » qui ne va pas. Le projet porté par Emmanuel Macron, explique Etienne Balibar, consistait à « renforcer le noyau européen autour des pays de la zone euro qui accepteraient de mettre une plus grande partie de leurs ressources dans le fonds commun d’un budget européen, voire d’un Fonds monétaire européen, soumis à une discipline renforcée de la dette publique, mais utilisable pour des politiques "contracycliques" à longue échéance ». Il revenait donc d’une part à renforcer la géométrie variable dans la construction européenne et d’autre part à consacrer la quasi-souveraineté des institutions financières. Soit deux inconvénients majeurs : « Le premier, c’est que la logique des décisions "imposées" par la conjoncture et "sanctionnées" par le directoire exécutif ne peut être véritablement discutée et contestée ; le second, c’est qu’il installe un nouveau fossé entre les degrés d’appartenance à l’Union européenne et par conséquent – au motif incertain de rendre plus "étroite" l’union des pays du noyau central – sème dans l’ensemble de l’union les germes du ressentiment et du renforcement des nationalismes ».

Deux ans plus tard la « Refondation » macronienne est devenue « Renaissance ». L’enflure verbale est toujours là, mais la grande ambition est réduite à une dizaine de propositions essentiellement intergouvernementales axée sur la protection face « aux menaces extérieures », l’immigration, le terrorisme, la Russie, la concurrence déloyale, etc. On a placé les mots symboles : « boucler social », « protection des démocraties », « climat », « politique de concurrence ». Mais les propositions pour traiter ces enjeux sont creuses ou répètent ce qui existe déjà et n’aboutit à rien. Le prétendu affrontement du progressisme et du nationalisme-populiste perd de plus en plus de sa réalité. « Il n’y a aucune proposition pour que l’Union ne devienne plus démocratique », juge l’ancien président du Comité économique et social européen, Henri Malosse. « Comme il [Emmanuel Macron, NDLR] conçoit la France à partir du sommet, il voudrait une Europe à partir de Bruxelles en multipliant Agences, Offices, Conseils pour contrôler, surveiller, décider. »

Refondation radicale

Pour Etienne Balibar, ce n’est pas l’idée de refondation qui est en cause. Elle est bien à l’ordre du jour. Mais « il faut l’envisager de façon plus radicale, en ne se contentant pas de renforcer certains pouvoirs ou de déléguer à certaines nations le soin de piloter les autres ».

Bruno Odent l’écrit également, d’une autre façon : « Libérons l’Europe pour l’affranchir des dogmes des marchés financiers, de la compétitivité et de la soumission aux références du capital le plus fort… pour surmonter la crise sociale, pour appuyer les pays, les pays les plus en difficulté , plutôt que de s’acharner à leur maintenir la tête sous l’eau…pour qu’elle remplisse son devoir d’accueil et d’inclusion de centaine de milliers de réfugiés qui fuient les guerres, la misère ou les catastrophes environnementales….pour qu’elle agisse contre le réchauffement climatique et se dote de moyens concrets pour y parvenir… » [2]

L’enjeu économique numéro 1, selon Michel Aglietta et Nicolas Leron, serait d’instituer une puissance publique européenne pour reprendre la main sur le pouvoir économique : « Le monde est en train de changer en profondeur, dit Michel Aglietta, nous sommes à la fin de cette phase bien particulière du capitalisme financiarisé, et c’est le moment ou jamais pour la puissance publique de reprendre la main sur le pouvoir économique... Les biens collectifs sont européens et le deviendront de plus en plus : réseaux, électricité, transports, etc. Les infrastructures tombent en ruine en Allemagne, un pont s’effondre à Gênes : voilà les véritables problèmes. Ces problèmes-là nécessitent une prise en charge par une puissance publique au niveau européen. »

L’économiste et le politologue privilégient le levier d’un budget européen conséquent, le vote du budget étant le fondement de la démocratie parlementaire et donc celui d’une démocratisation de l’Union européenne. Mais le capitalisme financiarisé, c’est évidemment aussi la finance. Emmanuel Macron veut créer une banque européenne du climat. Mais pour quoi faire ? Il existe déjà une Banque européenne d’investissement et surtout une Banque centrale européenne. Ces institutions sont d’ores et déjà constitutives d’une puissance publique européenne. Il s’agit d’en redéfinir les missions, le statut et le fonctionnement.

Quant à la démocratie, autre enjeu essentiel d’une refondation de l’Union européenne, il ne se pose pas seulement au niveau du vote du budget. « Il doit viser, explique Etienne Balibar, un élargissement de la démocratie par rapport au niveau qu’avaient atteint les Etats-nations dans leurs moments de citoyenneté active maximale. Cela veut dire qu’il n’y aura pas de fédération européenne si l’émergence de pouvoirs exécutifs, administratifs, judiciaires, représentatifs, au-delà de la souveraineté nationale ne s’accompagne pas d’une renaissance des formes locales, quotidiennes, de participation directe (que certains appellent aujourd’hui des formes d’assemblée) : non pas isolées, refermées sur elles-mêmes, mais susceptibles de communiquer par-delà les frontières. » Et par-dessus tout, souligne-t-il également, « il faut réfléchir à la façon de desserrer le double bind qui fait que les citoyens et électeurs des classes populaires de tous les pays européens voient en ce moment l’Europe fédérale non pas comme un moyen de résister à la mondialisation qui aggrave toutes les inégalités, mais au contraire comme un instrument à son service. Et ils ont quelques raisons pour cela. Chaque fois qu’on proposera des avancées fédérales, on se retrouvera donc dans la situation de 2005 (j’avais moi-même, après hésitation, voté "non" au référendum). Conclusion, qui nous ramène au tournant pris il y vingt ans : le complément de l’euro, ce n’est pas, ou pas seulement, le budget européen, c’est la politique sociale européenne. »

Quelle stratégie ?

« Trois leviers sont à notre disposition, expliquent Attac et la fondation Copernic : le levier institutionnel européen, l’action des mouvements sociaux, la rupture au niveau national », c’est-à-dire « la désobéissance aux traités » [3]. Selon ces associations, c’est ce dernier levier qui doit être prioritairement activé. Un gouvernement progressiste (en France) qui aura pour priorité de sortir de l’austérité budgétaire et salariale pour conduire une transition écologique et sociale de l’économie se heurterait au carcan des traités européens actuels. Il ne faudrait ni se soumettre ni sortir mais désobéir. « La France n’est pas la Grèce. Du fait de son poids économique et politique, son refus d’appliquer les traités menacera l’existence de l’euro et de l’UE. Cette menace pourrait obliger les autorités européennes à accepter de négocier avec le gouvernement français. » D’autant plus que « le gouvernement français pourra chercher à faire alliance avec d’autres pays membres pour créer un rapport de forces au sein de la zone euro et avec les autorités européennes ».

Cette argumentation ne me convainc pas. Je doute fort que le levier national suffise pour transformer en profondeur et positivement l’Union européenne, fut-il même français et forcément, éclaireur d’histoire universelle ! N’oublions pas « le syndrome Bonaparte », avertit Guillaume Duval. La désobéissance gouvernementale d’un Etat ne sera une arme efficace que si des mobilisations sociales et citoyennes, des batailles et des campagnes menées plus largement qu’à la seule échelle nationale, rendent effectives les demandes qui constituent une refondation radicale de l’Europe. Des trois leviers énoncés par Attac et la fondation Copernic, le deuxième me parait être celui qui manque le plus.

 

Bernard Marx

Notes

[1Guillaume Duval : Trump, Poutine, Orban, Salvini, le Brexit… Une chance pour l’Europe. Les Petits Matins, avril 2019

[2Bruno Odent : Libérons l’Europe. Le national-libéralisme est au bout du « modèle ». Editions du Croquant, janvier 2019

[3Attac, Fondation Copernic : Cette Europe malade du néolibéralisme. L’urgence de désobéir. Les liens qui libèrent, mars 2019

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