Accueil | Chronique par Bernard Marx | 13 février 2020

Savez-vous planter les retraites ?

Pour l’épisode 15, deuxième saison, de ses « choses lues », Monsieur Bernard Marx se paye Laurent Berger et Emmanuel Macron, rien que ça !

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Le 7 février, au lendemain de la 9ème journée interprofessionnelle de mobilisation contre la réforme des retraites, Laurent Berger, le secrétaire national de la CFDT, a mis en garde le gouvernement. Si celui-ci ne reprend pas suffisamment en compte les demandes du syndicat concernant l’équilibre financier du système des retraites d’ici 2027 et la question de la pénibilité, alors « la CFDT dira que le gouvernement a planté la réforme ». Nul ne sait si Laurent Berger pensait à un bug informatique ou à un coup de poignard. Qu’importe à vrai dire. Tant il serait souhaitable et non-regrettable que le gouvernement se plante. Et qu’il ne plante pas les retraites des Français en imposant sa réforme à l’arraché, fut-ce avec quelques amendements made in CFDT.

 

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La CFDT a publié la teneur des amendements à la loi qu’elle porte auprès des parlementaires. Au regard des principaux plantages des retraites contenus dans la réforme, le moins que l’on puisse dire est que la Confédération semble prête à se contenter de peu. Exemples :

  • Le projet de loi abaisse la part des retraites dans le Revenu national. Alors que la part des séniors dans la population augmente progressivement, « cela ne peut entraîner qu’un appauvrissement des retraites par rapport au reste de la population », constate le Comité mobilisation de la Direction générale de l’INSEE dans la 2ème note qu’il vient de publier. Pour qu’il en soit autrement, il faudrait modifier les paramètres financiers de la réforme en agissant sur les taux de cotisations, la mise à contribution des revenus de la propriété et des revenus financiers et par une politique de l’emploi qui n’ai pas pour mantra de diminuer le coût du travail… par la baisse des cotisations sociales. Rien de cela n’est évoqué dans les amendements de la CFDT.
  • La loi prévoit un recours massif aux ordonnances sur 29 sujets souvent déterminants. Cela ne fait pas partie des sujets d’amendements que retient la CFDT.
  • La loi prévoit un recul de la démocratie sociale avec une étatisation et une centralisation de la gouvernance du système de retraite. L’autonomie de gestion des caisses de retraites complémentaires et celle des régimes non-salariés seraient supprimées. Le pilotage par le Conseil d’administration de la Caisse Nationale de Retraite Universelle (CNRU) serait réduit à sa plus simple expression par les règles d’ajustement automatiques figurant dans la loi, par les pouvoirs de décision du gouvernement et par la technocratie d’un nouveau Comité d’experts. Là encore, les amendements proposés par la CFDT sont cosmétiques, comme par exemple l’ajout de deux membres désignés par le Conseil d’Administration de la Caisse Nationale du Régime Universel (CNRU) aux six membres prévus pour le nouveau Comité d’experts technocratique qui viderait de sa substance l’actuel Conseil d’Orientation des Retraites (COR).

Les fonctionnaires poignardés

Le système de retraite actuel du régime général des salariés prend mal en compte le problème de la pénibilité. Les réformes insuffisantes de 2013 ont été largement vidées de leur substance par le gouvernement d’Emmanuel Macron. Mais, du moins, les agents de la fonction publique et les salariés des régimes spéciaux avaient obtenu une reconnaissance de l’exercice de travaux pénibles notamment par le classement en « catégorie active » permettant d’accéder à un départ plus précoce à la retraite : 43% des départs sont anticipés pour « catégorie active » dans la fonction publique hospitalière, 21% dans la fonction publique d’État et 6% dans la fonction publique territoriale.

Dans le projet de loi, les dispositifs prévus pour compenser la pénibilité ou les carrières longues sont très restrictifs par rapport aux dispositifs actuels. Les travailleurs ayant des conditions de travail pénibles ne pourront pas partir avant 62 ans sans décote. La suppression des catégories actives de la fonction publique constitue une régression majeure. Et, par construction, le système par points est plus défavorable que le système actuel pour les salariés du privé : le calcul sur l’ensemble de la vie active tient encore moins compte de la capacité réelle des individus à tenir en emploi pénible jusqu’à la retraite que celui effectué sur les 25 meilleures années d’activité.

La CFDT entérine la suppression de la catégorie active demandant seulement de maintenir sa prise en compte jusqu’en 2024. Pour les autres salariés, elle veut une meilleure prise en compte par un retour à la loi de 2013. Ce qui ne tiendrait pas compte de la dégradation liée au passage à un système par points.

Le projet de loi plante brutalement la retraite des fonctionnaires, notamment celle des enseignants et des personnels hospitaliers. « En moyenne, explique Henri Sterdyniak, le traitement de fin de carrière d’un fonctionnaire représente actuellement 123 % de son salaire moyen de carrière. Dans le nouveau système … le taux de remplacement à 65 ans, après 42 années de carrière, serait de 58,47% du salaire moyen de carrière. Sur le salaire de fin de période, il serait de 47,65% alors qu’il est aujourd’hui de 70,5% pour un enseignant dont les primes sont de 9% du traitement – soit une baisse de 32,4%. » La hausse des salaires promise pour empêcher cette paupérisation massive ressemble à une peau de chagrin. Les 10 milliards promis en 10 ans deviennent 500 millions pour 2021. Le reste viendrait d’un plan pluriannuel qui n’est pas établi. Là-dessus, il faut compter plus de 200 millions pour des formations prises sur le temps de congé. Et un peu plus de 200 millions pour la revalorisation des traitements, attribués pour l’essentiel sous forme de primes. La conclusion qui s’impose est que la réforme des retraites de la fonction publique sera le levier d’une destruction de la fonction publique d’État ne conservant que les fonctions régaliennes – police, armée, justice. Les autres évoluant vers un système de contractualisation généralisé. Le syndicat CFDT des enseignants (SGEN) a accueilli favorablement les annonces du gouvernement pour le budget 2021. Et en ce qui concerne le projet de loi, la CFDT demande de « créer un mécanisme garantissant aux fonctionnaires une part indemnitaire minimum ». Et de « compenser les impacts de l’assujettissement des primes pour les fonctionnaires ».

Il est difficile de savoir à ce stade si la CFDT actera un désaccord ou une acceptation de la réforme. Mais une chose est déjà sûre : si le gouvernement n’arrive pas in fine à imposer la mauvaise réforme des retraites, ce n’est pas à la CFDT qu’on le devra.

 

Bernard Marx

BONUS. Les lectures du Président

Le Président Macron a rendu visite au festival de la BD d’Angoulême. Comme bien d’autres professionnels de la culture, les auteurs attendaient des mesures concrètes pour améliorer leurs conditions de vie. Ils ont reçu des paroles aimables sur leur art. La visite a surtout fait polémique pour la photo du Président avec un tee-shirt « LBD 2020 » qui lui a été remis par le dessinateur Jul. « J’ai lancé l’idée de la pose comme une boutade, j’ai trouvé insolite qu’il l’accepte, a commenté celui-ci. Cela ne fait que conforter mon incompréhension le concernant. »

Le 30 janvier, Le Monde avait évoqué cette visite future en citant un propos d’Emmanuel Macron : « Je n’aime pas lire les mauvais romans, les romans faciles, ça ne me détend pas du tout, ça me rend même fou », le Président évoquant notamment son peu d’attrait pour la science-fiction ou le polar. David Caviglioli a analysé avec justesse et humour cette nouvelle pièce du florilège des propos et des actes du mépris de classe qui identifient décidément ce quinquennat.

 

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Le propos illustre en tout cas l’inculture profonde de l’hôte de l’Elysée. Mauvais romans – c’est-à-dire qui ne donnent pas à voir le monde tel qu’il est – 1984, Le meilleur des mondes, Fahrenheit 451, Le cycle des Robots, Les furtifs, Sang maudit, Le couperet, Nada et tant d’autres ? Ou plutôt mauvais lecteur que ce Président qui ne cesse de nous dire sur tous les tons et par tous les actes de sa politique que nous n’habitons pas un monde commun, que ne sommes pas tous nés pour vivre libre et vivre heureux, et que les aspirations à l’égalité, au partage et à l’émancipation commune sont des leurres. Contrairement à ce que dit Emmanuel Macron, les liens entre littérature « de genre » et grande littérature sont denses.

Côté polar, Daniel Pennac ou Pierre Lemaitre sont passés de la Noire à la Blanche sans changer de registre et sans forcément y gagner en qualité littéraire. Pionnier du genre, le polar américain, auquel l’universitaire Benoit Tadié [1] a consacré un passionnant essai, est, comme il le dit, une « littérature de plein droit ». Il n’y a pas d’un côté les bons romans de William Faulkner, de John Dos Passos, d’Ernest Hemingway ou de Toni Morrison et de l’autre les mauvais de Dashiell Hammett, Jim Thomson, David Goodis ou Chester Himes. Dans le polar américain, analyse Benoit Tadié, « derrière le crime individuel, c’est tout un affrontement de classes, des conflits entre générations et des luttes de minorités qui apparaissent… Un point de vue se manifeste aussi sur la modernité urbaine et la désorganisation sociale. » Cela vaut à mon sens également pour les polars français, des autres pays et des autres continents.

Côté SF, si le Président ne sait pas lire ces livres, c’est au fond pour la même raison. Ils disent l’avenir du monde tel qu’il est. Et ils tournent le fer dans la plaie. Les auteurs de L’effondrement de la civilisation occidentale [2], Naomi Oreskes et Erik Conway, eux-mêmes historiens des sciences, présentent ainsi leur ouvrage : « La science-fiction construit un avenir imaginaire ; l’histoire tente de reconstruire le passé. Toutes deux ont pour objectif de comprendre le présent. Nous fusionnons ici les deux genres : un historien futur se penche sur un passé qui est notre présent et notre avenir (possible). Il écrit pour commémorer le tricentenaire de la fin de la Culture occidentale (1540-2093), et son texte s’efforce de résoudre une énigme. Nous, les enfants des Lumières, nous disposions de connaissances robustes sur le changement climatique. Nous étions parfaitement informés des catastrophes qui allaient suivre. Alors, pourquoi n’avons-nous rien fait ? Parce qu’un second Age des Ténèbres s’était abattu sur la civilisation occidentale, conclut notre historien : le déni et l’aveuglement, ancrés dans un engouement idéologique pour le libre marché, avaient désarmé les puissances mondiales face à la tragédie. »

Le Président ne saurait lire un tel livre. Ce n’est pas surprenant, mais ce n’est pas une raison pour faire comme lui. Au contraire.

 

B. M.

Notes

[1Benoît Tadié : Front criminel. Une histoire du polar américain de 1919 à nos jours. Hors collection, Janvier 2018

[2Erik M. Conway et Naomi Oreskes : L’effondrement de la civilisation occidentale. Un texte venu du futur ; Les liens qui libèrent ; édition originale avril 2014 ; édition de poche février 2020

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