Accueil | Chronique par Bernard Marx | 23 mai 2019

Union des marchés de capitaux, comme c’est curieux et quelle coïncidence !

Découvrez vite l’épisode 15 des « choses lues par Monsieur Marx » !

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Alors qu’Emmanuel Macron joue au pompier pyromane en prétendant faire des élections européennes un remake du deuxième tour de l’élection présidentielle, la Fédération Bancaire Française (FBF) fourbit déjà ses armes pour peser sur la politique future des institutions européennes. L’acteur numéro 1 du lobbying bancaire français [1] a présenté la semaine dernière à Bruxelles ses dix priorités pour la prochaine mandature.

L’organisation professionnelle des banques s’est beaucoup investie pour limiter au maximum les réglementions bancaires et financières mises en place en France et en Europe après la grande crise financière de 2008. Elle a en particulier beaucoup agi et beaucoup obtenu contre la séparation des activités de banques de dépôts et de banques d’affaires et de marché.

Pause réglementaire

Sans surprise, elle réclame aujourd’hui une pause réglementaire de cinq ans et elle s’oppose à la mise en place, pourtant très progressive, de nouvelles dispositions de la Banque des Règlements internationaux qui ne visent qu’à limiter et non à supprimer l’autoévaluation des banques en matière de ratios prudentiels. Sans surprise également, c’est par de nouveaux allègements réglementaires « ciblés verts » que la FBF préconise de favoriser le financement des investissements pour la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique.

En bref, « l’Europe doit veiller à la maîtrise des coûts réglementaires, prudentiels et fiscaux des banques ». Le mantra, c’est la rentabilité des banques européennes très abusivement identifiée à leur compétitivité. Or, selon la FBF, elle est sensiblement inférieure à celle des banques américaines. Le message à peine subliminal de son agenda est donc que, rentabilité oblige, il faudra bien s’aligner sur le dumping réglementaire et fiscal de l’administration Trump.

Tous ensemble, Tous ensemble !

Une autre priorité stratégique de la Fédération Bancaire Française est la réalisation de l’Union des marchés de capitaux : « La FBF a soutenu depuis le début le projet de la Commission Européenne de développer en Europe une Union des Marchés de Capitaux (UMC). Au moment où (avec le Brexit) l’un des plus grands centres financiers mondiaux quitte l’Union européenne, il convient désormais de relancer le sujet de manière stratégique ». Le moins qu’on puisse dire est que le lobbyiste bancaire français avance ici en terrain conquis. Le président de l’Autorité de régulation des marchés financiers Robert Ophèle a récemment déploré la lenteur de l’avancée du projet et appelé les institutions qui vont être renouvelées à le relancer.

Quelques semaines auparavant François Villeroy de Galhau, son collègue gouverneur de la Banque de France avait plaidé dans le même sens avec Jens Weidmann, le président de la Banque fédérale d’Allemagne. Et Bruno Le Maire vient de lancer, avec ses collègues ministres des Finances allemands et hollandais, une initiative conjointe de l’Allemagne, de la France et des Pays Bas « pour un renforcement de l’Union des marchés des capitaux ».

L’initiative consiste dans la création d’une mission d’experts chargée de faire des propositions pour avancer. C’est justement l’une des propositions de la FBF. « Comme c’est curieux ! comme c’est bizarre ! et quelle coïncidence ! », comme disait Madame Martin [2].

Un projet dangereux

A l’origine,le projet d’union des marchés de capitaux a été mis sur la table en 2015 par le commissaire européen Christopher Hill, ancien lobbyiste de la City. Il s’agissait de faire basculer le modèle européen de financement qui accorde une place encore prédominante au crédit bancaire vers un système à prédominance de finance de marché, tel qu’il existe dans les pays anglo-saxons. Les difficultés des financements classiques par le crédit bancaire étaient supposées être la cause de l’insuffisance des financements pour les infrastructures, pour les PME et pour l’innovation. Le développement des partenariats public-privé, l’accroissement du rôle des fonds de pension, des assurances et des fonds d’investissements et celui de marchés financiers, plus intégrés entre eux, étaient censés résoudre le problème. « Attention danger ! Le projet d’Union des marchés de capitaux de la Commission européenne doit être stoppé ! », analysaient à l’époque les Économistes Atterrés. La relance de « la tritrisation » [3] et la promotion du Shadow Banking (c’est-à-dire les acteurs bancaires et financiers non soumis à la réglementation bancaire) sont au cœur du projet alors qu’ils ont été des facteurs majeurs de la crise financière de 2008.

Le projet n’a pas avancé comme espéré. Les harmonisations nécessaires des réglementations se sont avérées plus difficiles que prévues. Les négociations du Brexit l’ont mis en panne. Mais maintenant que le Brexit est en principe une affaire conclue, le projet peut reprendre avec l’espoir d’un bénéfice plus ou moins partagé entre les places financières de Paris, de Francfort et d’Amsterdam. Mais les dangers restent les mêmes. Ce n’est pas l’Union des marchés de capitaux qui permettra de financer les investissements massifs de long terme dans la transition écologique et les services publics nécessaires à une refondation écologique et sociale du projet européen. Si le système financier anglo-saxon avait réussi à mettre les Etats-Unis sur les rails d’un nouveau modèle de développement écologique et social, ça se saurait.

La rupture avec le capitalisme financiarisé et la transformation de la finance doivent être beaucoup plus systémique. Outre une relance du financement public, trois types d’acteurs financiers nationaux et européens devraient y jouer un rôle majeur à condition de se transformer eux-mêmes profondément : les banques publiques de développement, les investisseurs institutionnels et les banques centrales.

 

Bernard Marx

Notes

[1Jézabel Couppey-Soubeyran : BlablaBanque. Le discours de l’inaction. Editions Michalon 2015

[2Eugène Ionesco : La Cantatrice chauve

[3Grâce à la titrisation, expliquent les Économistes atterrés, « les banques peuvent revendre leurs crédits sous forme de titres financiers sur les marchés de capitaux, ce qui leur permet de prêter en se dégageant de leurs risques, tout en empochant les frais bancaires. La titrisation ouvre aux banques et investisseurs de nouvelles opportunités de profit. Or la titrisation a largement contribué à la crise financière de 2008, en incitant les banques à adopter des comportements risqués dans l’octroi des crédits. »

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