Accueil | Chronique par Bernard Marx | 2 avril 2021

Bruno Le Maire, ministre d’un bloc bourgeois chancelant

En novlangue macroniste, prendre aux plus pauvres, c’est rendre la société plus juste. Une fois n’est pas coutume, Bernard Marx se paie le ministre de l’Économie.

Vos réactions
  • envoyer l'article par mail envoyer par mail
  • Version imprimable de cet article Version imprimable

MAD MARX. Bruno Le Maire était interviewé lundi 29 mars par France Info. Il a notamment parlé réforme des allocations chômage et donations familiales par temps de Covid. « Il y a un moment, a-t-il martelé, il faut simplement que l’on dise la vérité aux Français ». Il faut toujours se méfier lorsque qu’un homme politique tient ce genre de propos. C’est en général le signe qu’il va faire le contraire. Cela n’a pas raté.

Voyons les choses de plus près.

Réforme de l’assurance chômage : il a dit « justice »

Le ministre a mis en cause une étude d’impact du projet de décret gouvernemental réalisé par l’Unédic le 24 mars. Selon cette étude révélée par Le Monde l’impact de la réforme serait encore pire que ce qu’en a dit le gouvernement : au cours des douze premiers mois de leur entrée en vigueur, les nouvelles modalités de calcul de l’allocation sont susceptibles de se traduire par une baisse des sommes versées pour quelque 1,15 million de demandeurs d’emploi, soit environ 350.000 personnes supplémentaires par rapport aux premières estimations fournies, début mars, par le gouvernement.

L’Unédic est disqualifiée par ses prévisions sur l’emploi 

Bruno Le Maire attaque l’Unédic par la bande et par ses prévisions de l’impact de la crise Covid sur l’emploi en 2020 : « C’est le même Unédic qui nous avait annoncé 900 000 suppressions d’emplois en 2020. Il y en a eu 330.000. Donc, je prendrais les estimations de l’Unédic avec beaucoup de précautions ».

À ceci près que, comme le rappelle Cécile Hautefeuille dans Mediapart, le ministre annonçait lui-même à la même époque quelque 800.000 suppressions. Mais l’essentiel n’est pas là. La baisse de l’emploi évoquée par le ministre mesure mal la dégradation de ce qu’on appelle le halo autour de l’emploi, comme par exemple la destruction des petits boulots étudiants qui a été massive.

Si la destruction d’emplois a été plus faible que prévue, cela tient à l’ampleur du chômage partiel et des aides aux entreprises. Mais la baisse des heures travaillées a été beaucoup plus massive. L’économiste Michel Husson a fait les comptes : « Le bilan sur un an (entre le dernier trimestre de 2020 et celui de 2019) s’établit comme suit : le nombre d’heures travaillées a baissé de 7%, la durée du travail de 5,7%, et l’emploi de 1,4%... La durée moyenne du travail est aujourd’hui inférieure de près de 6% à ce qu’elle était il y a un an, soit l’équivalent d’un peu plus de deux heures par semaine ». C’est une donnée essentielle. Une sortie de la crise sanitaire peut laisser espérer un redémarrage du nombre global d’heures travaillées. Si la durée du travail reste à son niveau actuel plus faible qu’avant la crise, l’emploi augmentera. Mais pas ou beaucoup moins s’il revient à son niveau d’avant. Mais Bruno Le Maire veut encore plus que cela : « Il faut, a-t-il dit, travailler davantage ».

« Une réforme qui va mettre de la justice »
C’est ce que prétend le ministre : « Vous trouvez cela juste vous, clame-t-il, que lorsque vous êtes en "permittence", c’est-à-dire lorsque vous enchainez les CDD, vous êtes mieux indemnisés que lorsque vous êtes en travail à temps partiel ». « Et d’ailleurs, ajoute-t-il, je rappelle qu’il y a une clause de retour à meilleure fortune de l’emploi qui protège de l’application de cette réforme ». C’est un mensonge. Le dispositif concernant le calcul du salaire journalier de référence s’appliquera dès le 1er juillet 2021, sans considération d’un quelconque retour à meilleure fortune.

Et mettre de la justice ne consiste pas à rabaisser les droits de ceux qui en ont peu pour les mettre au niveau de ceux qui en ont encore moins. Le sociologue Mathieu Grégoire a entamé une série de décryptages très utiles de la réforme de l’assurance chômage – Saison 2. L’idée que la réforme permettrait de supprimer des allocations injustement avantageuses pour les travailleurs « permittents », correspond en fait à un fantasme explique-t-il : « Celui du chômeur qui s’arrêterait totalement de travailler pour consommer ses droits au chômage dès leur ouverture ». Ce n’est pas parce que le Ministre s’empare de ce fantasme que ce n’est pas un fait alternatif. Cela correspond en fait à une stratégie assez peu rationnelle, analyse Mathieu Grégoire : « D’une part, continuer de travailler permettrait à ce salarié de percevoir des revenus supérieurs. D’autre part, sa stratégie est sans lendemain car il finit par se trouver en fin de droit sans possibilité de renouvellement ».

Et donc, la réforme ne répare pas une injustice. Elle aggrave la situation des salariés à l’emploi discontinu. Avant comme après la réforme, ils alternent emploi et chômage. Et ils ne sont pas indemnisés plus longtemps. « Leurs droits sont purement et simplement réduits en permanence ».

« Une réforme qui va mettre de la justice ». Bis repetita
« Vous trouvez ça juste, interroge le Ministre, que le temps moyen de travail à durée déterminée en France soit passé de 10 à 5 jours ? Vous trouvez ça juste qu’on emploie 10 fois plus de CDD en France que dans les autres pays ? Vous trouvez ça juste cette précarité organisée ? ». Certes non. Je ne trouve pas cela juste et même je trouve cela inacceptable. Alors que cela fait des décennies que cela s’aggrave.

Certes en 2018 et 2019 il y a eu une petite amélioration. Mais d’autant plus relative, qu’une autre forme de précarité, celle des emplois d’autoentrepreneurs a continué de s’accroître.

La première réforme marcronienne de l’assurance-chômage prétendait déjà à la justice par l’extension du droit à une allocation chômage (800 euros pendant 6 mois) aux travailleurs indépendants. Fin février 2021... 911 personnes ont pu l’obtenir !

Bruno Le Maire affirme que la réforme va mettre bon ordre : « Mettre en place un bonus-malus pour favoriser ceux qui développent des contrats longs et au contraire sanctionner ceux qui recourent aux contrats courts. C’est une mesure essentielle ».

Sauf que là justement, le dispositif prévu n’est pas juste mais juste, juste, juste. Le bonus-malus, au demeurant très insuffisant pour être incitatif, ne sera effectif sur les cotisations au mieux qu’en juillet 2022. Un an plus tard que la baisse des allocations !

Donations : « Juste » et « efficace » 

La crise Covid a généré une baisse globale de la consommation très nettement supérieure à celle des revenus. C’est dû aux effets de la protection sociale et de la politique du quoiqu’il en coûte.

La chute de la consommation des ménages en 2020 a conduit à une accumulation supplémentaire d’épargne de plus de 100 milliards d’euros pour 2020. Le Ministre avance même le chiffre de 200 milliards pour 2020- 2021. Selon la doxa économique, la dynamique de sortie de crise dépendra donc « de la décision de consommation des ménages » [1]. C’est exact. Mais pour une part seulement, si l’on ne veut pas chercher à relancer simplement la croissance du monde d’avant. Pour construire une dynamique de sortie de crise qui réalise en même temps une transformation écologique et sociale et un modèle de développement tourné vers le bien être, il faut certainement que ceux qui se privent puissent consommer plus. Mais il faut aussi une dynamique nouvelle d’investissements de long terme et de dépenses pour la santé, l’éducation, la culture, les services publics et la lutte contre la pauvreté.

 

LIRE AUSSI SUR REGARDS.FR
>>
Derrière le débat sur la dette, la bataille des dépenses publiques

 

Pour débloquer utilement l’épargne suraccumulée, il faut donc mettre en débat les moyens d’une telle relance : impôt sur le capital et sur les gagnants de la crise, réforme fiscale, mobilisation de l’épargne pour les orienter vers ces nouveaux financements de long terme.

Au lieu de quoi, Bruno Le Maire explique qu’on va continuer, comme avant, à diriger l’épargne le plus possible vers le capitalisme financier : il y aura dit-il, « zéro taxe sur l’épargne » et, si possible, toujours plus d’épargne dirigée vers les Plans d’épargne retraite et l’actionnariat salarié. Au passage, le ministre s’est félicité d’avoir accordé fin 2020 une nouvelle exonération de cotisation sociale (le forfait social) pour les abondements des employeurs aux achats d’actions des salariés. Au détriment des recettes de la protection sociale. Il est prêt « si nécessaire à aller encore plus loin ». En même temps qu’il martèle que « 40 milliards de déficit du régime d’assurance chômage, ce n’est pas bon ». 

« Ce sont tous les Français qui ont épargné »
Mais ce sont surtout les donations que le ministre veut favoriser comme moyen de canaliser l’épargne vers la consommation. Pour cela, il veut augmenter les déductions fiscales.

Les journalistes s’inquiètent que cela va favoriser surtout les ménages les plus aisés qui sont ceux qui pour l’essentiel ont accumulé de l’épargne par temps de Covid. « Je vous arrête tout de suite rétorque le Ministre : Ce ne sont pas les Français les plus aisés, ce sont tous les Français qui ont épargné ».

La note de conjoncture de l’INSEE publiée le 11 mars montre clairement que l’épargne supplémentaire des français en 2020 a été encore plus inégalement répartie que leurs revenus : « En 2020, la chute de la consommation a alimenté l’épargne, faisant progresser notamment les hauts patrimoines financiers ». C’est l’évidence même. Les ménages du bas de l’échelle des revenus n’ont pas les moyens d’épargner. En 2020, 20% des Français ont concentré 70% de la sur-épargne et ce sont les 20% les plus riches.

Évolution de la consommation des ménages de l’échantillon redressé en 2020 en %

En moyenne la consommation a diminué en 2020 de 13%. Mais pour les 10% ménages du bas de l’échelle des revenus elle a été de 3% contre une baisse supérieure à 20% pour les 10% de ménages qui ont les plus hauts revenus.

 

Évolution du patrimoine de l’échantillon redressé en 2020 en %

Pour les 25% de ménages dont les patrimoines sont les plus faibles, l’augmentation moyenne en 2020 a été minime quand, il y en a eu. Elle a été en moyenne supérieure à 10 000 euros pour les 25% de ménages du haut de l’échelle des patrimoines.

Pas une « politique pour les riches », « une politique de justice pour les couches moyennes »
« Il ne s’agit pas d’une politique pour les riches, justifie Bruno Le Maire. C’est une politique de justice pour les classes moyennes, pour la solidarité entre les générations. C’est une manière de dire que nous sommes tous solidaires et qu’il faut permettre à ceux qui sont plus âgés d’aider les jeunes ». Il se veut concret : « Vous avez un enfant qui n’a pas pu faire son stage, n’a pas eu son contrat, ne serait-ce pas juste de permettre de lui donner quelques milliers d’euros sans aucune taxe, sans aucun impôt, de façon à lui permettre de passer les mois qui viennent sans trop de difficulté ? Permettre à des grands-parents de soutenir leurs petits-enfants, cela me paraît juste ». Le plafond de donation « sera réduit », cela sera, dit-il, « quelques milliers d’euros, pas plus ».

Ceci n’est pas plus une politique économique et sociale que la pipe de Magritte. C’est de la démagogie visant à maintenir l’alliage politique de plus en plus branlant des riches bénéficiaires de la politique d’Emmanuel Macron et des classes moyennes qui trinquent et craignent le déclassement pour elles et leurs familles. Bruno Le maire surfe sur leur rejet de l’impôt et d’une injustice fiscale que ces catégories ressentent d’autant plus vivement qu’elles bénéficient moins de la politique étatique de redistribution.

Bruno Le Maire est contre le RSA jeunes. « Parce que, a-t-il dit, à 18 ans, ce qu’on veut, c’est un travail. On veut une rémunération de son travail, on ne veut pas une allocation ». Mais il est pour que l’argent public soutiennent les donations privées familiales pour aider leurs enfants qui se retrouveraient en difficulté. Une solidarité sociale pour les jeunes c’est de l’assistanat. Et c’est non ! Une assistance familiale pour ceux qui le peuvent, c’est de la justice, et cela mérite une aide fiscale.

Mais le travestissement des réalités atteint ici des sommets.

Rendez-vous sur la page « Que puis-je donner à mes enfants, petits-enfants sans avoir à payer de droits ? » du site officiel Impôts.gouv du ministère des finances. Bruno Le Maire n’en ignore certainement pas le contenu. On y lit ceci :

« Un enfant peut recevoir 200.000€ (100.000 x 2) de ses parents et 127.460€ (31.865 x 4) de ses quatre grands-parents tous les 15 ans sans, droit de donation à régler. À quoi s’ajoutent l’exonération des dons familiaux de sommes d’argent (31.865€ …) »

Ainsi, dit le ministère, « une petite fille majeure peut recevoir de son grand-père de moins de 80 ans un total de 63.730€ en exonération de droits : 31.865€ au titre de l’exonération des dons familiaux de somme d’argent et 31.865€ seuil au-dessous duquel le don manuel n’est pas imposé.. » Sans compter qu’elle pourra recevoir la même chose de sa grand-mère. Sans compter les cadeaux d’anniversaires, de fêtes ou de Noel, non imposables s’ils ne dépassent pas 2,5% du revenu du ou des donateurs. Sans compter qu’un grand-parent peut aussi faire des dons à ses enfants s’il n’a pas franchi vis-à-vis d’eux, la barrière imposable, et ceux-ci pourront à leur tour faire un don défiscalisé à leurs propres enfants. Sans compter le nouvel avantage mise en place par Bruno Le Maire en cette année 2020. Les parents qui en ont les moyens vont pouvoir transmettre 100.000 euros supplémentaires en donation à chacun de leurs enfants sans que ces derniers paient des impôts, à condition qu’ils créent ou développent une entreprise de moins de 50 salariés, ou qu’ils construisent leur maison ou y réalisent des travaux d’économie d’énergie.

Bref à qui veut-on faire croire qu’un grand-parent qui dépasserait toutes ces limites en faisant un don de 10.000 euros à un petit enfant en difficulté, ce serait « couche moyenne… » ? C’est nous raconter une fable comme celle de la fourmi de dix-huit mètres avec un chapeau sur la tête, de Robert Desnos : Ça n’existe pas, ça n’existe pas !

Et quand bien même ! Sur le site officiel de l’administration françaiseon peut calculer les droits de succession à payer sur les donations lorsque les donataires dépassent les exonérations. Les droits ne sont exigés que pour les sommes supérieures aux exonérations. Pour un don d’un grand parent, le taux d’imposition est de 5% pour un dépassement de moins de 8072 euros et de 10% de 8073 à 12.109 euros. Pour un don de 10.000 euros dépassant la dose prescrite, les taxes seraient à peine supérieures à 500 euros.

Ce serait une contribution bien minime, et ô combien légitime, qui pourrait être affectée à la solidarité sociale à l’égard des autres jeunes en difficulté. Mais c’est encore trop pour le ministre d’Emmanuel Macron.

 

Bernard Marx

Notes

Vos réactions
  • envoyer l'article par mail envoyer par mail
  • Version imprimable de cet article Version imprimable

Vos réactions

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.