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Accueil | Par Bernard Marx | 30 septembre 2020

Budget 2021 : droit dans le mur de la dette ?

La sacro-sainte règle des 3% de déficit aurait-elle du plomb dans l’aile ? Rassurez-vous, les tenants de la doxa se tiennent droit dans leurs bottes.

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MAD MARX. Ce mardi 29 septembre, le Projet de loi de finances, présenté la veille par Bruno Le Maire et Olivier Dussopt, occupe les antennes des radios et les plateaux médias spécialisés. Sur France Inter, le ministre de l’Économie est l’invité du Grand entretien matinal. Sur France Culture, Guillaume Erner interroge l’économiste Julia Cagé. Et sur BFM Business, c’est le défilé des « experts » néolibéraux en économie et/ou en placements financiers comme Alain Madelin, Jean- Marc Daniel ou Marc Fiorentino.

 

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Dans la grande famille néolibérale, la carte maîtresse, c’est la dette publique. Son poids excessif, forcément excessif, est le levier des réformes qu’elle réclame et obtient, sauf résistance populaire acharnée. Or le projet de loi de finances annonce qu’après la récession évaluée par le Trésor à 10% pour 2020, le déficit public qui va s’envoler au-dessus de 10% du PIB (277 milliards d’euros), serait encore de 6,7% en 2021. En dépit d’un rebond affiché et espéré, sinon attendu, de la croissance de 8%. La dette va bondir à plus de 2600 milliards fin 2020 et à 2800 milliards en 2021 pour s’établir à 116,2% du PIB, contre légèrement moins de 100% en 2019.

La doxa qui régnait depuis plus d’une décennie sur la politique budgétaire et qui servait de levier aux réformes néolibérales aurait-elle du plomb dans l’aile ?

« On a du mal à comprendre, interroge Guillaume Erner sur France Culture. On a été biberonné par un discours qui consiste à dire que la dette devait être la plus modeste possible. Si non, nos enfants et nos petits-enfants allaient la payer. Bref, qu’on appauvrissait les générations futures. D’où les limites de 3% de PIB de déficit et de 60% d’endettement. Tout ce consensus est-il en train de voler en éclat ? »

Vous avez dit consensus ?

Il n’y a jamais eu de consensus sur un niveau optimal de la dette répond Julia Cagé. Le niveau dépend de la capacité d’emprunt des États et tant que les marchés considèrent que la dette de l’État est soutenable. Et la soutenabilité cela se lit sur les taux d’intérêt. Tant qu’ils ne montent pas, pas de problème. Et justement aujourd’hui les taux d’intérêt sont extrêmement bas. Et il faut donc en profiter. Cela ne va pas appauvrir les générations futures mais au contraire on évite qu’elles s’appauvrissent avec une crise économique qui, sans cela, serait profonde et durable, et avec un déficit d’investissement dans le futur.

Sur BFM Business, même l’économiste Jean Pisani-Ferry, l’un des fabricants du programme d’Emmanuel Macron de 2017, tient des propos assez proches. Et c’est vrai qu’il est difficile de trouver quelqu’un qui prône le respect de la règle des 3% de déficit pour 2021. Les tenants de la doxa, y compris Jean Pisani-Ferry, considèrent par contre qu’on serait en meilleure situation si on avait frappé plus fort avant : « La leçon de cette crise est allemande : pour ne pas devoir lésiner sur le keynésianisme face à des chocs financiers, sanitaires ou écologiques, mieux vaut disposer de marges d’action » [1].

Mais en réalité si les taux d’intérêt sont très bas c’est avant tout du fait des politiques monétaires. Ce n’est pas la confiance des marchés financiers vis à vis des États qui font que les taux sur les endettements publics et privés sont si bas. C’est la politique de refinancement des banques et de rachat massif des titres publics et privés des Banques centrales qui l’explique.

Jusqu’où cela peut-il durer ?

Est-ce que cela ne va pas finir par de l’inflation ou de l’hyper-inflation ? Ou par une catastrophe financière ? L’expert de BFM Jean-Marc Daniel prévoit un retour de bâton en Europe du fait des différences de situation sanitaires et économiques entre ceux qui s’en tirent mieux (l’Allemagne, la Suède , l’Autriche) et ceux qui s’en sortent moins bien (la France, l’Espagne). Les déficits français vont faire grincer et ils pourraient peser sur les conditions de mise en œuvre du plan de relance européen. Sans compter les risques de nouvelle crise de l’euro que cela pourrait générer. Ce n’est pas parce que l’économiste est ultra-libéral qu’il ne pointe pas juste.

À quoi il faut ajouter l’effet « inflation financière ». La politique « d’argent gratuit » des Banques centrales n’a pas relancé jusqu’ici l’inflation de l’économie réelle mais elle alimente l’inflation des prix des actifs financiers.

Le chef économiste de Natixis, Patrick Artus lui-même, n’a de cesse de le dénoncer, comme ici il y a quelques jours : « La forte croissance de la liquidité et les taux d’intérêt très bas vont pousser fortement à la hausse (comme on l’a déjà vu de 1986 à 2000, de 2002 à 2008, de 2014 à 2019) les cours boursiers et les prix de l’immobilier ». Les épargnants titulaires d’assurances-vie, les jeunes qui « doivent acheter des actifs financiers et acheter leurs logements pour se constituer un patrimoine sont pénalisés ».

Les dégâts s’étendent en fait bien au-delà des couches moyennes. L’inflation financière impacte les loyers et les gestions actionnariales des entreprises. Elle enrichit les plus riches et aggrave l’ensemble des inégalités et la pression du capital financier sur les salaires. Sans compter les risques que cela ne débouche sur l’éclatement des bulles et des catastrophes financières.

Pour Jean Pisani-Ferry, le « moment keynésien » ne devra pas durer trop longtemps et on reviendra aussi vite que possible au programme. Et pour Alain Madelin et Jérôme Dedayan, chef d’entreprises, président de Mon Partenaire Patrimoine et spécialiste de l’épargne salariale, c’est la réforme néolibérale de l’État qui doit être réactivée et cela dès maintenant. « Il faut mettre une grosse enveloppe sur la réforme de l’État. Cela coûte au début, mais cela rapporte beaucoup à l’arrivée », explique Alain Madelin, alors que l’expérience du Covid et des hôpitaux montre que c’est exactement le contraire qui se passe : on commence par les économies et on finit par les désastres sanitaire et économique. Et pour Jérôme Dedayan, le gouvernement a fait le bon pari, celui de « la relance par l’offre ». C’est-à-dire par la baisse des impôts, par la compétitivité des entreprises et par un soutien public à leur déploiement dans des secteurs innovants. « Ça fait redémarrer l’économie, dit-il, ça fait baisser l’emploi [sic, quel beau lapsus freudien, NDLR] et tout va bien ». Ce que Jean-Marc Daniel sur Arte résume de son côté par la formule choc : « Il faut libérer l’économie et laisser les entreprises travailler », ce que selon lui le plan de relance ne fait pas assez. Jérôme Dedeyan est sur la même longueur d’ondes : « L’État doit être maigre et efficace », dit-il, pris de rage quand on lui parle contreparties.

« C’est pas open bar »

Le danger des politiques budgétaires et monétaires et « du plan de relance » qui ne s’attaquent pas en même temps aux critères et à la sélectivité de l’argent déversé avec des taux d’intérêt très bas est donc évident. Le retour de bâton austéritaire est d’autant plus menaçant qu’il est déjà programmé par le gouvernement : Bruno Lemaire a déjà averti : « Toute la dette liée à cette crise économique, c’est de l’investissement. Il faudra la rembourser, mais ce remboursement viendra quand nous aurons retrouvé la croissance. Nous la rembourserons par de la croissance, par un principe de responsabilité sur les finances publiques et par des réformes de structures que je continue à estimer indispensables. La première d’entre elles étant la réforme des retraites ». Comme il dit, « c’est pas open bar » !

Bis repetita, ce même mardi 29 septembre, en présentant les comptes déficitaires de la Sécurité Sociale, les ministres Bruno Le Maire, Olivier Véran, Olivier Dussopt, Brigitte Bourguignon et Adrien Taquet ont averti d’une seule voix : « La sortie de crise sera un rendez-vous important pour garantir la pérennité du financement de notre protection sociale. Nous ne pourrons pas faire l’impasse d’une nécessaire maîtrise de nos dépenses, avec un renouvellement et un renforcement de nos outils de régulation. Le rapport confié au Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie sur la rénovation de l’ONDAM [2] en est une première étape pour ce qui concerne la santé. Les enjeux de pertinence, de gains d’efficience, et de lutte contre la fraude seront centraux dans cette rénovation ». Et, comme l’explique Romaric Godin, « la meilleure preuve de cette volonté de repasser rapidement à l’austérité réside dans le transfert, voté cet été par le Parlement, des déficits liés à la crise à la Cades, la Caisse d’amortissement de la dette sociale. Ce transfert prétend "libérer" la Sécurité sociale de sa dette. Mais le coût de cette libération est considérable puisque, chaque année, ce sont pas loin de 16 milliards d’euros de ressources de la Sécurité sociale (8 milliards de la CRDS et autant de la CSG) qui sont consacrés à l’amortissement de la dette sociale. Or ce choix pose un vrai problème d’opportunité alors que les taux sont nuls ».

Avec ce projet de loi de finance pour 2021 on sait d’ores et déjà à quoi s’attendre. Comme l’exprime Patrick Artus, lui-même, « il faut nous préparer à une phase de durcissement du capitalisme ». À ceci près qu’il ne faut pas l’accepter mais le combattre.

 

Bernard Marx

Notes

[1Le Monde, 16 mai 2020

[2ONDAM : Objectif national de dépenses d’assurance maladie. Mis en place par les ordonnances du Plan Juppé de 1996, Il s’agit de l’objectif de dépenses à ne pas dépasser en matière de soins de ville, d’hospitalisation et de médico-social. Il est voté chaque année au Parlement au moment du vote de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS).

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