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Accueil | Chronique par Bernard Marx | 7 octobre 2020

Diafoirus, Gouverneur de la Banque de France

« Dans les discours et dans les choses, ce sont deux sortes de personnes que vos grands médecins. Entendez-les parler : les plus habiles gens du monde ; voyez-les faire : les plus ignorants des hommes. » (Le Malade imaginaire, Molière)

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MAD MARX. Samedi 3 octobre, François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France, était l’invité de l’émission de France Inter « On n’arrête pas l’éco ». L’occasion pour lui de délivrer un message qui doit alerter : le « quoi qu’il en coûte » ne doit pas durer, a-t-il affirmé. « Il faut être plus sélectif dans nos dépenses ». On doit retourner le plus vite possible au temps du « quand cela vaut le coup, et si cela vaut le coup ». En clair, les incertitudes sont totales sur la situation sanitaire, sur la gravité de et la durée de la crise économique et sociale et sur les ruptures indispensables des structures économiques. Le Gouverneur engage, cependant, déjà le fer pour que l’on retourne au plus vite à l’austérité budgétaire et aux réformes néolibérales dont Emmanuel Macron cherchait à accélérer le cours depuis les débuts de son quinquennat, avant que n’éclate l’épidémie de la Covid-19.

 

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La dépense, la dépense, vous dis-je

L’argumentaire de celui qui gouverne la Banque de France et participe à la gouvernance de la Banque Centrale Européenne peut être résumé en six points :

  • 1. La capacité d’endettement de l’État est limité. Certes, il n’y a pas de limite chiffrée absolue, y compris les règles de Maastricht de 3% de PIB pour le déficit et de 60% du PIB pour la dette publique. « Par contre, il y a un élément totalement clef, c’est la confiance de ceux qui nous prêtent. Et ceux qui nous prêtent nous font confiance parce qu’ils pensent qu’à l’avenir nous pourrons et nous voudrons rembourser notre dette ».
  • 2. Nous n’annulerons pas la dette. Cela doit être et rester une certitude. « S’il commençait à y avoir un doute sur la volonté de la France de rembourser la dette, là nous verrions immédiatement les prêteurs s’en aller ».
  • 3. En adoptant le traité constitutif de l’Euro, la France a pris l’engagement de ne jamais annuler la dette publique française qui est, du reste, possédée par la Banque de France et non par la BCE. Le Traité interdit en effet le financement monétaire du déficit, à quoi reviendrait une annulation de la dette publique française.
  • 4. Si les investisseurs faisaient moins confiance à la France, ils commenceraient d’abord par monter les taux d’intérêt. « Regardez un pays comme l’Italie près de nous : l’Italie paye plus cher aujourd’hui pour sa dette parce qu’il y a un petit peu plus de questions sur la dette italienne. Et puis il y a le stade ultime, c’est que si à un moment la confiance est vraiment perdue, là on ne peut plus emprunter du tout. Cela a été la Grèce il y a dix ans, c’est l’Argentine aujourd’hui. La France n’en est pas là heureusement ».
  • 5. La confiance sur notre capacité à rembourser la dette repose sur trois ingrédients. Nous en avons deux. Il manque le troisième. « Le premier ingrédient c’est le temps : on ne va pas rembourser tout de suite ; il faudra se désendetter au fur et à mesure du retour de la croissance. Deuxièmement, la croissance justement ; elle est en train de revenir progressivement mais on estime que c’est en 2022 que nous aurons retrouvé le niveau pré-Covid. Et le troisième élément, c’est la maîtrise des dépenses. Là je le dis très clairement : nous n’y sommes pas ».

« Tous gouvernements confondus, quand on regarde l’évolution des dépenses publiques dans notre pays depuis dix ans, entre 2010 et 2020 avant le Covid, d’abord nos dépenses publiques sont plus élevées que celles de tous nos voisins européens alors que nous avons le même modèle social. Cela pose une petite question sur l’efficacité de nos dépenses. Mais ces dépenses déjà très élevées ont en plus augmenté de 1% par an en moyenne, 1% après inflation. Il semble que dans la prévision 2021, ce chiffre augmente encore ».

  • 6. Il faut séparer la dépense et la dette Covid qui seraient nécessaires mais provisoires et les dépenses hors-Covid qu’il faut savoir limiter : « C’est un problème de bon sens et de confiance. Est-ce que nous transmettons à nos enfants, à nos petits enfants dont vous parliez tout à l’heure un sac à dos qui est toujours plus lourd ? Cela veut dire que la charge qui pèse sur les générations suivantes va être plus lourde, et donc que nous manquons à la solidarité entre générations. Mais c’est aussi un problème de confiance de nos prêteurs, j’y reviens toujours : nous devons donc absolument, comme l’ont fait nos voisins européens, mieux maîtriser nos dépenses. Je crois énormément au modèle social européen. Il se trouve simplement que nous dépensons plus que les autres pour avoir le même résultat. Il y a un sujet d’efficacité de la dépense publique. On peut et doit faire des dépenses temporaires contre le Covid, mais pour les dépenses hors-Covid, récurrentes, il faut être plus efficace ».

Le scénario de 2010 ?

Comme le gouverneur et son raisonnement ne sont pas sans influence et sans dangers, il n’est pas inutile de s’y attarder, notamment sur 8 points.

  • 1. Ce n’est pas la confiance des marchés qui fait les bas taux d’intérêt, c’est la politique monétaire de rachat systématique de la dette publique. Tant que celle-ci durera les taux resteront ce qu’ils sont : négatifs ou extrêmement bas : « La structure de nos créanciers rappelle sur le site d’Alternatives économiques Justin Delepine a été largement modifiée ces dernières années, avec un acteur prenant une place prépondérante : la Banque centrale européenne. Alors que celle-ci ne possédait que 2% de la dette publique française en 2010, sa part était de 20% fin 2019, avant même la pandémie, et devrait encore progresser avec la crise du Covid-19 ». En mars dernier, au début de l’épidémie, Christine Lagarde a commis une bourde débutante à la tête de la BCE en déclarant que celle-ci n’avait pas pour « mission de réduire les spreads », c’est-à-dire l’écart entre le taux italien et le taux allemand de référence. Cela a immédiatement menacé de faire à nouveau exploser l’euro. La BCE a vite corrigé le tir et aujourd’hui contrairement à ce que dit François Villeroy de Galhau, l’Italie ne paye pas sa dette plus cher, mais moins cher qu’en début d’année.

La déclaration de François Villeroy de Galhau est par contre de nature à réinsuffler le doute sur la volonté de la Banque Centrale Européenne de maintenir ce cap. Et comme on l’a vu il n’y a rien de tel pour faire « perdre confiance aux marchés financiers ».

  • 2. François Villeroy de Galhau évoque la situation de la Grèce en 2010. L’expérience de la crise de 2008-2009 a montré les dégâts d’une politique monétaire trop restrictive menée au nom du respect des traités de la limitation des déficits et de l’absolue nécessité de rembourser sa dette quoiqu’il en coûte au nom de la confiance des marchés financiers. Le bilan a été désastreux pour les Grecs et pour toute l’Europe. L’historien Adam Tooze l’analyse avec beaucoup d’acuité : « S’ils voulaient alléger la pression, il suffisait à la BCE de faire ce que la FED (la Banque Centrale des USA), la Banque d’Angleterre ou la Banque du Japon faisaient systématiquement : acheter des obligations grecques. Mais la BCE n’avait pas l’intention de le faire, du moins pas jusqu’à la dernière minute. La BCE voulait faire passer un message : l’austérité ou sinon ! [...] En utilisant la Grèce comme exemple, une alliance de complaisance entre prophètes de malheur de la droite, entrepreneurs politiques conservateurs et les faucons fiscaux centristes a bouleversé l’équilibre politique. Bien que le chômage reste élevé, bien que la production ralentisse, les mesures de relance ont été abandonnées. Plus tôt et plus fermement que dans toute autre récession de l’histoire récente, on serrait la vis budgétaire. Ce qui a eu pour résultat, sur les deux rives de l’Atlantique, de freiner la reprise » [1]. Cette fois ce sera différent nous dit-on. On ne fera pas les mêmes erreurs. « Les leçons de la crise de 2008-2009 ont été tirées ». Pas par tout le monde semble-t-il… Et que le Gouverneur de la Banque de France fasse partie de ceux-ci n’étonnera que ceux qui ont oublié la diatribe anti-Grecs du groupe des Gracques dont il fut un des membres les plus actifs. Une clarification serait en tous cas utile sinon nécessaire. La déclaration du gouverneur de la Banque de France signifie-t-elle que la politique actuelle de la BCE pourrait être remise en cause si la France n’était pas suffisamment attentive à « la maîtrise des dépenses publiques ».
  • 3. Certes, le Gouverneur ne l’annonce pas pour demain. Mais il nous peint la réalité en rose en prétendant lire dans les enquêtes de conjoncture de la Banque de France que c’est en 2022 que nous aurons retrouvé le niveau pré-Covid. Il aurait dû, au contraire, acter toutes les incertitudes entourant cette prévision, tous les risques et toutes les raisons qui font que les choses pourraient être bien pire pour l’emploi, pour la situation sociale et même pour la croissance du PIB. Pour nous rassurer, nous, plutôt que les marchés financiers, il aurait dû dire toute la détermination de la Banque Centrale à faire face à la situation telle qu’elle évoluera aussi résolument que nécessaire. Le risque de déflation se précise en Europe constate l’économiste Philippe Waechter. Or, dans une telle situation, la politique monétaire ne peut pas tout faire. C’est la politique budgétaire qui doit être encore renforcée.

Un grand besoin de dépenses publiques

  • 4. L’annulation de la dette publique détenue par les Banques centrales nationales pour le compte de la BCE est possible juridiquement et serait utile économiquement, comme le plaident différents économistes, par exemple ici ou . L’annulation des dettes publiques concerneraient les dettes rachetées depuis 2015 par la BCE, soit 2320 milliards d’euros pour l’ensemble de l’UE, dont 457 milliards d’euros pour la France, à fin mai 2020. Et non pas les titres de dette publique détenus par les banques, les assurances ou les fonds de pension, ce qui déstabiliserait le système financier et appauvrirait les épargnants. L’argument de la confiance des marchés financiers ne tient pas. « Au lieu de faire rouler la dette pour payer ces anciennes dettes avec de nouvelles dettes, expliquent aussi Alain Grandjean et Nicolas Dufrêne, les États pourraient instantanément émettre une même quantité de dettes pour investir dans l’économie avec un ratio de dette/PIB inchangé. Les arguments sur le poids de l’endettement public transmis à nos enfants se verraient couper l’herbe sous le pied ».
  • 5. Au lieu de sonner à nouveau le tocsin sur les dépenses publiques excessives, le Gouverneur de la Banque de France et membre du Conseil de la Banque Centrale Européenne pourrait s’inquiéter de l’évasion fiscale, de la façon dont les grandes banques mondiales ferment les yeux sur les mouvements d’argent sale. Et il devrait évidemment s’inquiéter du fait que la politique monétaire de très bas taux d’intérêt, pour indispensable qu’elle soit, n’aide pas seulement le financement des déficits publics. Elle alimente les investissements financiers et fait battre des records aux indices boursiers, au lieu de sauver l’économie réelle et de favoriser les investissements qui permettront de changer de modèle de développement.
  • 6. Il est totalement illusoire de séparer « les dépenses Covid » des augmentations de dépenses de dépenses publiques qui ne seraient pas dues au Covid, et prétendre faire face aux premières pour mieux limiter les secondes. On ne sera pas revenu à la situation d’avant en 2022 même si les prévisions très optimistes de la Banque de France se réalise. Il y aura toujours un manque à gagner de richesse produite par rapport à ce qui se serait passé sans l’épidémie. Et dans quelle case mettre tout un ensemble de dépenses directement liées à l’épidémie, comme l’augmentation des dépenses de santé actées lors du Grenelle de cet été ?
  • 7. Le débat sur le fait que la France est recordman d’Europe du poids de la dépense publique sans que sa situation soit meilleure pour autant et le débat lié de l’efficacité des dépenses publiques méritent mieux que les affirmations péremptoires du Gouverneur. Il ne peut se réduire à l’objectif de diminuer la dépense. Si l’on veut comparer correctement les situations, il faut d’abord tenir compte de la façon dont sont comptabilisées les retraites et la santé. En France, certaines dépenses sociales sont plus fortes. La part du reste à charge pour les ménages en matière de santé est assez faible. Et surtout, la part des retraites par capitalisation est plus faible qu’ailleurs alors que celle-ci ne fait pas partie des dépenses publiques. Mais est ce que les dépenses de retraite et les dépenses de santé sont plus faibles pour autant ? Quel système de dépenses publiques limite le moins mal la pauvreté ? Comme le souligne Laurent Janneau dans Alternatives économiques, plusieurs études viennent confirmer que les prestations sociales contribuent à réduire la pauvreté et à corriger les inégalités de revenu. « Le pognon n’est pas si mal dépensé ».
  • 8. La crise de la Covid n’est pas une simple récession dont on sortira par un rétablissement progressif de l’économie. C’est un choc révélateur qui doit pousser à une transformation écologique et sociale du mode de production. La dépense et la finance privée, sont incapables de l’assurer. La dépense publique sera durablement nécessaire. Pour l’éducation, la formation, la santé, pour les reconversions, le changement des modèles de production et le déploiement de nouveaux secteurs. Mais cela ne se fera pas non plus sans une transformation profonde des structures et des critères de financement. Les projets et les activités ne doivent plus être soumis à des critères exclusifs de rentabilité financière à court terme. Les Banques Centrales et notamment la BCE devraient, elles-mêmes, se transformer profondément pour en être un des moteurs.

 

Bernard Marx

Notes

[1Adam Tooze : Crashed. Comment une décennie de crise financière a changé le monde. Les Belles Lettres, 2018

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