MAD MARX. Ce graphique publié par le FMI le 19 janvier fait partie des cinq graphiques accompagnant son rapport annuel sur la France.

La courbe en rouge du ratio dette publique/PIB s’écarte de la tendance (courbe en bleu), et passe de 100 à 120% entre 2019 et 2022. Elle est censée montrer le poids du quoiqu’il en coûte. Elle est également censée justifier le message principal de ce rapport. « La dette en France est élevée et nous pensons que le moment est venu d’élaborer et d’approuver un plan d’assainissement budgétaire crédible à moyen terme », a commenté le chef de la mission du FMI en France, Jeffrey Franks, lors de la parution du rapport. Tout est dit.
Un ratio réducteur
Sauf que ce graphique cache tout ou presque : à 120% du PIB, le poids de la dette française sera en réalité au niveau moyen des pays riches. Comme le montre un autre graphique publié par le FMI lui-même, un peu plus parlant que le précédent.

Outre, la montée progressive du ratio depuis les années 1980, et notamment l’impact considérable de la crise de 2008, ce graphique montre aussi que le ratio dette publique/PIB est en moyenne plus bas dans les pays émergents. Cela ne signifie pas forcément moins de problèmes, si les pays concernés s’endettent en devises et non en monnaie nationale.
Mais surtout, comme l’expliquent les auteurs du Précis d’économie citoyenne sur la dette publique, récemment publié [1] : « Rapporter la dette publique au PIB est réducteur ». Et c’est pousser à des politiques économiques opposées à celles qu’il faudrait mettre en œuvre.
Le quasi équilibre budgétaire « structurel » (c’est à dire censé prendre en compte la conjoncture économique) et la barre de 60% du ratio dette publique/PIB sont toujours les règles de base du pacte budgétaire de la zone euro. La crise du Covid a suspendu leur application.
Mais l’enjeu devrait être de les abandonner définitivement et de redéfinir en profondeur les règles de coordination des politiques budgétaires nationales et la coopération budgétaire à l’échelle européenne. Et évidemment la fiscalité fait partie du sujet.
Les auteurs du Précis d’économie citoyenne exposent trois raisons simples pour lesquelles le ratio dette/PIB ne peut être une bonne boussole des politiques budgétaires : d’abord, le niveau global des déficits et de la dette est aveugle sur le point crucial de savoir s’il s’agit d’une bonne ou d’une mauvaise dette. « Or le déficit public et la dette publique sont utiles et absolument nécessaires pour atteindre le plein emploi et financer l’impérative transition écologique. Ils sont en revanche néfastes lorsqu’ils sont le résultat de politiques fiscales réduisant la contribution des plus riches ».
C’est un premier point essentiel. Les politiques dites d’offre, c’est-à-dire des politiques censées faire ruisseler la richesse et l’emploi à partir de l’accumulation du capital privé et de la compétition entre Etats pour attirer les capitaux devrait être durablement révolu.
Elles restent le mantra du gouvernement et de ceux qui, comme l’ancien directeur du FMI et de la Banque de France Jacques de Larosière [2] continue d’utiliser ce ratio pour soutenir quelques idées, pas vraiment nouvelles, pour s’en sortir, soit :
- En finir avec l’augmentation continue de la dépense publique en France et réduire les effectifs de la fonction publique ;
- Repousser à 65 ans l’âge de la retraite et étendre enfin résolument le champ de la retraite par capitalisation ;
- Poursuivre le blocage du SMIC et la diminution des allocations chômage.
- Augmenter grâce à des apports publics le capital des entreprises privées et miser sur leurs investissements pour retrouver un dynamisme économique.
Une autre raison d’en finir au contraire avec la dictature du ratio dette publique/PIB est que la dangerosité d’un niveau d’endettement n’est pas un absolu. La dette publique peut devenir plus facilement insoutenable, si les Etats s’endettent en devise étrangère, si elles sont soumises aux décisions de marchés financiers libéralisés et si les Etats sont empêchés de prélever des impôts, par exemple sur les profits réalisés par les firmes multinationales opérant sur leur territoire. « Il n’y a aucun danger soulignent les auteurs du Précis d’économie citoyenne si cette dette est soutenue par la banque centrale, détenue par des résidents nationaux ou encore si la capacité à prélever l’impôt est établie ».
Plus ça monte et plus ça baisse
Enfin il faut en finir avec le traitement des États et des puissances publiques comme s’il s’agissait d’acteurs privés. Le propre des États est qu’ils ne remboursent pas leur dette. Ils la renouvellent à échéance. C’est ce qu’on appelle faire rouler la dette.
Dès lors, ce sont d’autres ratios et d’autres graphiques qui sont parlants, comme ceux qui mesurent l’évolution de la charge de la dette.
Le graphique ci-dessous élaboré par un ancien membre du Haut Conseil des finances publiques François Ecalle qui publie ses travaux sur le site FIPECO est parlant.

Il montre que si le poids de la dette mesurée par la PIB a surtout et durablement augmenté depuis 2008 (courbe rouge), la charge financière effective de la dette rapportée au PIB est constamment décroissante. Elle est légèrement inférieure à 1,5% contre plus de 3%, lorsque la dette publique pesait 60% du PIB (courbe en bleu). Et le roulement de la dette venant à échéance peut se faire avec des taux d’intérêts extrêmement bas (0,5% environ pour des emprunts à 50 ans). Les charges de la dette rapportée à son montant sont elles aussi en baisse constante (courbe en vert).
Le pied dans la porte
En réalité, le camp de ceux qui veulent débattre de la politique économique et du primat nécessaire des politiques budgétaires et des dépenses publiques à partir d’autres graphiques que le ratio dette publique/PIB est en train de s’élargir. Des économistes assez largement alignés dans les années ou les décennies précédentes sur les politiques néolibérales redécouvrent les vertus des politiques de demande effective. En France, la note que vient de publier le président de l’OFCE, Xavier Ragot, est à cet égard significative. « Pour un pays comme la France, écrit-il, le problème budgétaire n’est pas le déficit, ni la dette, mais le service de la dette publique ». Le point clé est que les taux d’intérêts « seront probablement faibles dans les dix prochaines années » et que cela ne tient pas, selon lui, seulement à la politique des banques centrales mais à l’ampleur de la demande d’épargne sans risque dans le monde. C’est pourquoi, il plaide pour un doublement du « plan de relance » français et pour une « initiative additionnelle concertée au niveau européen ».
Aux États-Unis les économistes très influents qui ont accompagné et conseillé les Présidents Clinton (Larry Summers) et Obama (Jason Furman) reprennent également cette nouvelle grille d’analyse [3]. Ils plaident maintenant pour une réévaluation de la politique budgétaire à l’ère des taux d’intérêts bas. Ils semblent avoir déjà une certaine influence sur la définition de la politique économique de Joe Biden que l’économiste plus radical James Galbraith, lui-même, apprécie, plutôt positivement.
La vision néo-libérale a tout fait pour cadenasser la politique budgétaire et fiscale. La porte est, semble-t-il, en train de s’entrouvrir ? Il est en tout cas urgent de pousser fort. En effet, il ne s’agit pas simplement d’obtenir une augmentation des dépenses publiques pour relancer la croissance du PIB, et permettre d’alléger progressivement le « poids de la dette publique ».
Comme le souligne Jean-Christophe Le Duigou, « l’octroi de crédits bancaires et l’attribution de dotations budgétaires doivent converger. D’où le rôle d’un "pôle financier public" pour amorcer une nouvelle gestion du crédit tournée vers des objectifs sociaux, économiques et environnementaux. D’où en même temps le besoin de dépenses publiques donnant la priorité au renforcement du service public et à la promotion du développement humain ».
C’est ainsi, rappelle-t-il, que l’on a éteint les dettes publiques après la guerre, c’est ainsi que l’on rebâtira un pacte social et productif.