« Et maintenant je vais vous parler d’un scorpion. Ce scorpion voulait traverser une rivière, alors il a demandé à la grenouille de le porter.
— Non, dit la grenouille, non merci. Si je te laisse sur mon dos, tu risques de me piquer et la piqûre du scorpion est mortelle".
— Où est la logique là-dedans ? demanda le scorpion. Car les scorpions essaient toujours d’être logiques. Si je te pique, tu vas mourir. Je vais me noyer.
Alors, la grenouille fut convaincue et laissa le scorpion sur son dos. Mais, juste au milieu de la rivière, elle ressentit une terrible douleur et réalisa que le scorpion l’avait piquée.
— « Logique ! » s’écria la grenouille mourante, avant de sombrer dans l’eau, emportant le scorpion avec elle. Il n’y a pas de logique là-dedans.
— Je sais, dit le scorpion, mais je n’y peux rien, c’est ma nature ».
Orson Welles : Mr. Arkadin (1955)
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L’OCDE a publié le 1er décembre ses prévisions économiques semestrielles. L’Institution économique internationale des pays capitalistes développés a l’œil rivé sur la croissance mesurée par le Produit Intérieur Brut. Rien de plus normal. C’est le thermomètre le plus utilisé et le plus consensuel du bon fonctionnement du capitalisme. Il est censé mesurer en même temps la dynamique de l’accumulation du capital qui est la véritable nature du capitalisme et l’amélioration du niveau de vie et le progrès social qu’elle est censée engendrer.
Et l’OCDE est inquiète. Non pas simplement de ce que « la reprise mondiale se poursuit, mais elle s’est essoufflée et des déséquilibres ont émergé ». Mais surtout, comme le dit la phrase qui suit, de ce que « l’incapacité à déployer rapidement et efficacement des campagnes vaccinales partout dans le monde coûte cher et l’incertitude demeure forte à mesure que surgissent de nouveaux variants ».
Laurence Boone, la cheffe économiste de l’OCDE précise dans son éditorial : « Notre première source d’inquiétude est un état sanitaire du monde polarisé entre le nombre de cas, les capacités hospitalières et le taux de vaccination. Dans le scénario le plus pessimiste, les poches de couverture vaccinale insuffisantes risquent d’offrir un terreau propice à l’émergence de nouveaux variants plus meurtriers qui, en se propageant, détruiront des vies humaines et détérioreront des conditions de vie. Même dans des scénarios moins sombres, de nouvelles flambées pandémiques pourraient limiter la circulation des biens et des personnes dans certaines régions ou empêcher le passage des frontières. Il en résulterait des conséquences durables sur les marchés du travail et les capacités de production, tout comme sur les prix ». Le problème c’est qu’on y est. Il faudra attendre encore quelques semaines pour que les scientifiques précisent la dangerosité du nouveau variant Omicron, mais le risque qu’il fait peser est déjà jugé très élevé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Le scénario le plus pessimiste est le plus réaliste. De plus, sans qu’il se soit encore concrétisé, la vague du variant Delta déferle sur l’Europe. Elle se propage d’est en ouest et la France n’en est pas vraiment protégée même si le taux de vaccination de la population est plutôt supérieur à celui de ses voisins de l’est. La carte interactive publiée par le New York Times est on ne peut plus parlante.
Comme l’explique Anne Sénéquier, co-directrice de l’Observatoire de la santé mondiale à l’IRIS, « quand on regarde l’historique de l’émergence des différents variants, l’Alpha au Royaume-Uni, le Bêta en Afrique du Sud, le Delta en Inde, etc., on a cette constante de population peu vaccinée. C’est de nouveau le cas en Afrique du Sud. Une autre particularité de ce pays est la prévalence du VIH, qui fait que la population compte beaucoup de personnes immuno-déprimées ».
Folie collective
Durs pépins de la réalité obligent, Le Monde analyse que la trajectoire du nouveau variant Omicron « montre, une nouvelle fois, que le virus ignore les frontières. L’équité dans la distribution et l’administration de vaccins est un gage crucial d’efficacité ». Et l’économiste Jean Pisani-Ferry, peu porté à la colère, tweete : « 120 millions de doses de vaccin de rappel administrées dans les pays riches (avant l’accélération de ce mois-ci) et seulement 60 millions de doses PRIMAIRES dans les pays pauvres. Ce n’est pas seulement injuste, c’est de la folie collective ».
Sauf que cela ne tombe pas du ciel.
Ce que Tedros Ghebreyesus, le directeur général de l’OMS, a qualifié d’« apartheid vaccinal » est inscrit dans la nature du capitalisme actuel. L’accumulation du capital et des profits reste « la loi et les prophètes » des firmes multinationales qui le dominent et tout particulièrement celles de la pharmacie qui profitent des pandémies mondiales, comme les industriels de l’armement avec les guerres. Pas question pour elles de considérer les vaccins comme des biens publics mondiaux. Dans le type de partenariats publics/ privés qu’elles imposent, les financements publics abondent, mais les brevets sont privés et garantis par l’Organisation Mondiale du Commerce.
Les contrats foisonnent de clauses secrètes, les prix et les profits sont exorbitants. L’enquête du Financial Times parue le 30 novembre est instructive : « Le fabricant américain de médicaments est à l’origine du produit pharmaceutique qui détient le record des ventes en une seule année. Pfizer prévoit que les ventes du vaccin atteindront 36 milliards de dollars en 2021, soit au moins le double de celles de son plus proche rival, Moderna. La capacité de Pfizer à accroître considérablement sa production en a fait de loin le fabricant de vaccins le plus dominant. En octobre, Pfizer détenait 80% du marché des vaccins Covid dans l’UE et 74% aux États-Unis. Depuis l’autorisation du vaccin à la fin de l’année dernière, les décisions de Pfizer ont contribué à façonner le cours de la pandémie. Pfizer a le pouvoir de fixer les prix et de choisir quel pays sera le premier dans un système de file d’attente opaque, y compris pour les programmes de rappel que les pays riches s’empressent maintenant d’accélérer. En fonction de ses décisions, des pays, des régions et même des continents entiers peuvent ouvrir leur économie ou risquer de prendre du retard dans la course au contrôle du virus. Bien que l’approvisionnement en vaccins des pays les plus pauvres se soit accéléré depuis septembre, les disparités mondiales sont criantes ».
Face au variant Omicron qui menace l’efficacité des vaccins actuels, Pfizer et Moderna, qui produisent les vaccins à ARN-messager se préparent déjà à en produire des variantes plus efficaces qu’ils disent être capable de réaliser en 6 à 7 mois. C’est prévu dans les contrats signés, explique dans Mediapart la journaliste Rozenn Le Saint : « Les États riches seraient alors, de nouveau, les premiers servis ; et les pays pauvres, où les variants émergent, encore les derniers à obtenir des vaccins qui y soient adaptés ». Injustices, et pandémie sans fins ? La course aux profits est vraiment une course folle.
Les brevets au cœur du système
Les brevets sur les vaccins sont au cœur du système. L’Inde et l’Afrique du Sud ont demandé, il y a un an, la levée des droits de propriété intellectuelle des fabricants. Cela leur permettrait de produire les vaccins et de participer à la vaccination mondiale indispensable pour juguler la pandémie. Il faut pour cela l’unanimité à l’OMC.
L’Union européenne, le Canada, la Suisse s’y sont opposés.
L’OMC devait en débattre à nouveau cette semaine. La réunion a été reportée sine die pour cause… d’émergence du variant Omicron ! Et les États du Nord ferment leurs frontières avec les pays d’Afrique australe leur infligeant une double peine. Sans que cela empêche la diffusion du nouveau variant. Il est déjà là et il circulera avec la stratégie « Vivre avec le virus ».
Le système COVAX fondé sur les dons des pays riches et des multinationales de la pharmacie géré par le partenariat public/privé international GAVI est censé garantir l’accès aux vaccins anti COVID. Les quantités sont terriblement insuffisantes. Selon le FMI, seulement 13% des vaccins achetés par COVAX et 12% des dons promis s’étaient matérialisés à la mi-novembre. L’Union européenne a promis d’expédier 100 millions de vaccins vers l’Afrique d’ici la fin de l’année mais seulement 5% de ces doses étaient réellement disponibles. Les promesses n’engagent que ceux qui y croient.
Mais en plus, soulignent les journalistes Maria Cheng et Lori Hinnant, « la plupart des doses distribuées par COVAX jusqu’à présent ont été le vaccin d’AstraZeneca, qui n’a pas encore été autorisé aux États-Unis et dont le déploiement chaotique en Europe a alimenté le sentiment anti-vaccin quand le produit a été associé à de rares formations de caillots sanguins. COVAX ne dispose que de minuscules quantités des vaccins les plus utilisés en Amérique du Nord et en Europe, ceux de Moderna et de Pfizer-BioNTech ». L’Alliance GAVI s’est elle-même récemment inquiétée « la perception que les pays riches se débarrassent de vaccins plus vieux ou moins efficaces dans les pays pauvres puisse miner tout le projet ».
Bref, la levée des brevets sur les vaccins, tests et traitements anti-covid est plus urgente que jamais. C’est la nature du capitalisme de s’y opposer. Il faut lui faire violence.
Bien évidemment que la levée des brevets vsur les vaccins serait une excellente nouvelle. Mais tout aussi évidemment, le capitalisme s’y oppose, c’est dans sa nature. Le problème central de cette planète est bien la concentration du capital et de la finance dans les mains et les têtes d’une minorité d’êtres humains.
Et tant que des populations entières, élites, politiques et peuples organises regarderont ailleurs , élites, politiques, alors il ne faudra pas s’étonner de l’effondrement des sociétés humaines. " L’ennemi est la finance " avait dit un candidat , ça reste aussi vrai que le scorpion pique la grenouille.
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