MAD MARX. François Hollande avait fait de l’inversion de la courbe du chômage sa priorité numéro un. « Nous devons y parvenir coûte que coûte », avait-il martelé lors de ses vœux télévisés du 31 décembre 2012. La promesse a servi de justificatif à la politique dite de l’offre du gouvernement socialiste, c’est-à-dire en fait de compétitivité par l’abaissement des « coûts » salariaux et des droits sociaux. Sans cesse renouvelée, jamais réalisée, l’inversion est devenue comme le symbole de l’échec du Président et de son empêchement à se représenter.
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Emmanuel Macron a plus de chance. La courbe du chômage est plus favorable. Ce n’est pas cela qui l’empêchera de se représenter. Au contraire. La pandémie n’a pas entraîné d’explosion du chômage. Et les feux de ce côté-là semblent être passés au vert. Le quoi qu’il en coûte macronien a été beaucoup plus efficace que le coûte que coûte hollandais. Au deuxième trimestre 2021, l’emploi salarié privé augmente de 1,2% et retrouve son niveau de fin 2019 nous dit l’Insee. Le nombre d’offres d’emplois diffusées sur pole-emploi.fr, qui agrège les principaux sites de recrutement, n’a jamais été aussi élevé, dépassant certains jours le million contre un rythme habituel de 5 à 700.000, nous disent Les Échos. Le problème de la rentrée, ce ne serait plus le chômage mais les difficultés à recruter, nous dit le Medef ou l’économiste Patrick Artus. Et, avertit ce dernier, cela concernerait non seulement la France mais toute l’Europe.
Un débat déjà cadenassé ?
De quoi canaliser le débat de la présidentielle vers la poursuite de la politique néolibérale autour d’un « choix » entre ses diverses versions de droite, de droite et d’extrême droite, mais avec, bien entendu, une prime à la poursuite de la version macronienne, dite du « en même temps ».
D’un côté la poursuite des coupes claires contre le code du travail ; la mise en œuvre sans délai de la réforme de l’assurance chômage qui en durcit les conditions d’éligibilité et les conditions de calcul des allocations ; la poursuite des allègements de « charges » sociales et fiscales pour les entreprises. Et l’extension sans fin des privatisations des services publics et du domaine du « New Public Management », qui conduit « à la banalisation de l’emploi public et à la suppression du droit spécifique de la fonction publique au profit d’un rapprochement graduel vers un droit commun du travail » [1].
Et, en même temps, des « efforts » seront demandés aux patrons pour qu’ils veuillent bien augmenter les bas salaires. Mais à leurs mains et en évitant, soigneusement, qu’il soit question d’augmenter le pouvoir d’achat du SMIC. Au contraire [2]. Des plans et des aides seront mis en avant pour « réindustrialiser », reconquérir la souveraineté française et européenne, « innover », investir dans les secteurs de la « croissance verte ». Mais toujours dans l’esprit du capitalisme financiarisé qui accepte l’intervention de l’Etat et de la puissance publique à condition que cela consiste toujours à mettre les financements et les investissements publics au service des profits privés. Et il y aura « le revenu d’engagement » pour les jeunes sans emploi sans formation et déjà exclu du système éducatif [3]. Histoire de montrer que le « Président des riches » sait aussi aider, paternellement, les jeunes en difficulté à traverser la rue pour trouver un emploi.
Tout dépend de la dépense publique
Au printemps 2021, les prévisions économiques misaient en général sur une reprise économique progressive et largement sans création d’emplois. Ainsi la Banque de France prévoyait un retour à la production d’avant crise courant 2022. En 2023, l’emploi salarié serait encore inférieur à son niveau d’avant crise. Et à cette date, le taux de chômage officiel resterait supérieur à 9%. Comment expliquer que les choses se passent mieux que prévu ? La crise covid a consisté en un confinement de l’offre et de la demande, mais comme l’expliquent les économistes du CEPII, grâce aux soutiens publics massifs, tant budgétaires que monétaires, la chute d’activité mondiale initialement prévue par le FMI à 4,9% pour l’année 2020 n’aura finalement été que de 3,2%. Globalement, les capacités de production et de demande ont été préservées. Les revenus des ménages ont été en moyenne préservés. Et en France notamment, jamais les taux de marge des entreprises n’ont été en moyenne si élevées.
La reprise post-déconfinements a pu avoir une certaine vigueur. Le principal facteur explicatif est donc l’ampleur des moyens publics mis en œuvre. Et justement, analyse le CEPII, les États n’ont pas tous eu la même capacité à financer les mesures pour compenser la paralysie de l’activité. Résultat, « les perspectives sont donc très contrastées, entre l’Asie en développement, dont le PIB par tête devrait en 2021 dépasser de près de 6% son niveau de 2019, les économies avancées, où il devrait être revenu à son niveau de 2019, et l’Amérique latine et l’Afrique subsaharienne, où il devrait lui être inférieur d’environ 5% et 4% ». Ce qui devrait alerter sur les risques et les fragilités de cette reprise aggravant les inégalités de situation dans le monde.
Sortir de la crise de l’emploi
Au reste l’amélioration de l’emploi est bien plus limitée que ne le prétend le gouvernement. 8% de taux de chômage selon la définition restrictive du Bureau International du travail, soit 2,4 millions de personnes. Cela reste considérable. Mais cela sous-estime pourtant assez sensiblement l’ampleur de la crise de l’emploi et son évolution.
Le nombre de personnes inscrites à Pôle emploi « tenues de rechercher un emploi » et sans emploi est supérieur de plus de 1 millions (3.510.500 personnes). Et cela ne mesure pas l’ampleur de l’uberisation, de la précarité des CDI à répétition et des emplois à temps partiel non volontaires. Pôle emploi recense les demandeurs disponibles qui exercent une activité réduite (catégories B et C). Soit 2.178.200 personnes au 2ème trimestre 2021. Au total 5.688.700 personnes. Près de 20% de la population active. Un chiffre qui recule beaucoup moins que celui du nombre des chômeurs au sens du BIT.
À quoi il faut ajouter 707.800 personnes inscrites à Pôle emploi qui ne sont pas tenues à rechercher immédiatement un emploi. Elles sont soit non immédiatement disponibles et sans emploi (par ce qu’elles sont en formation, en contrat de sécurisation professionnelle, ou maladie), soit parce qu’elles sont en création d’entreprise ou en contrat aidé. C’est souvent de l’emploi précaire, notamment les autoentrepreneurs. Or justement leur nombre est lui en augmentation. La baisse officielle du chômage est pour une bonne part due à un déversement vers l’auto-entrepreneuriat ou dans des procédures de contrat aidé ou de formations.
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Quant aux emplois non pourvus qui seraient devenus le principal obstacle à la poursuite de la reprise, comme l’explique l’économiste Nadine Lavratto, « la pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs n’est pas nouvelle. Et il ne se passe pratiquement pas une année sans que le chiffre fatidique des près de 300.000 emplois non pourvus ne soit agité par le patronat, le gouvernement ou la presse […] En 2019, déjà, 57 métiers étaient concernés par des difficultés de recrutement : ce sont les mêmes qu’aujourd’hui. » Sans compter, la montée progressive des difficultés de recrutement des soignants dans les hôpitaux publics et des enseignants dans l’éducation nationale.
La campagne patronale vient en soutien du gouvernement qui prétend appliquer la nouvelle réforme de l’assurance chômage, dès le 1er octobre. Au contraire, si problème de recrutement il y a, la réponse devrait être l’amélioration du travail, de la formation des conditions d’emploi et l’augmentation des salaires.
Plus généralement, la crise de l’emploi, en France est notamment marquée par le chômage élevé des jeunes, le faible taux d’emploi des seniors et la fréquence élevée du temps partiel involontaire et des contrats courts, la permanence des inégalités femmes/hommes. Les statistiques ne permettent pas de suivre leur évolution en temps réel. Mais, rien ne permet de dire que ça s’arrange.
D’autre part, et surtout, aucun des dérèglements du régime de développement, de croissance et de civilisation d’avant covid, n’a vraiment commencé d’être traité et encore moins résolu en France ou dans le monde. Certes, on voit émerger des changements dans la politique économique, aux États-Unis ou en matière de fiscalité des entreprises multinationales. Mais ces signaux significatifs, sont insuffisants, voire contradictoires. Ils sont loin d’avoir installé des transformations structurelles, sinon systémiques. En France et en Europe, tout particulièrement. Or ce n’est pas une croissance comme avant, qu’il faut mettre en œuvre ici et maintenant. Celle-ci resterait fragile, contradictoire, au risque de vite retomber ou de se retourner en crise économique et financière avec un resserrement de la politique monétaire et/ou budgétaire. La remontada de l’emploi n’aurait eu qu’un temps.
Il faut au contraire fonder une nouvelle politique qui vise explicitement à nouveau le plein emploi, sur l’urgence de la lutte en France et dans le monde contre le réchauffement climatique, la défense de la bio-diversité et la lutte contre les inégalités. Les forces politiques de transformation sociale et écologique arriveront-elles à imposer ce débat d’ici au printemps 2022 ? Je ne suis pas des plus optimistes. Mais, comme dit le poète : « Qui vivra verra le temps roule roule ».