Accueil | Chronique par Bernard Marx | 21 mai 2021

La retraite selon Jean-Hervé Lorenzi

Le président du très mainstream Cercle des Économistes s’est fait plaisir sur BFM Business : il faut réformer le système de retraites, car les retraités sont trop riches... Belle auto-critique ! (ou pas)

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MAD MARX. La Direction de la Recherche des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES) est, avec l’Insee, l’autre grand service public de la statistique en France. Elle a publié ce jeudi 20 mai son édition annuelle du panorama des retraites et des retraités. C’est, comme chaque année, une importante source d’informations sur les 328 milliards d’euros de pensions versées en 2019 (13,5% du PIB) aux 16,7 millions de personnes résidant en France ou à l’étranger, retraités de droits directs (c’est-à-dire sans compter celles et ceux qui ne bénéficient que de pensions de reversions).

 

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Nicolas Doze, l’animateur des « Experts » de BFM Business, n’en a retenu qu’une donnée : le niveau de vie médian des retraités est supérieur à celui de l’ensemble de la population. On lit effectivement dans le rapport, qu’en 2018, selon l’Insee, le niveau de vie médian des retraités vivant en France métropolitaine dans un logement ordinaire (hors institutions spécialisées) s’élève à 1850 euros par mois. Il est supérieur de 4,6% au niveau de vie médian de l’ensemble de la population, qui est de 1770 euros par mois.

La perche est lancée. Sur le plateau de BFM Business, Jean-Hervé Lorenzi la saisit avec empressement. Rappelons que Jean Hervé Lorenzi est président du très mainstream Cercle des Économistes, ancien conseiller économique de la Première ministre Édith Cresson, actuel membre de plusieurs conseils d’administration et qu’il « intervient régulièrement dans les médias ». « Il n’y a rien de nouveau sous le ciel de Normandie, explique l’économiste. Et il est clair que dans les bouleversements qui auront lieu, c’est pour cela que je suis convaincu que la réforme des retraites aura lieu d’une manière ou d’une autre et qu’elle fera partie du débat présidentiel ». Il est clair, martèle-t-il, « que quand on est à 107% du revenu moyen (en moyenne parce qu’il y a des retraités pauvres), il est clair que ça va bouger et que ça va se traduire par une réforme des retraites. Cela me parait frappé d’évidence ». L’éminent économiste confond moyen et médian. Il mélange aussi pension de retraite et ensemble des revenus. Mais ce ne sont que des détails.

L’énormité du propos n’est pas là, mais dans l’affirmation que cette donnée traduit une insoutenable injustice et qu’elle valide l’urgence de la réforme macronienne des retraites et son recyclage pour le prochain quinquennat.

Car cette réforme ne conduirait à aucune redistribution de revenus entre les actifs et les retraités actuels. Elle ne diminuera pas le revenu des uns et n’améliorera pas les revenus des autres. Rappelons que la réforme des retraites votée et suspendue ne modifiait la situation que pour les personnes nées après 1975.

Soulignons aussi que le rapport de la DREES établit que déjà, du fait des réformes passées, la pension moyenne des nouveaux retraités de 2019 (1401 euros mensuels) est en baisse de 3,4% par rapport à 2018 et que la baisse est en réalité constante depuis un sommet atteint en 2016. La pension moyenne des accédants est maintenant inférieure à celle de l’ensemble des retraités. Et l’on peut penser que ces évolutions se font en aggravant les inégalités entre retraités, et moins au détriment des catégories les plus favorisées.

[graphique à retrouver ici, page 68]

Il y a certainement beaucoup à débattre et à mettre en œuvre pour une politique de justice sociale et intergénérationnelle de sortie de crise Covid. Mais la réforme macronnienne des retraites est hors sujet, quoiqu’en prétende Jean-Hervé Lorenzi. Retarder l’âge de départ à la retraite alors que la lutte contre le chômage et le sous-emploi notamment des jeunes va être la priorité, n’arrangera rien.

Est ce à dire qu’il n’y a rien à faire d’urgence ? Certainement pas. Mais c’est évidemment du côté des retraités actuels et pour être précis, de certains d’entre eux, qu’il faudrait se tourner. Ce qui aurait du sens et de l’efficacité pourrait être :

  • un impôt de solidarité sur les revenus (et pas sur les seules pensions) des 10 ou 15% des retraités du haut de l’échelle
  • une taxation de leur patrimoine. Puisque comme on le sait la concentration des patrimoines s’accentue avec l’âge et notamment de ceux qui se sont enrichis durant la pandémie.
  • l’ouverture d’un débat sur la fiscalité des retraités propriétaires dont le revenu est par ailleurs supérieur à la moyenne.

Bref, l’effort de justice et de redistribution pourrait effectivement, ici et maintenant, concerner des baby-boomers retraités et privilégiés comme Jean-Hervé Lorenzi, au lieu de défendre les avantages acquis en prétendant s’attaquer à ceux des générations suivantes.

 

Bernard Marx

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