Accueil | Chronique par Bernard Marx | 21 septembre 2021

Le choc de la réindustrialisation

Dans la campagne de la présidentielle, sans bornes ni vergogne, qui s’annonce comme un dramatique symptôme de la crise du politique en France, la réindustrialisation et la souveraineté feront, visiblement, partie des figures imposées. Arnaud Montebourg espérait peut-être en faire sa marque. Mais comme disent les économistes, il n’y a pas, sur ce marché, de barrière à l’entrée.

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MAD MARX. La rentrée politique a été, à cet égard, assez spectaculaire. À commencer par Emmanuel Macron, qui pratique en ce domaine, comme dans tous ceux qui marquent l’échec de sa politique, en enjolivant le bilan et en doublant la mise pour le prochain quinquennat. Il pilote, lui-même, la préparation du plan d’investissement « France 2030 », troisième étage de la fusée « France Relance », qu’il dévoilera courant octobre. En attendant le Premier ministre Jean Castex et la ministre déléguée à l’Industrie Agnès Pannier-Runacher font la promotion des prétendus succès du plan de relance et le teasing des annonces futures : « Après des années de désindustrialisation, les choses sont en train de changer. Je suis au travail pour mettre en œuvre un choc de réindustrialisation » , proclame celle-ci. « Sous l’impulsion du président de la République, nous sommes tout simplement ensemble en train de nous donner la volonté et les moyens de ce qui pourrait bien être la cinquième révolution industrielle de notre histoire », prétend modestement celui-là.

 

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La remontada de l’emploi

 

À gauche, Fabien Roussel s’inscrit dans la filiation du « produire français » de Georges Marchais. Arnaud Montebourg fait de l’industrie la première des remontadas qui servent d’étendard au lancement de sa campagne. Jean-Luc Mélenchon n’y a pas fait récemment d’allusion marquante. Et il n’a pas inscrit le mot dans le programme « L’avenir en commun ». Mais il y met la chose. Tout le contraire d’Anne Hidalgo qui, dans son discours de candidature de Rouen, prononce timidement le mot mais sans y mettre la chose. Et Yannick Jadot ne s’y trompe pas. Il veut, lui aussi, occuper le terrain de la jonction de l’écologie et de l’avenir des classes populaires et affirme à Maël Le Goff, secrétaire CGT de la Fonderie de Bretagne : « On a besoin de construire une politique de souveraineté industrielle à l’échelle européenne et française en investissant dans des processus de production sobres, peu émetteurs de CO2 ».

À droite, Valérie Pécresse ne veut pas être en reste avec Xavier Bertrand qui, dès le printemps dernier, a affirmé : « Notre priorité est la réindustrialisation » et proposé la suppression complète des impôts dits de production. Débattant avec Fabien Roussel à la Fête de l’Humanité, la candidate à la candidature a, elle aussi, affiché : « Il faut réindustrialiser, c’est une question de souveraineté. Certains d’entre vous pensent qu’il faut produire moins, pour la planète. Mais il faut produire plus et mieux, en faisant la transition écologique, et en payant mieux ceux qui produisent. » Et si, dans son discours de rentrée politique à Fréjus, Marine Le Pen est restée muette sur ce sujet, c’est qu’elle a surtout cherché à placer sa candidature sous la bannière d’une conception extrême droitière et de la liberté. En réclamant par exemple la privatisation du service public de l’audiovisuel et la baisse des droits de succession. Mais on ne saurait espérer qu’elle laisse durablement libre le terrain de ce débat.

Une véritable catastrophe

Apparemment, donc, le consensus règne sur la catastrophe que constitue la désindustrialisation progressive de la France depuis au moins quatre décennies. L’épidémie du covid a été le révélateur dramatique de la grande faiblesse de l’appareil productif français et de son insoutenable dépendance en cas de crise. Partagé par toute la population, le constat est devenu politiquement incontournable.

La catastrophe de la désindustrialisation est cependant encore plus large que cela. Elle marque un affaiblissement spécifique du pays. La France fait bien pire que l’Allemagne, mais elle fait aussi moins bien que l’Italie ou que l’Espagne. Et la désindustrialisation génère des maux en chaîne au cœur de la crise économique, sociale et politique à la française.

L’économiste Patrick Artus qui, lui aussi, fait de la réindustrialisation « le problème central de politique économique de la France », résume cela en une phrase : « La désindustrialisation de la France depuis le début des années 2000 [1] a conduit à la destruction d’emplois qualifiés, à l’appauvrissement des territoires autrefois industriels, à la dégradation structurelle du commerce extérieur, au freinage du progrès technique et de la productivité, donc de la croissance de long terme [2]. » Le chapitre sur les inégalités du rapport la Commission « d’experts » nommée par Emmanuel Macron [3] souligne, lui aussi, l’importance économique, sociale et politique de la question de la disparition des emplois de qualité.

Au reste, le chapitre, rédigé par les économistes Dani Rodrik et Stéphanie Stantcheva, « n’est pas Medef et Macron compatible ». Il n’est pas non plus soutenu par les maîtres d’œuvre du rapport, Jean Tirole et Olivier Blanchard, souligne l’économiste Henri Sterdyniak qui avec ses collègues atterrés Jean-Marie Harribey et Gilles Rotillon font une très utile analyse du rapport Blanchard-Tirole.

Dans son discours de candidature de Clamecy, Arnaud Montebourg stigmatise, à raison, la responsabilité de celui qui lui avait succédé au ministère de l’Industrie et avait si tôt arrivé vendu Alstom à General Electric [4]. Cela n’empêcha pas Emmanuel Macron de faire de la reconquête industrielle l’un des thèmes de sa campagne de …2017. C’est ici. Et cela vaut le coup de s’y reporter pour se rappeler que l’objectif industriel lui servait de justification à une politique conjuguant la baisse des impôts sur la propriété, le capital et les profits ; l’allègement des « coûts » salariaux, des « charges » sociales, et des « rigidités » administratives ; les aides et les subventions sans contreparties ; l’évolution des rapports publics/privés notamment dans les financements de la recherche et l’illusion de la start-up nation. Sans oublier la fausse promesse d’une action résolue en faveur d’un protectionnisme européen – « Demain, nous ferons de la protection de l’industrie européenne un axe majeur de la réinvention de l’Union ».

Sauf que cette politique fait partie du problème et pas des solutions. Patrick Artus lui-même le reconnait : « La baisse du coût salarial a un coût massif en pouvoir d’achat, en demande intérieure, en croissance […] la "course vers le bas" de la pression fiscale, comme on le voit clairement pour la taxation des profits des entreprises est violemment critiquée aujourd’hui, car elle finira par entamer la capacité des États à avoir des ressources suffisantes ». Ce n’est pas pour autant que l’on a changé de cap [5] et que cela ne restera pas la substantifique moelle des programmes de réindustrialisation façon Emmanuel Macron, ou façon Valérie Pécresse ou Xavier Bertrand.

En fait si la désindustrialisation à la française a plusieurs causes imbriquées [6], il faut souligner que cette politique est en réalité structurée par la stratégie spécifique de multinationalisation des grandes entreprises françaises très financiarisés, plus encore que leurs voisins allemands. Leur stratégie d’insertion dans la mondialisation des chaînes de valeur est particulièrement négative. Les multinationales industrielles françaises délocalisent à marche forcée la production elle-même. Comme le souligne l’économiste Gabriel Colletis : « Cela génère une perte de lien entre les grands groupes et le tissu productif en France. Et cette perte de lien entraîne des pertes de parts de marché à l’exportation et une ultra-dépendance aux importations, non plus seulement pour les machines-outils, mais aussi maintenant pour les consommations intermédiaires et pour les consommations finales des ménages ». [7]

Et les moyens de la dépasser

On aurait pu espérer que, dans cette situation, les forces de transformations sociales et écologiques organisent partout en France un diagnostic partagé et qu’elles cherchent à élaborer une vision commune d’une stratégie de réponse. Il n’en sera, sans doute, rien. Des initiatives comme les Assises de l’Aviation organisées à Toulouse et à Paris restent des exemples très isolés. Ce n’est pas une vague. Cela ne fait pas encore un Mouvement. C’est dommage et dommageable.

En étant articulée aux urgences écologiques, sociales et démocratiques, la question d’une indispensable politique de réindustrialisation pourrait être posée dans toute sa portée transformatrice du système de production et de consommation. Les enjeux qui devraient alors occuper le devant de la scène politique seraient notamment [8] :

  • de réindustrialiser non pas pour continuer de produire des objets à l’obsolescence programmée, toujours plus producteurs de pollution, de gaz à effet de serre et prédateurs des ressources limitées de la nature, mais produire des objets qui doivent être beaucoup plus durables, réparables, inter-communicables. Et qui répondent aux besoins et au désir de vivre bien sa vie sans inflation des désirs, multiplication des frustrations et des différenciations sociales ;
  • de produire sans exacerbation de la division du travail, et recherche sans fin de la baisse des coûts par l’intensification du travail, l’allongement des chaines de valeur, la multiplication des chaines de sous-traitance mais par les circuits courts, la territorialisation des écosystèmes, en redonnant sens au travail, à la créativité et aux coopérations.
  • de planifier vraiment, au lieu du commissariat au plan macronien qui ne sert à rien, pour recréer une véritable vision industrielle et un projet collectif partagés, définir les filières stratégiques, réinscrire l’industrie dans le temps long de l’investissement et du développement des capacités humaines ;
  • de combattre la financiarisation des grands groupes. Et d’utiliser pour cela les armes de la fiscalité, du conditionnement des aides et des subventions, de l’extension des droits d’intervention des salariés dans les gestions et les conseils d’administrations.
  • de faire bifurquer l’innovation et l’écosystème de l’innovation vers ces transformations de la production et de la consommation ;
  • de fonder « l’attractivité » économique de la France et de ses territoires, non plus sur la course au moins disant fiscale et aux subventions, mais sur la qualité des écosystèmes territoriaux ;
  • de donner beaucoup plus de poids et de pouvoirs aux dimensions territoriales, locales et régionales de politiques de réindustrialisation ;
  • de porter le fer sur la politique européenne pour desserrer la contrainte écrasante des règles de la concurrence libre et non faussée et des contreparties austéritaires et néolibérales du plan de relance européen « Next Generation EU » de 750 milliards d’euros.

 

Bernard Marx

Notes

[1Faire démarrer la désindustrialisation de la France au début des années 2000 est réducteur. Dans sa contribution au livre Le Nouveau monde. Tableau de la France néolibérale, qui vient de paraître aux éditions Amsterdam, le professeur d’histoire Xavier Vigna situe plus justement dès les années 1980. Evènement charnière, l’annonce de la liquidation de la sidérurgie à Longwy date de 1979. Et le début de l’accélération de la désindustrialisation française notamment par rapport à l’Allemagne et aux autres pays européens remonte aux années 1990.

[2On peut très bien partager ce diagnostic sans faire de « la croissance de long terme » le critère de la réussite d’une politique économique.

[4« La semaine dernière, parce que les élections approchent, le président de la République vient d’ordonner à EDF de racheter les turbines d’Alstom aux américains de General Electric […] Racheter ce qu’on a vendu ? Quelle vision ! Quel génie stratégique ! Quelle intelligence nationale ! Mais surtout quel gâchis ! »

[5Cf. la baisse des impôts « de production ».

[6Beaucoup soulignent, à juste titre, qu’elle faisait partie de la vision « progressiste » des « élites » françaises et d’une prétendue modernité consistant à évoluer de la domination du secteur primaire (l’agriculture) à celle du secteur secondaire (l’industrie) puis à celle du tertiaire (les services).

[7Un rapport de la direction du Trésor publié en septembre 2020 sur les stratégies internationales des entreprises françaises analyse lui-même que « la France se caractérise par un niveau élevé d’investissements directs à l’étranger (IDE), dont les dividendes reçus compensent en partie la dégradation de notre balance commerciale. Cela reflète une perte de compétitivité dans les années 2000, notre positionnement moyen en termes de niveau de gamme, notre structure de production riche en grandes entreprises capables d’investir à l’étranger et certains facteurs culturels. Le développement de ces IDE a pu contribuer à un recul de la valeur ajoutée produite en France, contrairement à l’Allemagne, où les IDE suivent davantage une logique de fractionnement du processus de production, en conservant les segments à plus forte valeur ajoutée sur le territoire national, compatible avec une hausse de la production et des exportations ».

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