MAD MARX. Interrogé par RTL sur une éventuelle contribution exceptionnelle des plus riches en matière de Covid-19, François Bayrou, dont la fonction de Haut-Commissaire au Plan s’ajoute à la liste des choses qui ne servent à rien, a répondu dans un premier temps de façon pour le moins évasive : « Tout peut être imaginé de cet ordre-là. Il y a toujours eu des impôts. C’est même le travail du Parlement ». Mais il ne s’agit surtout pas pour lui d’en discuter sérieusement et d’envisager, si peu que ce soit, l’annulation des décisions prises par Emmanuel Macron en faveur des favorisés et des plus riches.
Le socle électoral et social d’Emmanuel Macron est construit sur une certaine alliance des classes supérieures et de classes moyennes. Elle est fragilisée par les conséquences de la crise sur ces classes moyennes et notamment sur les jeunes qui en sont issus et qui le plus souvent n’appartiennent pas à « l’élite » des classes préparatoires et des grandes écoles.
LIRE AUSSI SUR REGARDS.FR
>> Comment qualifier la politique économique d’Emmanuel Macron ?
Dans ce contexte, la question de la fiscalité est particulièrement sensible dans la fabrique ou la déconstruction de cette alliance. Rien de tel à cet égard que de faire croire qu’une solidarité réclamée aux plus riches, qui se sont encore enrichis dans la crise, ne pourrait que manquer sa cible et frapper surtout les classes moyennes. Et c’est bien sur ce clou que François Bayrou a immédiatement voulu taper. « Il faut savoir ce qu’on appelle les plus riches, parce que vous êtes parmi les plus riches », a-t-il lancé à son interlocuteur Benjamin Sportouch encore jeune chef du service politique de RTL. « Et moi aussi », a-t-il ajouté, en s’incluant parmi les représentants des classes moyennes.
À partir de combien est-on riche selon vous, a voulu savoir Benjamin Sportouch en évoquant la barre de 4000 euros de revenus énoncée par François Hollande en 2012. C’était lorsque celui-ci cherchait à se faire élire sur le socle social et électoral classique de la gauche, d’une alliance entre classes populaires et certaines composantes des classes moyennes. L’on sait ce qu’il en est advenu... « 4000 euros, pour moi c’est classe moyenne », a proclamé le Haut-Commissaire.
Le propos a fait le buzz et suscité la polémique. Notamment, chez les dirigeants socialistes qui ont dû voir là une occasion peu coûteuse de se différencier de la Macronie. François Bayrou s’est empressé de signer et persister dans un message vidéo publié sur Facebook.
Les riches infirmiers !
« J’ai dit que 4000 euros de revenus en France c’était classe moyenne. Et je le prouve, a-t-il fanfaronné. Un couple d’infirmiers à l’hôpital gagne ensemble entre 4500 et 5000 euros. La retraite moyenne d’un enseignant est de 2600 euros par mois. Un couple d’enseignants à la retraite gagne donc plus de 5000 euros par mois. »
S’agissant des infirmier.es François Bayrou mélange allègrement salaire brut et salaire net. Et s’agissant des enseignants retraités il prend le cas de deux enseignants à la retraite moyenne. Comme si c’était la moyenne des cas. Mais on ne va pas chipoter pour si peu. Qui peut prétendre qu’un couple d’infirmiers à l’hôpital ou un couple d’enseignants à la retraite ce sont des riches ? « Évidemment c’est stupide, commente François Bayrou. Et, renchérit-il, même un cadre dans une entreprise de la région qui gagne 3500, 4000, 4500 euros et parfois plus, je ne vais pas prétendre qu’ils sont riches. » Ce n’est pas seulement stupide, c’est, selon lui, insultant.
« Parce que derrière le mot riche, il y a une accusation de privilège qu’on connait bien dans notre pays. Il s’agit de stigmatiser et au fond de dire que c’est eux qui doivent payer l’ensemble des charges que nous avons ». La manœuvre est au fond assez clair. Elle est vieille comme le Grand patronat qui s’abrite volontiers derrière le Petit pour réclamer moins d’impôts et moins de règles sociales.
En semant la confusion, en mélangeant tout et en racontant n’importe quoi, il s’agit d’imposer l’idée qu’il ne faut surtout pas augmenter certains impôts. Une politique de justice fiscale frapperait en fait les couches moyennes et même les salariés du front éducatif et sanitaire pourtant si peu payés. L’intérêt bien compris de ces catégories serait donc de continuer de s’allier aux plus riches dans la défense des privilèges fiscaux si bien consolidés par Emmanuel Macron.
La barre de 4000 euros est-elle la bonne ? Cela se discute. Mais une chose est sûre. Il ne s’agit certainement pas du revenu total des ménages indépendamment de leur composition et de leur situation de logement. Deux infirmiers gagnants chacun 2000 euros ne font pas un ménage de riches. Pas même de couche moyenne s’ils ont des enfants.
L’observatoire des inégalités a pour sa part fixé la barre des « riches » à deux fois le niveau de vie médian. A l’inverse de la barre de la pauvreté fixée à 50 ou 60% du niveau de vie médian. C’est sans doute un peu arbitraire, mais cela donne une idée. Et la barre n’est pas très éloignée de celle des ménages aisés fixée par l’Insee. Mais le niveau de vie, ce n’est pas le revenu des ménages. C’est le revenu par individu vivant dans un ménage une fois qu’on a enlevé les impôts sur le revenu et que l’on a ajouté les prestations sociales. Ainsi déterminée, la barre des riches serait d’environ 3500 euros pour une personne seule, 5000 euros pour un couple sans enfant et 7500 euros pour un couple avec deux enfants. Et, selon l’Observatoire des inégalités, les riches en France ainsi définis, seraient environ 5 millions, soit 8% de la population. Le couple d’infirmiers évoqué par François Bayrou n’en fait bien entendu pas partie même s’il n’a pas d’enfants. Et pas non plus le couple de retraités moyens de l’enseignement, car les 5200 euros généreusement attribués par François Bayrou ne sont pas nets d’impôts et de CRDS.
En outre, l’évaluation du seuil de richesse par le niveau de vie n’est certainement pas le seul critère qui devrait entrer en ligne de compte. Il faudrait aussi considérer le patrimoine, le lieu d’habitation, les liens sociaux et de pouvoirs. Sachant qu’en général ces différents facteurs de richesse se cumulent.
Et il faut évidemment considérer le monde qui sépare les riches et les très riches. « En moyenne, explique l’Observatoire des inégalités, les personnes situées entre les 10% et le 1% les plus riches ont un niveau de vie équivalent à 5000 euros par mois avant impôts. Le 1% le plus riche reçoit près de 15.000 euros en moyenne. Quant aux ultra-riches habitués des classements des magazines, leurs revenus dépassent un million d’euros par mois pour une poignée de "grands patrons" et de stars du football. »
Openbar à l’OpenLux
Le jour même où François Bayrou publiait « sa mise au point » sur Facebook, Le Monde commençait la publication de l’enquête OpenLux qui éclaire à nouveau le rôle du Luxembourg et la manière dont les milliardaires et les grandes entreprises utilisent ce paradis fiscal installé au cœur de l’Union européenne pour échapper à l’impôt. La France y tient la première place en nombre de sociétés offshore (17.000). Selon l’enquête du Monde, près de 15.000 Français possèdent des sociétés au Luxembourg. Ils sont plus nombreux que les Italiens et les Allemands réunis, et plus nombreux que les Luxembourgeois eux-mêmes. « On y trouve, précise Le Monde, des grands patrons et leurs entreprises, des médecins et des collectionneurs d’art, des footballeurs et des producteurs de cinéma, des consultants et des pilotes de moto, des écrivains et de riches héritiers, des propriétaires fonciers et des figures de la « start-up nation », des dirigeants de PME et des arnaqueurs professionnels. Leurs points communs : de l’argent à faire fructifier et le goût de la discrétion ». Les plus riches parmi les très riches, y ont, si l’on peut dire, table ouverte. Parmi les 50 familles les plus riches de France, 37 ont une présence au Luxembourg. Ces familles détiennent à elles seules 535 sociétés luxembourgeoises qui détiennent au moins 92 milliards d’euros d’actifs. Et lorsque la député européenne Manon Aubry essaye le 20 janvier dernier de faire voter un amendement pour inscrire le Luxembourg sur la liste européenne des paradis fiscaux, son amendement est rejeté « grâce » à l’opposition de tous les députés européens macroniens, sauf l’ancien Vert Pascal Durand.
Et comme de bien entendu, le Haut-Commissaire enterre le sujet. Il préfère la vieille tactique du rideau de fumée sur la spoliation des couches moyennes. L’argument ne brille pas par sa nouveauté. Déjà en 1907, au moment du débat sur la création de l’impôt progressif sur le revenu, Maurice Colrat de Montrozier, futur fondateur de l’Association des classes moyennes avait dénoncé un projet qui « porterait atteinte à la liberté individuelle, ruinerait le commerce et l’industrie et, par son caractère progressif, pourrait constituer aux mains des socialistes, un véritable instrument de spoliation ».