Accueil | Chronique par Bernard Marx | 1er décembre 2020

« Paye tes dettes ! » : la vieille chanson du néo-libéralisme

La question de la dette publique et tout ce qui va avec sera très certainement l’une des thématiques essentielles des prochains mois et de la prochaine élection présidentielle. Une grande partie de la gauche s’en préoccupe dès maintenant. Elle a bien raison.

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MAD MARX. La crise sanitaire n’est pas terminée. L’espoir que des vaccins y mettent fin d’ici quelques mois se conjuguent au risque d’un apartheid vaccinal mondial. La crise sociale étend ses ravages. La crise économique n’est certainement pas résolue. Au contraire, les risques d’effets en chaîne négatifs sont aggravés par le deuxième confinement.

Chacun sait que les enjeux vont être considérables. La question de la transformation systémique de l’économie et de la société toute entière sera forcément posée. Comme gouverner c’est prévoir, ceux qui sont aux pouvoirs fourbissent leurs armes pour tenir bon sur le cap de la politique néolibérale et d’un monde d’après comme le monde d’avant, mais en pire.

 

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L’économiste atterré Jean-Marie Harribey a lancé récemment l’alerte avec raison dans Politis : « Chassez le libéral, il revient au galop ». Le retour à l’ordre s’organise, explique-t-il, et son arme favorite semble bien être à nouveau la question de la dette publique.

Elle a déjà servi après la crise financière de 2008 et la grande récession qui a suivi. Elle semble prête au réemploi, alors même que ses conséquences ont été, comme chacun le sait désastreuses là où elle a été la plus utilisée, c’est-à-dire en Europe. Mais malgré cela, et peut être parce qu’il n’a pas d’autre levier économique à sa disposition, le gouvernement s’apprête à la brandir à nouveau.

Emmanuel Macron a parlé le 24 novembre « d’inventer un nouvel avenir français », mais, en même temps, il n’a pas oublié la leçon du Duc d’Elbeuf. La semaine précédente dans un entretien fleuve au site Le Grand Continent, le Président avait déjà évoqué « le consensus de Paris » ayant vocation à refonder un capitalisme « financiarisé », « surconcentré », « incapable de gérer les inégalités » et arrivé à « un point de rupture  ». Et, en même temps, il avait tenté de justifier l’impossibilité de changer de politique ici et maintenant en prenant l’histoire révolutionnaire du 20ème siècle à témoin : « Aussi vrai que le socialisme n’a pas marché dans un seul pays, la lutte contre le fonctionnement du capitalisme est inefficace dans un seul pays ». Comme le relève Romaric Godin, le repoussoir de Staline sert de justification douteuse à toute la politique d’Emmanuel Macron. « Tant que tout le monde ne change pas le capitalisme, il faut continuer à faire comme avant : se lancer dans la concurrence fiscale, ne pas freiner la liberté de circulation des capitaux, proposer des impôts proportionnels… C’est bien ce même Président Macron qui parlait le 14-Juillet de "modération salariale" et encore récemment qui refusait de relever le RSA pour "inciter au travail"  ». À quoi l’on peut ajouter que dans le même entretien, le Président proclame « sa conversion à l’écologie » (sic) et qu’en même temps, il réduit comme une peau de chagrin les préconisations de la Conférence Citoyenne pour le Climat.

La sottise du ministre Dussopt

Le gouvernement veut donc « remettre la dette Covid au cœur des débats ». Le ministère de l’Économie a annoncé le 24 novembre la création d’une nouvelle Commission chargée de réfléchir « à la trajectoire des finances publiques » et aux outils à mettre en place pour rembourser la créance publique. Car c’est le mantra du gouvernement. Et ce sera celui de la Commission qui doit remettre ses conclusions au début de l’année. Sa composition ne laisse planer aucun doute à ce sujet. Il y aura là, l’ancienne patronne du Medef, Laurence Parisot ; l’ancien directeur de la Caisse des Dépôts sous Chirac, passé à la direction d’ADP sous Hollande, Augustin de Romanet ; l’ex-ministre de Chirac Jean Arthuis ; l’ex-ministre de la Santé de Hollande, Marisol Touraine. Il y aura aussi le directeur de l’INSEE Jean Luc Tavernier et l’économiste Suisse et Italienne Beatrice Weder di Mauro, ancienne conseillère de Gerhard Schroeder et d’Angela Merkel et actuelle membre du Conseil d’Administration de la banque suisse UBS, première banque mondiale de gestion de fortunes.

« On vit une situation particulière avec une dégradation massive des finances publiques qui est la conséquence, assumée et logique, de la réponse que nous avons donnée à la crise Covid […] Laisser penser qu’on peut ne pas rembourser cette dette est un débat d’illusionnistes, une méconnaissance totale de la manière dont l’État se finance. Les Français sont pleins de bon sens, ils savent que lorsqu’ils empruntent de l’argent à un ami, ils doivent le rembourser », a justifié le ministre Olivier Dussopt, délégué aux comptes publics, à l’origine, parait-il, de l’idée de cette Commission.

Toujours le 24 novembre, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a raconté la même antienne sur les ondes de France Culture. Il y a ajouté celle du fardeau, « du sac à dos beaucoup trop lourd que nous transmettons aux jeunes », un mauvais argument bien déconstruit par Jean-Marie Harribey : « Nous ne transmettons pas seulement une dette à nos enfants mais aussi un actif matériel et culturel (infrastructures, système éducatif et de santé). Les titres de dette sont simultanément des titres de créances et l’important est que la dépense publique soit un investissement utile et que la fiscalité soit juste pour que, s’il y a remboursement, il ne soit pas acquitté par les pauvres pour les riches ». Mais ajoute l’économiste, « l’État n’ayant pas d’horizon fini, il ne rembourse en fait jamais sa dette, il la renouvelle et paie des intérêts qui doivent être le plus bas possible, ce qui est le cas aujourd’hui ».

Le compte de Noël du gouverneur

C’est donc fort, si je puis dire, de tels arguments que le gouverneur décrit l’avenir radieux du désendettement. Un vrai compte de Noël... Il faudra agir, dit-il, dès que l’on aura retrouvé le niveau d’activité pré-Covid, « en 2022, peut-être un petit peu plus tard, parce qu’il y a beaucoup d’incertitude économique ». Le gouverneur reste campé sur l’idéologie de la reprise en V juste retardée par la deuxième vague. Il ne veut pas voir toutes les réactions en chaîne sociales économiques et financières des faillites, des plans sociaux et de la montée du chômage. Même si l’on retrouvait le niveau de l’avant- Covid en 2023 pour la production, ce ne sera certainement pas la même chose pour l’emploi, le chômage, la pauvreté et les inégalités.

« Si à ce moment-là on commence la stabilisation de nos dépenses publiques en 10 ans, on diminuerait ce ratio de dette par rapport au PIB de 20 % ». Il dit cela sans mollir le gouverneur, mais sans non plus dévoiler le détail de ses chiffres. Car cela rappelle évidemment toutes les prévisions foireuses mais intéressées sur la Grèce qui n’allait pas non plus s’appauvrir en remboursant ses dettes.

Dix ans de stagnation des dépenses publiques non seulement cela ne sera pas selon lui l’austérité « beaucoup de nos voisins ont réussi cela » – mais cela peut être tout à fait compatible avec la construction d’une « économie meilleure », c’est dire « verte », « digitale » (« et ça, dit-il sans rire, ça veut dire plus de libertés, y compris pour nous tous ») et plus « qualifiée ». Mais là le gouverneur s’embrouille nettement dans sa démonstration. Car comment l’État doit-il faire pour impulser cette reconstruction de l’économie sans dépenser plus ? Comme il faudra dit-il investir plus il faudra augmenter la pression sur les « dépenses de fonctionnement ». Or les dépenses de fonctionnement ce sont les achats de matériels et les dépenses pour l’emploi, la formation et les salaires. Dans les hôpitaux on aurait, peut-être, plus de lits, mais toujours pas de masques et encore moins de personnels et toujours aussi mal payés. Et pareil pour l’Éducation, la Recherche, la mutation écologique…

En fait, la comparaison avec ce que d’autres ont réussi à faire dans le monde d’avant ne tient pas. Le besoin de dépenses publiques et pas seulement d’investissement public va être durable : pour soutenir la demande et sortir le mieux possible de la pandémie et pour réaliser sur la durée une transformation sociale et écologique de l’économie et de la société.

Le piège du cantonnement

En fait le gouvernement a déjà sa solution technique. Ce sera le « cantonnement ». Bruno Le Maire l’a évoqué dès juin devant les députés : « Nous rembourserons la dette Covid en la cantonnant et en la séparant des 100 points de la dette initiale. Nous adopterons, ainsi, la même stratégie que pour la dette sociale qui a été cantonnée dans la caisse d’amortissement de la dette sociale – la Cades – et qui sera remboursée d’ici 2033 ». Selon l’économiste Anne Laure Delatte intervenant le 28 novembre dans un débat sur la dette organisé par l’Institut Veblen et le journal Alternatives économiques, il ne fait aucun doute que la Commission d’experts avalisera bien cette solution et que c’est bien pour cela qu’elle a été mise en place.

Le rapprochement avec la dette sociale sortie du périmètre de la dette de l’État illustre effectivement les conséquences austéritaires de la manœuvre. Dans les comptes de l’État les charges financières de la dette sont seulement les charges d’intérêt, mais pas son amortissement. Du coup ce sont autant de ressources pour d’autres dépenses. Ce n’est pas le cas dans le cadre d’une caisse de cantonnement. Celle-ci paye et les intérêts et le remboursement des emprunts en fonction de leurs échéances. Et normalement pas question de s’endetter pour cela. Les ressources de la caisse sont des ressources fiscales. La prolongation de la CRDS prélevé sur les revenus jusqu’en 2033 ira avec la transmission à la Cades de la dette sociale Covid. Le cantonnement de la dette publique Covid de l’Etat à une nouvelle caisse d’amortissement s’accompagnera forcément d’une affectation de ressources fiscales. Par exemple une partie de la TVA. Comme le gouvernement ne veut pas recréer d’impôts sur les hauts revenus et le patrimoine, et qu’il ne faudra pas refaire de la dette avec du déficit, ce sera double peine et double pression austéritaire.

À vrai dire, même si l’État créait un impôt sur les riches pour payer la dette Covid cela ne serait que moindre mal. Un impôt sur les riches serait nécessaire, mais pour financer des dépenses plus utiles que le remboursement de la dette.

Annulation ou monétisation

Pour certains, la meilleure solution consisterait à ne pas rembourser la dette et à prolonger durablement la politique expansive de la BCE qui garantit des taux d’intérêt extrêmement faibles, empêche une crise de la dette au sein de la zone Euro, et ne génère pas d’inflation et de perte de confiance dans la monnaie.

Pour l’économiste Jezabel Couppey Soubeyran, ce n’est pas la solution. Elle a raison. La politique monétaire actuelle des Banques centrale ne finance pas les investissements, les dépenses pour les services publics et les reconversions indispensables pour une reconstruction écologique et sociale. Mais cette politique alimente la valorisation inflationniste des actifs financiers et immobiliers et les bulles spéculatives.

En d’autres termes, c’est bien l’annulation des dettes Covid détenues par les Banques centrales ou la monétisation directe des dettes qu’il faut imposer dans le débat politique. Ce n’est pas la solution magique mais cela fait certainement partie de la politique qu’il faut chercher à construire.

François Villeroy de Galhau, lui-même doit bien l’admettre : « La Banque de France, par exemple, détient 450 milliards d’euros de dette française ». Sauf, dit-il, que l’annulation ou la monétisation directe de la dette publique est impossible. Ce n’est pas prévu par les traités : « Quand on a créé l’euro, dans le traité qui institue l’euro, et qui est un "pacte de confiance", entre la France et ses partenaires, entre les pays et les citoyens Européens, nous avons dit que jamais nous ne ferions cela ». Et ensuite « parce que dans l’Histoire, quand la Banque centrale commence à financer les États définitivement, ça se termine toujours mal, c’est une monnaie fondante, on l’a appris, c’est de l’inflation ».

En réalité, comme le souligne l’économiste Laurence Scialom, ce que dit l’Histoire économique des Banques centrales et des rapports entre la politique monétaire et la politique budgétaire et entre leurs institutions, c’est qu’il n’y a aucun système immuable. La vérité de la doxa monétariste et néolibérale qui prédomine dans les Traités européens sur l’euro et régente leurs institutions n’est pas immuable. Le système doit s’adapter aux besoins et aux impératifs de chaque période. Il faut effectivement changer le régime des Banques centrales, leur gouvernance et leur rapport aux institutions politiques.

Et pour cela, si nécessaire, changer les Traités.

 

Bernard Marx

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  • Cher Bernard Marx,

    Vous avez tort de croire Jezabel. Si l’annulation des dettes par le passage à la Banque centrale était si facile, pourquoi les Etats-Unis, la Japon, le RU qui ne sont pas contraints par les Traités ne l’auraient pas fait ? En fait, cette annulation ne ferait que transférer la dette de l’Etat à la Banque de France, qui sur le plan financier, appartient à l’Etat. Lisez mon blog sur Mediapart.
    Amitiés
    Henri Sterdyniak.

    Bien à toi.

    Henri Sterdyniak Le 4 décembre 2020 à 23:35
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