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Accueil | Par Fabien Perrier | 4 mai 2020

Idir, le chasseur de lumière, s’éclipse

Le chanteur est mort, samedi 2 mai, à l’âge de 70 ans, succombant à l’hôpital d’une maladie pulmonaire. « Nous avons le regret de vous annoncer le décès de notre père (à tous), Idir le samedi 2 mai à 21h30. Repose en paix papa. », est-il écrit dans un message publié sur la page Facebook officielle du chanteur.

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La scène se passe à la MC93, à Bobigny, le 19 mars 2004. Le directeur du lieu, Patrick Sommier à l’époque, avait organisé « L’An kabyle ». Le programme précisait : « Minoritaire en Algérie, mais majoritaire en France où elle s’est établie dès la seconde moitié du XIXe siècle, la communauté kabyle est très attachée à ses racines plusieurs fois millénaires. » Ce soir-là, deux de ses représentants montaient sur scène pour interpréter leurs morceaux dans la langue amazighe ou en français, parfois en mêlant les deux langues. D’abord, Akli D. ; ce chanteur avait eu un joli succès avec son album Anef as Trankil et notamment une chanson C facile. Puis vint Idir.

 

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Quelques notes, et d’emblée une véritable ovation surgit pour l’ambassadeur de la chanson kabyle . Dans la salle pleine à craquer, le public mélangé maîtrisait les airs, voire les paroles qui émanaient de sa voix douce, quasi envoûtante. Des youyous retentissaient souvent. L’ambiance allait croissante. À la fin, tout le monde, debout, se mit à danser. Cette scène s’est produite à Bobigny. Elle s’est répétée souvent là où Idir passait en concert. Il avait, entre autre, cet art : celui d’entraîner, en musique ; celui de donner en partage sa langue.

C’est avec A Vava Inouva (Papa Inouva) qu’il a commencé à le faire, en 1973, un peu par hasard. De son vrai nom Hamid Cheriet, Idir était né le 25 octobre 1949 à Aït Lahcène, près de Tizi-Ouzou, capitale de la Kabylie. Ce fils de berger se destinait à être géologue quand il est appelé pour remplacer au pied levé la chanteuse Nouara sur Radio Alger, en 1973. Il y interprète donc lui-même, avec une autre chanteuse, Mila, sa chanson en langue berbère. Elle évoque les veillées dans les villages kabyles. Il fait son service militaire. Sa chanson fait le tour du monde. Et le cours de sa vie en est changé.

Car son tube, planétaire, est en réalité le premier grand tube venu directement d’Afrique du Nord. Alors, sa maison de disque, Pathé Marconi, lui propose de venir à Paris enregistrer un 33 tours. En 1975, DEA de géologie en poche, Idir quitte donc l’Algérie et son parti unique. Il s’installe en France, enregistre un album, dont le titre porte le nom de son tube. Cheveux bouclés qui tombent sur les épaules et lunettes carrées, le jeune homme connaît un nouveau succès avec les 12 titres de l’album. Sa popularité dépasse la communauté kabyle. Le sociologue Pierre Bourdieu, qui a beaucoup travaillé sur la Kabylie, disait de lui : « Ce n’est pas un chanteur comme les autres. C’est un membre de chaque famille. » Imprégné dès son enfance par les chants qui rythmaient tous les moments de la vie quotidienne, homme humble et posé, Idir livre à l’AFP, en 2013 : « Je suis arrivé au moment où il fallait, avec les chansons qu’il fallait. » A Vava Inouva est traduit en quinze langues, diffusé dans 77 pays. En 1979, il enregistre un deuxième album, Ayarrach Negh (À nos enfants).

 

Ces succès semblent éclipser l’homme qui ne se reconnaît pas dans le monde du show biz. Idir disparaît de la scène entre 1981 et 1991. Il renoue avec la scène en 1993, après la parution de son album Chasseurs de lumière. Mais c’est surtout en 1999 qu’Idir revient au cœur de l’actualité musicale avec l’album Identités. Chantre de l’altérité, il chante avec Manu Chao, Dan Ar Braz, Maxime Le Forestier, Gnawa Diffusion, Zebda, Gilles Servat, Geoffrey Oryema et l’Orchestre national de Barbès. Ces duos donnent à ses tubes de nouvelles colorations parfois inattendues. En 2002, la plume de Jean-Jacques Goldman accompagne la musique d’Idir pour un un magnifique titre, Pourquoi cette pluie ?

 

En 2007, Idir sort l’album très politique, La France des couleurs, composé pendant la campagne présidentielle française où les question d’immigration et d’identité étaient au cœur des débats. « En musique, j’ai voulu dire merci à ce pays qui m’a adopté », expliquait alors Idir. Ajoutant : « À l’heure où l’on mêle immigration et identité nationale, où l’on propose de mettre des drapeaux pour affirmer que l’on est français, je fais passer l’idée que la France d’aujourd’hui, dans sa diversité, est un acquis irréversible. »

 

Il déclinait inlassablement ce point de vue en musique, mêlant à la musique kabyle rap, slam, pop, reggae ou R’n’B, mélangeant les langues ensuite et jouant avec des artistes de toutes les générations. De Tiken Jah Fakoly à Grand Corps Malade en passant par Jean-Jacques Goldman, Nâdiya, Leslie, Disiz la Peste, ou Yannick Noah... plus d’une trentaine d’artistes viennent mêler leurs voix ou leurs instruments à ceux d’Idir.

 

Sur le programme de « L’An kabyle », il y avait aussi cette précision : « Au pluriel, "berbères" se traduit par Imazighène : "les hommes libres". En Kabylie, la langue et la tradition berbères survivent dans un contexte conflictuel. Lounès Matoub, chantre de l’identité berbère, est mort pour elle, d’autres, comme Ferhat ou Aït Menguellet, ont connu la prison pour leurs idées, leurs poèmes. » Idir, porte-parole du peuple kabyle, avait réussi à faire sortir sa langue de ses frontières géographiques, à diffuser une tranche de cette culture à travers le monde, à lui donner une forme de liberté.

 

Fabien Perrier

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