Alors qu’Alice Coffin a été exposée à d’ignobles menaces de mort, que le livre de Pauline Harmange a finalement échappé à la censure malgré l’intervention hostile d’un fonctionnaire du ministère de l’Égalité entre les femmes et les hommes, c’est en direction des hommes que toute la compassion s’est orientée.
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Pourtant, rien n’est véritablement choquant dans leurs propos, dont une forme sciemment déformée a été livrée à la vindicte publique. « L’art est une extension de l’imaginaire masculin », écrit Alice Coffin. Du fait de la surreprésentation masculine actuelle et passée dans la production artistique, dans l’accès aux espaces et aux financements, nos imaginaires sont charpentés par cette perspective dominante. Décider, après une vie exposée à une vision androcentrée du monde, de consacrer son espace mental à la création féminine, non sans préciser qu’il s’agit d’une opération temporaire, n’est qu’une opération de rééquilibrage. C’est aussi une décision personnelle qui n’engage que celle qui la prend et n’invite aucunement à l’éradication des artistes masculins.
Pauline Harmange, quant à elle, propose de réfléchir à la manière dont le sexisme quotidien et protéiforme enferre les femmes dans une forme de méfiance susceptible de se muer en haine. Une haine qui viserait non pas à commettre des violences en direction des hommes, mais à s’émanciper des dynamiques sexistes. Est-il si impensable que de la colère puisse être exprimée par des femmes prises au piège d’un système qui en tue tous les deux jours et demi ?
Notre société a adapté ses fondations au confort masculin et tout discours qui l’érafle est perçu comme dangereux. Ce qui bouscule, c’est l’affirmation de femmes s’exprimant avec aplomb sans rechercher l’approbation des hommes. Notre éducation encourage les femmes à ajuster leurs comportements au souci de plaire et de paraître agréable au regard des critères édictés par les injonctions patriarcales. Aussi, le fait de concevoir un discours sans prendre la peine de rassurer les hommes quant au fait qu’ils soient aimés ou indispensables est considéré comme une véritable subversion.
Qu’une femme puisse publiquement envisager une vie où elle choisit de réduire les influences masculines, qu’elle refuse de conditionner la formulation de son engagement au confort des hommes, est vécu comme une inacceptable menace à leur position hégémonique. En réalité, cette panique semée par un discours féministe renouvelé n’est que la traduction de la crainte de perdre une position centrale trop peu questionnée.
Étiqueter ce discours du label de la « misandrie » comme s’il était possible de dresser un parallèle avec les forces misogynes est intellectuellement inepte. La misogynie est le fruit d’un système structuré contre les femmes, et ses mots font écho à des violences aussi concrètes que documentées. Par conséquent, les discours sexistes s’inscrivent dans un continuum dont l’aboutissement est le féminicide.
De tous temps, les revendications féministes ont scandalisé la société majoritaire avant de finalement revêtir une apparence acceptable. Dès lors que l’on conteste l’ordre établi, il est impossible de créer le consensus.
Or, il n’y a pas d’oppression sans pouvoir. Les hommes ne sont pas opprimés du fait de leur genre. La condition masculine n’a jamais été un désavantage qui puisse conduire à un traitement structurellement défavorable. Ni Alice Coffin, ni Pauline Harmange, ni aucune femme ne disposent du pouvoir de produire un rapport de force menaçant au point d’infléchir un système millénaire.
Albert Memmi parlait de « racisme édenté » pour désigner la possible hostilité que pourraient éprouver des minorités contre des membres du groupe dominant. C’est une haine dépourvue de toute force, car elle est portée par des personnes qui n’ont pas le pouvoir social d’administrer un traitement discriminatoire aux personnes qu’elle vise. Du fait de dynamiques similaires, la prétendue misandrie des féministes n’est en rien comparable au patriarcat qui conditionne l’intégralité des relations sociales actuelles et qui s’insinue dans tous les rapports humains, à tous les niveaux de la société.
Dans un tel contexte, on ne peut que comprendre que des femmes décident de préserver leurs espaces personnels et mentaux des discours et actes qui sont la caisse de résonnance de la condition subalterne qu’elles dénoncent.
Ce qui se produit aujourd’hui n’est que la répétition du passé. De tous temps, les revendications féministes ont scandalisé la société majoritaire avant de finalement revêtir une apparence acceptable. Dès lors que l’on conteste l’ordre établi, il est impossible de créer le consensus. Tout discours antisexiste questionne les fondements mêmes de notre organisation sociale et ne peut par conséquent que déranger celles et ceux qui y trouvent une place confortable.
La désapprobation massive des idées d’autrices féministes, quasi-unanime dans les cercles de pouvoir, démontre la solidité de l’ancrage de la domination masculine. Toutefois, malgré les gesticulations désespérées visant à faire taire les voix féminines discordantes, ces livres figurent aujourd’hui parmi les meilleures ventes d’essais, preuve, s’il en fallait, d’un profond désir de placer enfin la production féminine au centre.
Rokhaya Diallo, journaliste, autrice et réalisatrice
Si ce n’était qu’un propos personnel d’Alice Coffin, ça resterait bien entendu un choix de vie la concernant elle et elle seule.
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Au delà de la stupidité du concept qui consiste à se renfermer sur soi même en ne lisant plus que des livres écrits par des femmes (si je rajoute des ecxlusions comme lesbienne ou noire, elle finira par ne plus lire grand chose), le danger dans ses propos (tenus sur un direct de Médiapart par exemple) est de déclarer que "les femmes sont victimes d’une guerre de la part des hommes", sans aucune nuance bien entendu.
Le choix d’Alice Coffin est donc celui d’un apartheid de genre qui dessert totalement les constats qu’elle fait sur les discriminations dont sont victimes les femmes.
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