En détournant la célèbre formule de Wittgenstein, Yoann Barbereau écrit : « Ce dont on ne peut parler, il faut l’écrire ». C’est dire toute la nécessité de son récit, mais aussi la puissance d’écriture mise en œuvre par l’auteur. Certes, Dans les geôles de Sibérie n’est pas un roman puisque tout y est vrai, mais la littérature y est omniprésente, notamment la littérature russe que Yoann Barbereau connaît de toute évidence sur le bout des doigts. Quand l’histoire commence, il dirige une antenne de l’Alliance française à Irkoutsk, en Sibérie orientale. Marié, père d’une enfant de cinq ans, il est heureux. Parlant un russe impeccable, il sympathise avec le maire et sa femme. Peut-être un peu trop. Toujours est-il qu’il est arrêté violemment à son domicile par des hommes du KGB. Il est accusé de pédophilie, un dossier monté de toutes pièces contre lui, ce que dans la Russie de Poutine on appelle un kompromat. Il va passer deux mois dans une prison de Sibérie. Son récit est éprouvant, surtout le « rituel de la Saint-Valentin » qu’on laissera au lecteur ou à la lectrice le soin de découvrir. Éprouvant mais beau aussi. Incarcéré, Barbereau ne cesse d’écrire. « La prison est un exercice spirituel et corporel », note-t-il. « C’est une représentation, une ascèse, une lutte ». On songe parfois en le lisant au très beau Mes prisons d’Edward Limonov. Lui cite constamment le Journal de prison du poète russe Igor Gouberman qu’il vient justement de traduire en français aux éditions Joca Seria. Au bout de deux mois, Barbereau est transféré dans un hôpital psychiatrique. Il cite un proverbe russe qu’il aime bien parce que, dit-il, « il contient l’optimisme de tout un peuple » : « Le diable n’est pas aussi terrible qu’on le dépeint ». L’étau va un peu se desserrer : le voici maintenant assigné à résidence, avec un bracelet électronique. Le récit change alors de ton, d’allure. Avec l’intelligence grande et drôle d’un héros de John Le Carré, Yoann Barbereau va réussir à tromper la vigilance de ses gardiens pour se réfugier à l’ambassade de France à Moscou. Pendant que la diplomatie s’occupe très mollement de son cas, il va vivre une vie de coq en pâte que Julian Assange à coup sûr ou Edward Snowden sans doute lui auraient envié. Mais décidément, non content d’être un bon écrivain, Barbereau est aussi un homme d’action. Il décide de lui-même, avec l’aide de quelques complices, de s’évader à pieds de Russie. Cela suppose de marcher seul dans la neige pendant plusieurs jours. Le récit quitte alors John Le Carré pour devenir du Jack London.
