Accueil | Par Pablo Pillaud-Vivien | 30 septembre 2020

Panthéon, mon cul

Faire entrer Arthur Rimbaud et Paul Verlaine au Panthéon : les enjeux sont-ils mémoriels, littéraires ou de mise en avant de la diversité ? Une chose est certaine : cela constituera surtout un enjeu de communication pour le pouvoir en place.

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Mais qu’est-ce que c’est que cette passion soudaine pour la panthéonisation de celles et ceux qui, précisément, ont passé une partie de leur vie à conchier ce genre d’institution ? Quand des intellectuels, des universitaires et des militants demandent l’entrée parmi ceux et celles de qui la patrie est reconnaissante, du couple Arthur Rimbaud-Paul Verlaine, il y a certes de quoi s’inquiéter sinon s’insurger. Et quand d’autres lui répondent qu’on ne touche pas impunément aux deux poètes en rappelant leur caractère profondément rebelle, on ne peut qu’être d’accord.

 

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Mais quand elle ajoute qu’il s’agit aussi de lutter contre « l’américanisation », « la bien pensance » et « le communautarisme » allant, de façon fort érudite, rechercher dans la biographie des deux compères, des indices qui invalideraient leur homosexualité, alors on se dit qu’il y a quelque chose de pourri dans le débat qui s’installe.

Que s’élève enfin l’haro nécessaire contre cette trahison morbide de déplacer les corps morts pour les aller enrouler dans des suaires bourgeois qui leur siéraient si mal, oui. Que s’animent de rances et caricaturales envies de discréditer les ouvertures à plus de diversité de la part de nos institutions les plus inertielles, non.

Deux homosexuels au Panthéon ?

Le problème du débat, érudit s’il en est, qui s’est installé, c’est qu’il est envisagé comme une joute dissertative : un seul argument ne suffit pas, il faut en mobiliser toute une liste, plus ou moins bien articulée, pour démontrer le bien fondé de sa position. Et dès lors, avec force citations et références situées, on est prêt à faire feu de tout bois – au grand détriment de la qualité du débat d’idées.

Ainsi de la controverse sur la nature de la relation de Rimbaud et Verlaine : étaient-ils vraiment amoureux ? Peuvent-ils être considérés comme un couple ? Peut-on parler d’homosexualité à leur endroit ? Autant de questions dont la pertinence dans le cadre du débat actuel – voire dont la pertinence tout court – est sujette à caution. Peu importe la conclusion à laquelle on arrive, ces problématiques sont viciées par une morale bourgeoise qui voudrait faire du couple ou de la sexualité des invariants absolus avec lesquels on ne pourrait entretenir des rapports fluides.

Seulement, le Panthéon est, presque par essence, un espace qui fige sur des plaques de marbres, des noms et des discours, des dates et des événements, au détriment de toute rigueur scientifique ou de tout rapport poétique qui voudraient que l’interprétation dialectique, le débat contradictoire ou la liberté d’appropriation d’une oeuvre soient sempiternels.

Disons-le franchement : a-t-on vraiment envie d’entendre Emmanuel Macron, planté devant le Panthéon, disserter sur Rimbaud et Verlaine ? Écouter le représentant d’un ordre quasi martial parler de Verlaine le communard ou de Rimbaud le voleur de feu ?

On entre forcément au Panthéon pour de mauvaises raisons

Le Panthéon est l’un des lieux par excellence d’une conception du pouvoir républicain, quand bien même tout ceux et toutes celles qui y sont entrés ne sont pas tous des hommes et des femmes politiques. Républicain certes, mais surtout présidentiel. On y entre parce que le Président de la Cinquième République en a ainsi décidé. Disons-le franchement : a-t-on vraiment envie d’entendre Emmanuel Macron, planté devant le Panthéon, disserter sur Rimbaud et Verlaine ? Écouter le représentant d’un ordre quasi martial parler de Verlaine le communard ou de Rimbaud le voleur de feu ? Doit-on vraiment rappeler les mots que notre Président a eu à l’encontre des gilets jaunes ou de « ceux qui ne sont rien » pour craindre ce qu’il pourrait raconter sur les deux poètes ?

Le roman national est un lieu de luttes, et il est heureux qu’il en soit aujourd’hui ainsi et non le lieu unique de paresseux consensus. Seulement, qui va gagner ? Les puissants et les réactionnaires, ceux qui, de facto, vont décider qu’ils iront au Panthéon. Et plus rien, ni dans le présent, ni dans l’histoire, ne parlera plus des conflits et des rapports de forces politisés qui ont conduit à cette décision. Tout sera écrasé et aplani par le discours officiel ; il ne restera plus rien de la modernité ou de la rupture. Ils nous ont déjà volé la révolution, Jaurès et l’écologie, alors empêchons qu’ils s’en prennent aux poètes ! Comme lorsque Nicolas Sarkozy a voulu faire entrer Albert Camus au Panthéon, rappelons qu’il serait préférable d’encourager à la lecture en puissance desdits auteurs plutôt qu’à leur sanctification – toute laïque soit-elle.

 

Pablo Pillaud-Vivien

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